2) Le temps en physique et sa flèche

Les scientifiques de toutes disciplines sont confrontés au temps. Le temps est associé au variable, à l'instable, à l'éphémère, tandis que la physique est à la recherche de rapports qui soient soustraits au changement : ses lois et de ses règles sont généralement indépendantes du temps. Le temps de la physique est homogène et composé d’une succession d’instants autonomes, chacun n’étant en relation immédiate qu'avec son prédécesseur et son successeur. La difficulté conceptuelle de cette idée de contiguïté est surmontée par le calcul infinitésimal. La description newtonienne du temps par un paramètre linéaire, uniforme, ponctuel, réversible a connu un succès extraordinaire, mais il s’agit là d’une modélisation simpliste. Ainsi, selon les équations de la physique actuelle, les phénomènes au niveau microscopique sont réversibles et peuvent se dérouler dans un sens ou dans un autre, ce qui signifie que nous pourrions remonter le temps. Or à notre échelle (niveau macroscopique), nous n’observons que des phénomènes irréversibles, donc fléchés. Comment expliquer cette différence ? Pourquoi, contrairement à l’espace, le temps est-il à sens unique du présent vers le futur, en ignorant la marche arrière ? Voilà quelques uns des thèmes et questionnements sur le temps que j’essaierai de traiter, sans aucune formule mathématique, à partir d’articles récents de physiciens contemporains.

Le concept de temps en physique

La physique moderne ne dissocie plus l’espace et le temps des évènements qui s’y déroulent. Le temps apparait seulement comme la possibilité de repérer les événements les uns par rapport aux autres dans leur succession : sa mesure n’est qu’un balisage de ces évènements par une suite régulière, choisie comme étalon de durée d’autres évènements, tels que la  rotation de la Terre, l’oscillation d’un pendule, ou la vibration du quartz de nos montres. Le temps de la physique a donc perdu son autonomie, il est conçu non comme entité en soi, qui s’écoulerait en dehors des choses, mais comme simple relation entre évènements. Cela n’a donc pas plus de sens de parler d’un espace en dehors du temps que de parler du temps ou d’un mouvement dans le temps en dehors de l’espace. Espace et temps sont indissociablement liés, on devrait plutôt parler d’espace-temps. Le temps n’est en fait qu’une grandeur abstraite, un paramètre t choisi par convention qui nous sert à décrire les changements et le mouvement. Seule la description du mouvement à l’aide d’équations faisant intervenir ce paramètre t (les lois fondamentales de la dynamique) nous permet de parler du temps de façon précise et quantitative. 

Cours du temps, flèche du temps et principe de causalité

La physique distingue le cours du temps et la flèche du temps. Le cours du temps désigne que le temps passe et qu’en passant il produit de la durée et engendre la succession des événements. Notons qu'en physique le temps est souvent assimilé à tort à la durée ou même à l'instant, par définition une durée quasi-nulle; En fait je pense que le temps, contrairement à la durée, n'est qu'une illusion et n'existe pas en dehors de notre conscience (voir le premier article). L'arrêt du temps signifie donc pour moi la disparition de tout ce qui existe, c'est-à-dire ma propre mort. La flèche du temps évoque la possibilité qu’ont les choses de devenir, c’est-à-dire de connaitre au cours du temps des changements ou des transformations souvent irréversibles qui sont la propriété des phénomènes temporels. 

La physique fait l’hypothèse que ses lois sont invariables au cours du temps et de l’espace. Cette invariance des lois physiques a pour corollaire la conservation de l’énergie et revient à dire que l’espace est homogène et que tout instant en vaut un autre. A chaque instant correspond une valeur particulière de la variable t, et toute durée est faite d’instants sans durée, comme une ligne est faite de points sans dimension. Deux interprétations différentes du temps physique apparaissent :

- La représentation du temps par une ligne figure la production même de cette ligne, comme si une force créatrice inhérente au présent le tirait du néant pour en faire une nouvelle entité.

- Une scène infinie déjà donnée dans laquelle le temps vient se déployer.

