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Athlétisme (championnats d'Europe): Raphaël Mohamed, l’inconnu leader du 110m haies français à Rome

Raphaël Mohamed en juillet 2023

Raphaël Mohamed en juillet 2023 - Icon Sport

Raphaël Mohamed sort de terre au meilleur moment! Le Réunionnais était à des années-lumière des Jeux olympiques de Paris en début d’année, et il se retrouve propulsé tête d’affiche du 110m haies tricolore pour les championnats d’Europe de Rome. Mohamed profite certes des forfaits en cascade de Sasha Zhoya, Pascal Martinot-Lagarde, Wilhem Belocian, Just Kwaou-Mathey et Aurel Manga en dernière minute. Mais grâce à un chrono de 13.27 au meeting de Montgeron fin mai, record personnel écrasé, le licencié du club de Mamoudzou (Mayotte) a réussi les minima européen et olympiques. Il se met à toucher du doigt le très haut niveau, et pourquoi pas les JO au Stade de France, à 26 ans.

Raphaël, comment un hurdler réunionnais encore inconnu du grand public à 26 ans se retrouve leader français des haies dans un grand championnat ?

J’ai commencé l’athlétisme très tard, à 16 ans ! C’est après un cross gagné au collège que mon coach Philippe Pichereau, que j’embrasse fort, m’a donné une licence gratuite. Après j’ai kiffé l’athlé et comme je viens de l’Ile de la Réunion, ça m’a permis de voyager, de découvrir l’Hexagone ! Ma progression est fulgurante cette année parce que j’ai envie, ce sport me fait rêver. Et ça me permet de voir Rome aujourd’hui !

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C’est compliqué pour un jeune Réunionnais de viser le plus haut niveau en athlétisme ?

D’entrée, mon ancien coach Cédric Lopez m’a dit que je devrais partir en métropole pour percer en athlé. A la Réunion, quand tu es fort, tu es tout seul. Il fallait partir pour être en concurrence, pour bien me faire taper sur les doigts pour que je prenne encore plus de plaisir. Le projet c’était donner le meilleur de moi-même. Je suis parti en métropole après cinq ans d’athlé, à 21 ans.

Vous avez donc rejoint le CREPS de Poitiers, coaché par Fabien Lambolez. Et vous vous entraînez aux côtés de Just Kwaou-Mathey (double médaillé européen malheureusement gravement blessé avant les JO)…

Il y avait aussi Ludovic Payen. C’était jackpot. Au début je pensais que ma carrière allait décoller car avec Just, on était à peu près du même niveau. Mais d’un coup, bam, il a évolué et moi j’ai commencé à douter. J’y croyais encore malgré tout et quand mes chronos ont pété cette saison, j’étais soulagé ! Avant le mois de mai, je commençais à me dire que l’athlé n’était pas fait pour moi, il y avait trop de monstres devant… Mais aujourd’hui, j’ai les qualités pour lutter.

Pendant ces cinq années en métropole sans trop de résultat, vous pouviez vivre de votre sport malgré tout ?

Uniquement grâce à mon club de Mamoudzou (Mayotte), j’ai beaucoup de chance. Le club m’aide énormément financièrement et je les remercie du fond du cœur. C’est difficile mais grâce à Mayotte, j’ai pu retomber sur mes pattes et là ça marche !

Mayotte, c’est important pour vous ?

J’ai encore beaucoup de famille là-bas ! J’ai tout un village qui me soutient, à Hanyoundrou, dans le sud de l’île. Chez nous, il y a les Jeux des îles et j’ai gagné le 110m haies. En revenant au village pour les vacances, ils m’ont réservé un accueil extraordinaire ! Je ne pensais pas que c’était possible de voir ça un jour. C’était incroyable, et ça prend encore de l’ampleur. J’ai tout Mayotte derrière moi désormais. Sans oublier mes amis, ma famille, toutes les connaissances de la Réunion. Les deux îles me soutiennent. Je suis très heureux.

Plus fort encore que les Jeux des Iles, votre première sélection en équipe de France ! Vous êtes le visage du 110m haies français, une école reconnue dans le monde entier, lors d’un grand championnat. Vous arrivez à réaliser ?

Si on m’avait dit, encore cet hiver, "tu peux faire les JO Raphaël", je n’y aurais pas cru. Aujourd’hui, je me rapproche des Jeux olympiques, c’est un bonheur énorme. Je suis la tête d’affiche du 110m haies mais j’ai travaillé pour. Je mérite d’être là. Je veux prendre du plaisir et tout faire pour honorer cette sélection du mieux possible.

En Italie, vous arrivez en faisant partie du top 12 européen grâce à ce chrono de 13.27. Quel est votre statut selon vous ?

J’ai des ambitions mais j’ai toujours été un outsider. On ne me voit pas arriver. Je suis sûr que j’ai encore ce chrono (13.27) dans les jambes et je vais tout faire pour le ressortir lors des championnats d’Europe. Ce serait une déception de sortir dès les demi-finales (il est exempté des séries). Je suis confiant car lors du meeting de Poitiers, j’ai confirmé avec deux chronos sous les 13.40. Ça doit me permettre de passer les tours. Je suis prêt à en découdre.

A 26 ans, la plupart des athlètes ont déjà atteint un très haut niveau de performance. Vous pensez pouvoir progresser encore ?

Je vise encore le niveau du dessus. Je pense en être capable. Avec mon coach Fabien Lambolez, on analyse mes courses. Et on voit qu’il y a une tonne de progrès à faire. Pour moi, ce n’est que le début de mon parcours. Avant cet été, j’aurais été impressionné par les Zhoya, Martinot-Lagarde, Belocian, Manga… Mais aujourd’hui, je reconnais mes qualités.

Est-ce que vous avez déjà les Jeux olympiques dans un coin de la tête ?

Je fonctionne étape par étape… Il ne faut pas s’emballer. Pour l’instant, c’est Rome. Je vais en profiter. Après je redescendrai et je me préparerai pour les championnats de France (les trois premiers des France seront sélectionnés aux JO). Je ne me donne pas de pourcentage de chance de faire les Jeux. On en saura beaucoup plus après les championnats nationaux. Déjà, je vais fouler la piste du Stadio Olimpico ! Faire des compétitions dans ces stades-là, c’est incroyable. Venant de la Réunion, c’est un truc qu’on ne voit qu’à la télé. Et moi j’y serai !

Aurélien Tiercin