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Voile: la prise de poids, un défi essentiel sur les planches

Pierre Le Coq, champion du monde 2015 de planche à voile, a vécu la transformation de son sport avec l’arrivée des IQfoils. Une évolution qui a obligé certains athlètes à prendre 15 à 20 kilos pendant cette olympiade. Entretien avec celui qui a finalement décidé de jeter l’éponge en février dernier en raison des contraintes alimentaires.

À quel moment avez-vous su que vous alliez devoir transformer votre corps?

Dès les premières navigations, on a tout de suite vu que le support était beaucoup plus puissant. La voile qui a été retenue pour le foil, c'est une neuf mètres. Les vrais connaisseurs savent que c'est très puissant. À partir de 12 nœuds de vent, pour un gabarit moyen de 80 kilos, on est quasiment déjà en surpuissance. Du coup on a vu qu'il fallait être beaucoup plus lourd. Au début, on s'est dit qu'il allait falloir prendre 5, 10 kilos et puis en fait on était loin du compte.

Comment avez-vous fait?

Pour moi c'était vraiment une énorme problématique car sur l'ancien support en planche RS:X j'étais parmi les plus légers. Je faisais 72 kilos et je me disais "j'aimerais bien essayer un jour de faire 74, 75". Mais rien que de prendre 2 ou 3 kilos, je galérais, donc là je me disais qu'en prendre 10 allait être un sacré challenge. Et du coup, il a fallu vraiment revoir toute la programmation physique de A à Z. Sur l'ancien support, on passait énormément de temps à faire du cardio: quasiment 50% du temps on faisait du cardio et le reste du temps c'était de la navigation ou de la musculation. Je faisais presque autant de vélo avant que de voile. Là, on a mis le vélo au garage. On est passé sur des programmes de muscu, de prise de masse pure. Le but, c'est de casser de la fibre musculaire pour en reproduire en plus grande quantité. Ce sont des séances où on tape vraiment dedans jusqu'à épuisement et en parallèle de ça un gros régime alimentaire.

"Le visage de notre sport a changé"

Comment avez-vous travaillé pour prendre du poids?

J'étais avec un nutritionniste qui m'avait fait un plan vraiment très détaillé. Le but, c'était d'essayer de ne pas prendre trop de gras. Mais ça a été le challenge le plus dur finalement, parce que on a manqué de temps. C'est surtout ça la vraie problématique.  C'était une olympiade de 3 ans et pour prendre du muscle en bonne qualité, il faut du temps. On est arrivé au premier championnat du monde en 2021 et on s'est rendu compte que les mecs qui étaient devant faisaient déjà 95 kilos. Là on s'est dit "waouh, le prochain événement c'est dans 6 mois, il va falloir prendre 10 kilos". Donc forcément on a tous pris aussi un peu de gras et ça, ce n'était pas facile à vivre. Il y a un moment où dans la réflexion c'était, on n'a pas le droit de trop naviguer en fait, parce que faut pas qu'on perde trop de calories, parce qu'il faut qu'on garde de l'énergie pour les séances de muscu. Là à Marseille dans le top 10, il n’y en a pas un qui était aux Jeux de Tokyo. Le visage de notre sport a changé avec des nouveaux athlètes qui étaient déjà au gabarit cible.

C'est pour ça que Charline Picon, par exemple, a changé de support car elle n’arrivait pas à prendre cette masse musculaire nécessaire?

C'était clairement inenvisageable. Charline fait 60 kilos et il aurait fallu qu'elle en prenne 10 ou 15. Il y a la problématique de l'âge aussi. Moi je l'ai vécu, c'est plus dur de créer de la fibre musculaire, de totalement bouleverser son régime alimentaire et son équilibre sportif à 35 ans. Charline a vu le truc direct et elle s'est dit "ça ne sera pas pour moi" et elle a fait le bon choix.

"Les gens avaient du mal à me reconnaître dans la rue"

À quoi ressemblait ce nouveau du régime alimentaire?

Moi je suis Breton et mon nutritionniste était aussi du coin. Le matin, c'était deux galettes complètes avec du jambon, des œufs. Le but, c'est de limiter au maximum le gras, mais d'avoir quand même des aliments de qualité mais avec beaucoup de   protéines. Avant, ça m'arrivait de manger juste un bol de muesli avec des fruits. Parfois je passais une heure au petit-déj. En plus le matin, quelquefois tu te lèves et tu n’as pas faim. Après le corps s'habitue mais j'ai surtout ressenti de la fatigue, beaucoup de fatigue. Le corps est en digestion permanente. Toutes les trois heures il faut quasiment ingérer des protéines, la règle de base c'est quasiment 30 g de protéines toutes les trois heures. Ça fait quasiment un steak ou un shaker de protéines. C'est ce que j'ai eu le plus de mal à vivre. C'est vraiment cette fatigue quotidienne. J'ai pris quasiment 17 kilos, j'ai gonflé de partout et de la tête. Les gens avaient du mal à me reconnaître dans la rue. J'étais arrivé quand même à un poids qui était correct mais qui n'était pas encore suffisant. Là, tous les mecs qui se sont pointés au jeu, ils font quasiment 100 kilos.

Le constat est le même pour les Iqfoil et kitefoil?

Les kites sont dans la même problématique. Ce sont des monstres. Axel Mazella, qui de base n'était pas dans les gros gabarits, a vécu exactement la même chose. Je crois qu'il a pris plus de 10 kilos en deux ans. Mais il a très bien réussi le challenge car il n'a pas trop pris de gras. Il a l'air d'avoir fait quelque chose de vraiment propre. Il faut réussir à rester sur des aliments sains.

Quel bilan en tirez-vous? Faut-il revoir un peu les règles du jeu?

Ils sont en train de réfléchir à diminuer la taille de la voile, donc ça c'est une bonne chose parce que du coup le support sera moins puissant. Il faudra sûrement être moins lourd. Et puis je pense que cette problématique va s'effacer car là on manquait de temps. Je suis persuadé qu'à Los Angeles on va avoir des gabarits avec des vrais athlètes, des vrais rugbymen musclés et ultra puissants. Je pense qu'on va ressortir les vélos sur la prochaine préparation olympique.

Pierre Yves Leroux