Soit la ligne qui représente le temps est ouverte et se ramène à une droite, soit elle est refermée sur elle-même et équivaut à un cercle : temps linéaire et temps cyclique. Ces courbes sont orientées, parcourues du passé vers le futur. Pour le physicien le temps est linéaire, en vertu du principe de causalité : tout fait a une cause et la cause du phénomène est antérieure au phénomène lui-même. Dans le temps circulaire, le devenir revient sur lui-même pour tout faire réapparaitre : la cause pourrait bien être l’effet et vice versa. Aller vers le futur serait équivalent à retourner dans le passé. Ainsi un être humain pourrait supprimer dans le passé une des causes qui ont permis sa naissance. Un tel paradoxe ne l’est plus avec un temps linéaire, les événements s’enchainant de manière irrémédiable. Le principe de causalité mentionne un ordre obligatoire entre divers phénomènes et conduit aussi à la formule « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». La linéarité du temps fait de l’avenir une nouvelle aventure et nous donne une marge de manœuvre et un semblant de liberté. Ce principe empêche de voyager dans le temps : il n’y a qu’un seul temps non cyclique et l’ordre dans lequel les phénomènes causalement reliés se déroulent n’est pas arbitraire. On ne peut pas retourner dans le passé pour modifier une séquence d’évènements ayant déjà eu lieu, c’est-à-dire rétroagir sur une cause qui a déjà produit ses effets. Il existe donc une différence essentielle entre le temps et l’espace : nous pouvons nous déplacer à notre guise à l’intérieur de l’espace, alors que nous ne pouvons pas changer notre place dans le temps, nous sommes enchainés à jamais au présent.

Temps uniforme et temps élastique

La physique prétend à l’immuable, à l’invariant : son but est d’extraire des lois éternelles, c’est-à-dire affranchies du temps à partir de phénomènes passagers. Le fleuve est la métaphore habituelle du temps, qui comprend les notions d'écoulement, de succession, de durée, d'irréversibilité. Trois de ses propriétés intéressent les physiciens :

- Son écoulement est-il régulier, le temps est-il rigide ou élastique ? La physique classique, sur ce point, ne répond pas comme la relativité.

-  Est-il question de durée ? Les cosmologistes aimeraient savoir si le temps a eu un début (voir Annexe Q1) et s'il aura une fin.

-  Qu'en est-il des phénomènes qui se déroulent dans le temps ? Leur sens peut-il ou non s'inverser ? C'est la fameuse question de la réversibilité ou de l'irréversibilité des lois physiques.

Intéressons-nous d’abord à la première propriété.

La physique classique de Galilée et Newton suppose un espace absolu et un temps absolu, constituant un cadre fixe indépendant des phénomènes qui s'y déroulent. Or l’expérience de Michelson (1887) montre que la vitesse de la lumière reste toujours la même, qu'elle soit mesurée dans le sens du mouvement de la Terre ou dans une direction perpendiculaire. En fait la théorie électromagnétique (les célèbres équations de Maxwell datant de 1862) qui unifie l'électricité et le magnétisme impliquait déjà que la vitesse de la lumière dans le vide c était un invariant absolu, indépendant de tout observateur. Il apparait donc que la conception galiléo-newtownienne de l’espace et du temps est insuffisante malgré ses succès car elle n'est pas adaptée à la théorie électromagnétique et ne permet pas d'interpréter l'expérience de Michelson.

La théorie de la relativité restreinte (Einstein, 1905) impose un nouvel espace-temps dans lequel les vitesses ne s’additionnent plus, les mesures d’espace et de temps dépendent du mouvement de l’observateur. Dès que celui-ci est en mouvement, il mesure un intervalle de temps plus long et un intervalle d'espace plus court que l’observateur immobile. L’espace et le temps sont devenus élastiques. Une horloge en mouvement bat plus lentement qu’une horloge au repos, et plus sa vitesse tend vers celle de la lumière, plus elle ralentit. A la limite pour le photon, qui est le grain de lumière, le temps ne s’écoule plus, son temps propre est figé ! Ces différences ne sont notoires qu’à des vitesses très élevées proches de celle de la lumière (~300.000 km/s). D’où le célèbre paradoxe des jumeaux. Imaginons des jumeaux âgés de 20 ans dont l’un effectue un aller-retour à la vitesse de 297.000 km/s vers une planète lointaine située à 20 années-lumière. A son retour sur Terre, le voyageur aura passé 6 années de temps propre, tandis que son frère resté sur Terre aura vieilli de 40 ans : l’un aura 26 ans, l’autre 60 ans ! Ce paradoxe des jumeaux dont l’un a dû subir des accélérations et décélérations pour accomplir son voyage, contrairement à celui resté sur Terre, illustre bien l’inéluctable élasticité du temps.

