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Cyclisme: les coulisses du transfert d'Alaphilippe chez Tudor Pro Cycling

C’est officiel depuis le 19 août: après onze saisons passées sous le giron belge de Patrick Lefevere, Julian Alaphilippe va quitter Soudal Quick-Step et évoluera dès le 1er janvier 2025 avec le maillot de Tudor Pro Cycling. Un très gros coup pour la structure suisse de deuxième division UCI, et une décision mûrement réfléchie pour le double champion du monde encore très courtisé malgré ses 32 ans. Son équipe de toujours aurait par ailleurs beaucoup aimé le voir prolonger. 

Depuis le mois de mars, il était devenu clair dans l'esprit de Julian Alaphilippe que l'heure était bientôt venue d'aller voir si l'herbe était plus verte ailleurs que chez Soudal Quick-Step. Depuis ce début 2024 marqué par les très vives critiques de son patron belge Patrick Lefevere par voie de presse interposée, le double champion du monde se disait vraiment pour la première fois de sa carrière professionnelle qu'il avait envie et même besoin d'avoir une seconde vie sportive sous un autre maillot. Chose qui lui avait toujours été impensable de concrétiser jusqu'alors, ayant même refusé au bout de longues discussions et après un rendez-vous à Londres en 2019 une proposition très avantageuse de Bahrain Victorious par crainte de ne pas être aussi à l'aise là-bas que dans son environnement de toujours.

Mais en cette année 2024, Julian Alaphilippe, en fin de contrat au 31 décembre, était prêt. Et dès le printemps, les équipes se sont donc bousculées au portillon pour tenter de s'arracher les services du double champion du monde, coureur aussi romantique que bienveillant, instinctif et collectif. Et jusqu'au bout notamment, Jean-René Bernaudeau, le manager de TotalEnergies, aura été convaincu de pouvoir réaliser le très beau coup de le faire venir sous ses couleurs. Mais au début du mois d'août, l'emblématique patron de la formation vendéenne a reçu un coup de fil du Montluçonnais pour lui annoncer qu'il ne le rejoindrait finalement pas, lui préférant Tudor Pro Cycling, jeune formation suisse en plein essor dans laquelle il évoluera pour trois saisons à compter du 1er janvier 2025.

"Julian était presque en pleurs quand il me l'a annoncé", lâche Bernaudeau. "On est depuis des années en contact, on a été en discussions jusqu'au bout. Je suis allé le voir, un de mes directeurs sportifs aussi, on a même fait une visio avec lui et sa famille pendant le Tour de France quand il était en stage à San Pellegrino en Italie. Vraiment on a fait tout ce qu'il fallait. Ce n'était pas une question d'argent. Je pensais qu'un grand sponsor comme Total ferait la différence, mais ça n'a pas été le cas. Je suis très déçu, mais je n'ai pas de regrets."

Alaphilippe tout sauf en terre inconnue

Car face à la proposition de TotalEnergies, Julian Alaphilippe avait pléthore d'autres offres. L'encadrement sportif de Decathlon-AG2R aurait notamment aimé l'enrôler, mais les patrons du sponsor Decathlon ont mis leur veto, préférant pour leur image de marque miser sur des coureurs plus jeunes. Très intéressées, les formations Q36.5 et Israël Premier Tech ont elles aussi été en discussions avancées pour tenter de s'attacher les services du puncheur français. Mais ce dernier a finalement choisi de suivre son instinct et s'est donc engagé avec Tudor Pro Cycling. 

Et le choix de l'équipe suisse est tout sauf un hasard. C'est celui d'un projet en plein développement et promis à un bel avenir. En décidant de signer chez Tudor, l'Auvergnat rejoint d'abord des hommes de confiance avec qui il a déjà travaillé. Il y retrouvera notamment le Portugais Ricardo Sheidecker, directeur du sport de la formation suisse, aux côtés duquel il a évolué de 2017 à 2022 chez Soudal Quick-Step. Un homme respecté pour sa droiture et ses compétences et qui a largement pesé dans la décision finale de l’Auvergnat, tout comme la présence de Morgan Lamoisson, l'un des directeurs sportifs de Tudor avec qui il entretient depuis longtemps de bonnes relations.

Cancellara voulait Alaphilippe à tout prix  

Autre argument de poids, la formation suisse, toute jeune structure créée en 2018 est une fabrique à champions et sans doute une place forte en devenir dans paysage cycliste professionnel. Pas encore titulaire d'une licence World Tour, elle est actuellement 22e au classement UCI et pourrait prétendre à court ou moyen terme à un tel statut. Le recrutement d'Alaphilippe, mais aussi celui du Suisse Marc Hirschi, de l'Autrichien Marco Haller ainsi que la présence depuis cette saison du sprinter italien Matteo Trentin et du grimpeur australien Michael Storer sont autant d'arguments qui laissent imaginer ce scénario.

À la tête de Tudor Pro Cycling, un homme a aussi beaucoup compté dans la venue de Julian Alaphilippe. Propriétaire de la structure, l'ancien champion suisse Fabian Cancellara, triple vainqueur du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix, a su murmurer avec parcimonie mais à bon escient à l’oreille de l'Auvergnat pour le convaincre de signer. Régulièrement en contact avec lui depuis le printemps, Cancellara a notamment trouvé les mots pour le convaincre que l'ADN de son équipe, basé sur l'instinct de la performance et sur un cyclisme total et collectif, correspondait parfaitement au coureur qu'est Julian Alaphilippe. Mieux, le Suisse s’est fait très discret à l'inverse d’autres représentants d’équipes intéressés par le profil du double champion du monde, durant la période des JO, particulièrement délicate en termes de pression sportive. Là aussi, de quoi peser dans la balance alors que le coureur n'avait pas encore pris sa décision à ce moment-là.

Soudal Quick Step aurait aimé le garder 

En signant chez Tudor Pro Cycling, Julian Alaphilippe fait le choix d'une structure méticuleusement organisée, à l'image de Soudal Quick-Step. "Et ça a forcément joué", confirme sa compagne Marion Rousse. "Julian a besoin de ne penser qu'au vélo pour être bien, il aime être cadré. Quand il a signé chez Tudor, il avait ses dates de stages pour cet hiver quatre jours après." Il savait aussi très rapidement qu'il irait passer cinq jours aux États-Unis en novembre chez l'équipementier BMC pour faire des tests et des réglages avec son nouveau matériel, en l'occurrence un vélo BMC, marque très cotée dans le milieu cycliste professionnel.

Signe, au-delà de sa valeur sportive, de la valeur humaine de Julian Alaphilippe, le départ de ce dernier n'est pas sans susciter une certaine émotion au sein de l'équipe Soudal Quick-Step. Dans le meilleur des mondes, Patrick Lefevere et surtout Jurgen Foré, son bras droit, auraient beaucoup aimé garder le double champion du monde dans leurs rangs. La raison financière s'y est notamment opposée, le salaire d'Alaphilippe se comptant toujours en millions d'euros par an, là où la formation belge connait depuis l'an passé quelques déboires en termes de sponsoring.  

Chez Tudor Pro Cycling, il n'y a pas une voix pour ne pas se réjouir de la future arrivée de l'Auvergnat. "Tout le monde est content qu'il vienne", souffle un membre du staff. "Il va apporter son expérience, on l'espère aussi des résultats. Et puis c'est un grand nom du peloton actuel, un vrai taulier. Nous sommes une équipe suisse. Cela implique quelque chose d'assez 'classe' dans l'image qu'on souhaite renvoyer. Cela tombe bien, Julian est vraiment un garçon charismatique." 

Arnaud Souque