Autre conséquence de la relativité, la notion de simultanéité cesse d’être absolue. Ce qui est présent à un certain instant n’existe pas ou plus pour un observateur en déplacement rapide par rapport à nous. Il devient impossible de définir un instant où se manifesteraient tous les phénomènes qui se produisent au même moment dans tout l’univers. Dans l'absolu le temps n'existe donc pas. Ne pouvant synchroniser les objets en mouvement de façon pérenne, chaque observateur constatera que les durées autres que les siennes seront toujours dilatées. Mais le principe de causalité reste respecté : si A est antérieur à B et si un signal lumineux part de A pour atteindre B, l’événement A précédera B dans tous les référentiels. Les durées deviennent relatives mais on n’inverse pas leur ordre s’ils sont causalement reliés. De plus aucun objet (lointain) observé ne nous est contemporain. Regarder loin dans l’espace c’est regarder loin dans le passé : cette galaxie lointaine nous apparaît telle qu’elle était il y a quelques milliards d’années.

Enfin la relativité générale (1915) est une synthèse entre la gravitation qui accélère la matière et la relativité restreinte. D’après Einstein, la gravitation n’est pas une force entre des contenus matériels de l’univers, mais une propriété géométrique du contenant lui-même. Cette insertion de la gravité impose à l’espace-temps entier d’être déformé, d’acquérir une géométrie non-euclidienne courbe. Le temps ne peut être disjoint ni de l’espace ni de la matière de sorte qu’il faut considérer l’entité totale matière-espace-temps pour l'étude d’objets massifs de l’univers (étoiles massives, étoiles à neutron, trous noirs, etc..). Ainsi la lumière influencée par la gravitation emprunte les chemins les plus courts, qui ne sont plus des lignes droites mais des géodésiques courbes. Puisque les accélérations ralentissent les horloges (paradoxe des jumeaux), la gravitation ralentit aussi les horloges : celle située au niveau de la mer bat plus lentement que celle en altitude où la pesanteur est plus faible. Cette prédiction de la relativité a été effectivement vérifiée par l’expérience avec des horloges atomiques embarquées à bord d’avions rapides sur de longues distances. Les différences de durées sont très faibles par rapport à des horloges identiques restées au sol (de l’ordre d'une centaine de milliardièmes de seconde), mais ont été mesurées sans ambigüité. A la suite des remarques de Bergson, il a été proposé que si les durées physiques sont différentes, les durées biologiques ou psychologiques resteraient identiques pour les deux jumeaux. Cette interprétation est insoutenable, la vie dans un repère en mouvement se différencierait totalement de la vie au repos, en contradiction avec l’expérience. Les durées sont effectivement différentes, que l’on parle de durée vécue, ressentie, ou mesurée à l’aide d’une horloge.

En relativité générale, les propriétés de l’espace-temps dépendent donc du contenu de l’univers. Ni l’espace, ni le temps ni l’espace-temps ne sont définis à priori. Doit-on cependant renoncer à toute notion de temps cosmique ou universel ? En fait la relativité s’applique à notre monde mais ses effets sont trop faibles pour qu’on puisse les déceler. Elle permet de distinguer localement l’espace du temps, mais la validité d’un tel découpage temps-espace ne peut-être étendue au-delà d’une région limitée. Pas de problème à l’échelle de la Terre ou même du système solaire, pas de problème pour les voyageurs dont les vitesses restent bien inférieures à celle de la lumière c : nous pouvons parler d’espace et de temps séparés. Mais cette séparation ne peut être étendue à l’échelle de l’univers entier : absence de simultanéité, relativités des durées, ces effets sont présents mais à nos échelles ils restent presque insignifiants. Je citerai néanmoins le GPS dont le bon fonctionnement nécessite de tenir compte des effets relativistes. Seules les particules élémentaires qui se déplacent très rapidement dans les accélérateurs nous permettent de les mettre en évidence de façon spectaculaire. Ainsi au CERN, on est capable d’accélérer un muon jusqu’à 0,9994 c. Or le muon est une particule instable qui se désintègre au bout de 1,5 µs, son temps de vie propre, alors que son temps de vie apparent (celui du laboratoire) est de 44 µs, (soit 30 fois plus !) en parfait accord avec la relativité restreinte.

Pour que l’élasticité du temps devienne manifeste, il faut se trouver dans des champs gravitationnels très intenses, par exemple près de trous noirs, dans lesquels les rayons lumineux eux-mêmes restent emprisonnés. Un intervalle de temps propre fini s’écoule entre le moment où un corps tombe en chute libre vers le trou noir, franchit sa surface et le moment où il atteint la singularité centrale. Pour l’observateur extérieur, l’approche du trou noir prend un temps apparent infini. Pour lui la traversée du trou noir n’a jamais eu lieu !

Notons enfin que dans la relativité restreinte, la causalité est implicite. Voyager dans son passé équivaut à se déplacer plus vite que la lumière dans le vide, ce qui est interdit par cette théorie. En revanche dans la relativité générale et ses univers courbés par la gravitation, certaines distorsions, par exemple un trou noir en rotation, autorisent en principe l’exploration du passé sans jamais dépasser la vitesse de la lumière. La causalité serait violée, s’il existe une boucle temporelle, c’est-à-dire une ligne d’univers refermée sur elle-même. Une particule empruntant un tel trajet pourrait remonter dans son propre passé et par la même modifier son futur, ce qui serait complètement paradoxal pour un être vivant !

Sur la flèche du temps

Le cours du temps est conçu par définition du passé vers le futur. La mécanique classique suppose la parfaite symétrie entre le passé et le futur, ce qui implique la réversibilité des lois du mouvement. Si les processus physiques sont réversibles, il suffit d’inverser les conditions initiales et finales pour obtenir une séquence inverse des phénomènes, qui donnerait l’impression de remonter en arrière dans le temps. Cette expérience est impossible : les phénomènes que l’on peut expérimenter à notre échelle sont toujours macroscopiques et font intervenir l’irréversibilité de la physique statistique par l’entremise de la thermodynamique. Il existe donc une direction privilégiée du temps, indiquée par une flèche. Divers domaines de la physique engendrent leur propre flèche. Je les passe rapidement en revue :

La flèche radiative où le cours du temps se manifeste de manière objective. Les phénomènes électromagnétiques ne font connaitre que des ondes retardées (une onde n’apparaît qu’après sa source) et non des ondes avancées qui seraient mathématiquement possibles. Cette différence entre l’électromagnétisme et la mécanique tient à la valeur finie de la vitesse de propagation des interactions électromagnétiques, celle de la lumière.

La flèche thermodynamique est la plus ancienne et la plus manifeste flèche reconnue par la physique. Elle correspond à l’augmentation irréversible de l’entropie pour tout système fermé. Je la détaillerai dans le prochain chapitre. Notons que la flèche du temps biologique parait contradictoire avec cette loi de l’entropie, mais elle est en accord avec elle si l’entropie de l’environnement est prise en compte.

La flèche ultramicroscopique : Certains processus de la physique des particules élémentaires, telle la désintégration du méson K0, sont temporellement orientés. N’étant pas spécialiste de physique des particules, je n'en dirai pas plus.

La flèche quantique : Lorsqu’on effectue une mesure, par exemple l’énergie, sur un système physique microscopique (atomes ou autres particules), il se produit une modification brutale de la fonction d’onde qui, avant la mesure, permet de calculer la probabilité d’une grandeur de la mesure. Un seul des résultats à priori possible se réalise lors de la mesure et la description mathématique du système est modifiée. Le processus même de mesure, appelé réduction du paquet d’ondes, engendre donc l’apparition irréversible des propriétés classiques.

La flèche cosmologique : L’expansion de l’univers (Q2) présentement observée définit une direction temporelle, probablement liée à une flèche gravitationnelle, l’univers étant gouverné à grande échelle par la gravitation (voir Annexe Q3, Q5). Les systèmes gravitationnels ont la possibilité de se contracter sans limite pour former irréversiblement des trous noirs et des singularités. Certains physiciens estiment qu’il s’agit la de la "flèche mère" dont dériveraient toutes les autres. Notons que celle-ci n’est pas une propriété de l’espace-temps, mais de la matière-espace-temps.

Le deuxième principe et l'entropie

Parmi les équations de la physique, il y a celles qui sont fondamentales, au sens où elles rendent compte des comportements de base de la matière. On les qualifie de microscopiques, car elles concernent essentiellement les "briques élémentaires", atomes ou molécules (typiquement de l’ordre de l’angström : 1Å =10-10m) à partir desquelles la matière est censée se construire. Les équations microscopiques de la physique classique sont toutes réversibles : Lorsqu'on fait s'écouler la variable temps vers le futur, les équations décrivent un certain mouvement des particules. Si l'on fait s'écouler la variable temps dans l'autre sens, le mouvement calculé est le même que précédemment, mais décrit en sens inverse. A côté de ces équations microscopiques, il y en a d'autres, qui résument un comportement plus global de la matière. Ces équations, dites macroscopiques, décrivent des phénomènes qui se produisent à une échelle proche de la nôtre (au moins 100 fois les dimensions atomiques). Elles sont irréversibles. Par exemple, l'équation de la chaleur indique que celle-ci ne peut circuler qu'en sens unique, du chaud vers le froid, et non l'inverse. L’irréversibilité des phénomènes dans un système isolé n’échangeant rien avec l’extérieur (par exemple une réaction chimique, ou un morceau de sucre qui se dissout dans l’eau) va s’identifier pour nous à l’orientation du temps. Toute irréversibilité traduit une dissymétrie des lois de la nature par rapport au temps : la plupart des équations d’évolution macroscopiques ne sont pas invariantes par renversement du temps (changement de t en –t), et une flèche du temps apparaît. Cette dissymétrie n’est pas une propriété du temps en soi, mais doit être attribuée aux processus physiques régissant l’enchainement des évènements. La grande majorité des événements dont nous sommes témoins sont en effet irréversibles. Par exemple, lorsqu'un film est projeté à l'envers (ce qui revient à inverser le cours du temps), nous nous en rendons compte immédiatement.

Une première série de propriétés entre dans le cadre du premier principe : il s’agit des lois de conservation, de l’énergie, de la charge électrique, de la quantité de matière ou du nombre de particules. Ces grandeurs restent inchangées et ne permettent pas de distinguer un sens d’écoulement du temps.

Au contraire, la différence entre instant initial et final est à la base du deuxième principe. Son énoncé fait intervenir une grandeur fondamentale, l’entropie S, associée à chaque état d’un système caractérisé par divers paramètres comme la température, la masse des constituants, le volume. Pour un système isolé, le deuxième principe affirme que l’entropie S ne peut que croître avec le temps ou rester constante. Par exemple, l’entropie totale d’un morceau de sucre et d’une tasse de café est inférieure à l’entropie du café sucré, de sorte que l’évolution implique la dissolution du sucre. Notons que ce principe ne peut s’appliquer aux cellules vivantes qui sont des systèmes ouverts et échangent de la matière et de l’information avec leur environnement. Elles sont donc en lutte permanente contre leur destin de désorganisation universelle.

L’entropie apparaît comme indicateur du sens d’évolution et sa croissance dans le temps mesure le degré d’irréversibilité d’un processus. La croissance de l’entropie d’un système isolé signifie que le désordre augmente inéluctablement, jusqu’à atteindre la valeur maximale permise. Elle traduit une perte de connaissance, provenant du fait que seules les caractéristiques macroscopiques d’un objet sont accessibles (voir Annexe Q4). De même que le concept de probabilité, l’entropie doit être considérée comme un outil à faire des prévisions : elle sert à déterminer dans quel sens un système évoluera et dans quel état final il aboutira. Comme en physique quantique, l’observateur s’introduit au cœur même d’une théorie physique, puisque la croissance de l’entropie se présente comme la manifestation à notre échelle d’une perte d’information.

Annexe : Questions (ouvertes) sur le temps et la cosmologie

Q1. Le temps est-il apparu lors de la création de l’Univers ?

Le modèle du big-bang énonce que l’Univers est en expansion depuis un état extrêmement dense et chaud que l’on désigne par "singularité". L’Univers observable serait donc né à partir d’une violente expansion de cette singularité, il y a environ 13,8 milliards d’années. Il s’en est suivi une dilatation de l’espace avec le temps, un refroidissement de toute la matière cosmique avec formation des noyaux et des atomes, puis plus tardivement des étoiles et des galaxies. Le temps a-t-il été créé en un unique évènement lors du big-bang ? Qu’est-ce qui a provoqué l’expansion ? Qu’y avait-il avant le big-bang ? Ces questions restent ouvertes car la théorie de la relativité n’est valable que pour des densités de masse pas trop élevées, inférieures à environ 1096 kg m-3, et un temps supérieur à environ 10-43 sec. Cette barrière dite de Planck (physicien du début du 20èmesiècle) marque la limite de nos connaissances et nous ne savons pas la franchir. Le modèle du big-bang ne peut être invoqué comme théorie de la création ou de l’origine du Monde, ni celui du temps. Sans espace et temps, nous ne pouvons ni faire de science, ni penser l’évènement "début de l’univers".

Q2. D'où vient l' expansion accélérée de l'Univers  ?

Nous savons que l’univers est en expansion car les galaxies s’éloignent les unes des autres, et ce d’autant plus vite qu’elles sont éloignées. Mais on estimait que cette expansion engendrée par l’impulsion originelle du big-bang se ralentirait à cause de la gravitation subie par toute la matière. Or des observations faites en 1998 sur des supernovae (explosions d’étoiles extrêmement lointaines) prouvent qu’elles sont en fait plus éloignées que ce que l’on prévoyait et donc que l’univers est en expansion accélérée depuis environ cinq milliards d’années. Pour expliquer ces observations inattendues, il a fallu imaginer une nouvelle forme d’énergie capable de s’opposer à la gravitation qui ralentit l’expansion de l’univers. Cette mystérieuse énergie, constituant l’univers à 69% a été confirmée par des observations indépendantes. La matière visible et la matière invisible ou « noire » ne représente que 31% de l’énergie totale, le reste étant occupé par une source d’énergie inconnue. Cette énergie dite noire qui n’émet aucun rayonnement reste mystérieuse car elle ne peut être observée de manière directe. Pour certains théoriciens, elle serait décrite par la constante cosmologique, liée à un phénomène de fluctuations du vide quantique emplissant tout l’espace. Un autre scénario postule une nouvelle force fondamentale pour cette énergie noire qualifiée de quintessence, dont la densité et la pression varieraient au cours du temps. Enfin une autre interprétation de l’expansion accélérée de l’Univers proviendrait de la manifestation d’effets gravitationnels non prévus par la théorie de la relativité générale de la gravitation. Vérifiée à maintes reprises à l’échelle du système solaire et des galaxies, celle-ci ne serait plus adaptée aux très grandes échelles de l’Univers. Des projets futurs, tels le satellite Euclid dont le lancement est prévu en 2020, pourraient-ils apporter une réponse à l'accélération de l’expansion de l’Univers ? 

Q3. Que devient la flèche du temps si l’expansion de l’Univers s’arrête ?

Le temps va de l’avant tant que dure l’expansion, mais que se passerait-il si l’expansion devait s’arrêter et être remplacée par un effondrement ?  Le volume se contracterait, et peut-être le temps avec lui ! La relativité générale permet un tel comportement, même si les données cosmologiques actuelles rendent cette inversion invraisemblable. En ce point de rebroussement, le temps peut-il s’inverser en raison de l’évolution même du monde ? Le plus vraisemblable est qu’une telle inversion de la flèche du temps n’est qu’une illusion des modèles mathématiques. Autre question : son avancement est-il inéluctable ou bien est-il lié au développement de l’Univers ? On se souviendrait alors du futur et on prédirait le passé… Ne rêvons pas, si l’expansion s’arrête, l’Univers rapetissera irrémédiablement et deviendra de plus en plus chaud et dense, le fleuve du temps poursuivra probablement son cours.

Q4. Comment comprendre l'entropie, fonction dissymétrique par rapport au temps de l'état macroscopique d'un système, alors que l'évolution microscopique de chaque particule du système (atome, molécule) est symétrique ?

Voulant approfondir cette question, Boltzmann tenta de trouver un lien entre la mécanique newtonienne et le second principe de la thermodynamique. Comme il est impossible d'intégrer rigoureusement les comportements d'un très grand nombre de particules, il eut recours aux lois de la statistique, abandonnant le calcul explicite des trajectoires pour celui des probabilités. Il constata en 1872 qu'on pouvait construire une grandeur mathématique, fonction des positions et des vitesses des molécules du gaz, ayant une propriété remarquable : sous l'influence des collisions entre les molécules, elle ne peut que diminuer au cours de l'évolution vers l'équilibre, ou rester constante si le gaz est déjà à l'équilibre (auquel cas tout se passe comme si le temps ne s'écoulait plus). Elle est donc, au signe près, l'analogue de l'entropie. Ainsi, l'agrégation statistique des équations réversibles de la dynamique des particules conduit-elle à une équation macroscopique irréversible. Cela conduisit Boltzmann à interpréter l'irréversibilité comme résultant d'une évolution d'un état macroscopique peu probable vers un état plus probable. La croissance de l'entropie d'un système isolé exprimerait simplement la tendance moyenne, manifestée par ce système, d'évoluer vers des états de plus en plus probables à l'échelle des molécules, c'est-à-dire vers des états de plus en plus désordonnés. La flèche thermodynamique du temps ne serait autre que celle qui va de l'ordre vers le désordre.

Ainsi l'irréversibilité semble-t-elle surgir un peu miraculeusement au bout des calculs. Mais ces calculs interprètent l'irréversibilité comme n'étant qu'une réalité statistique propre aux systèmes macroscopiques, c'est-à-dire contenant un très grand nombre de degrés de liberté. Au niveau microscopique, les phénomènes restent, eux, réversibles. L'irréversibilité ne serait donc qu'une propriété émergente caractéristique des seuls systèmes complexes. Elle serait de fait et non de principe. Notons que quelques physiciens jugent impossible de soutenir que l'irréversibilité procède de notre ignorance des "détails fins" ou de notre subjectivité humaine et considèrent que quelque chose d'essentiel a dû échapper à la physique. Ainsi, au lieu de dire qu'il n'y a pas de flèche du temps, mais que le niveau macroscopique crée l'illusion qu'il y en a une, Prigogine proclame qu'il y a une flèche du temps, mais que le niveau microscopique crée l'illusion qu'il n'y en a pas. Il reste cependant à déterminer précisément comment la flèche du temps parviendrait à contredire tout l'édifice de la physique classique, si notoirement indifférent au message d'irréversibilité.

Q5. Que peut-on dire sur l’entropie de l’Univers ?

La gravitation permet d’augmenter l’ordre à cause de son caractère attractif. Un gaz réparti à peu près uniformément comme la matière peu après le big-bang, présente peu d’ordre et d’organisation, il a donc une forte entropie. La gravitation intervient forcément et mène à un renforcement des densités là où le gaz est par hasard un peu plus concentré. Progressivement se forment dans l’Univers des structures ordonnées qui aboutissent à des galaxies et des étoiles. L’ensemble de ces structures est plus ordonné que l’état initial et son entropie a baissé sous l’effet de la gravitation. Certaines étoiles peuvent avoir des planètes et leur fournissent de l’énergie lumineuse issue des réactions nucléaires qui interviennent dans leur cœur, initiées par la gravitation. Si les circonstances sont favorables, comme sur la Terre, il peut apparaître des structures vivantes bien plus organisées qui consomment l’énergie fournie par l’étoile.

Plutôt que de parler d’une entropie toujours croissante, il vaut mieux admettre un niveau presque constant qui peut se trouver diminué localement par des processus physiques. En fait, l’entropie de l’univers est énorme car il existe un grand nombre de possibilités pour bâtir un Univers d’une taille donnée, d’un taux d’expansion et d’une accélération imposés. Faisons une hypothèse osée : S’il y avait eu un avant big-bang ? Un monde qui se serait effondré sur lui-même avant de rebondir et d’entrer de nouveau en expansion ? Si donc cet univers en rebond a un âge non fini mais arbitraire, s’il a connu une longue série de cycles en expansion et en effondrement, cela oblige à postuler un état très particulier, extrêmement ordonné, qui a conduit l’univers dans son état actuel. On aimerait pouvoir ainsi expliquer l’aspect de l’univers à grande échelle et la possibilité d’un système solaire capable de supporter la vie. Faut-il en conclure que notre univers n’a pu naître que d’un état finement ajusté, après une succession de cycles contraction-singularité-expansion ?

Q6. Le temps est-il continu ou discontinu ?

L’espace et le temps sont-ils des entités continues de sorte qu’il puisse exister des longueurs ou des durées aussi petites que l’on veut, sans jamais atteindre de limite ? Supposons que le temps soit discontinu, constitué d’instants particuliers, séparés les uns des autres par des durées privées de temps. Comment le cours du temps pourrait-il sans cesse s’arrêter puis redémarrer ? L’idée d’un temps discontinu nous ramène aux difficultés à concevoir un temps arrêté ! Pourtant, cette idée n’est pas saugrenue puisque d’après la physique quantique l’espace pourrait être lui-même "discret" c'est-à-dire  non continu. La longueur et le temps de Planck : lP ~1,6 10-35 m,  t~  5,4 10-44 s sont les plus petites mesures possibles ayant une signification physique dans le cadre des théories actuelles. En dessous de ce temps de Planck, les événements sont considérés comme simultanés. Les durées élémentaires pourraient-elles ne prendre que certaines valeurs particulières ?

Q7. Le temps n'a-t’il qu'une dimension comme il est généralement admis, ou plusieurs dimensions ?

La théorie des "supercordes" (non encore validée expérimentalement) met en scène un espace-temps à 10 dimensions au lieu des 3 spatiales et une temporelle habituelles, dont certaines sont imperceptibles à notre échelle. On pourrait imaginer que parmi les dimensions supplémentaires, l’une au moins soit temporelle et non spatiale, ce qui signifierait que le temps a plusieurs dimensions dont une (imperceptible) serait enroulée sur elle-même et violerait le principe de causalité. Celle-ci serait donc une authentique machine à remonter le temps, du moins pour certaines particules élémentaires !

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 - 26/09/2015

D’après E. Klein, physicien et philosophe, il y aurait deux conceptions du temps : l’univers-bloc et le présentisme. Dans l’univers-bloc l’espace-temps serait statique, sans temporalité propre et c’est notre mouvement dans l’espace-temps (je préférerais invoquer ici notre conscience) qui créerait en nous l’impression que le temps passe. On considère alors que les événements passés, présents et futurs coexistent dans cet espace-temps (d’après la théorie de la relativité générale qui décrit la géométrie de l’univers). Les événements dits « présents » se produisent là où nous sommes présents dans l’espace-temps qui contiendrait l’intégralité de l’histoire de la réalité (donc passé, présent et même futur !) que nous découvririons pas à pas (j’avoue ne pas bien comprendre cette dernière conception qui semble s’opposer au principe de causalité). Dans le présentisme, on défend l’idée évidente que seuls les évènements présents sont réels, et donc que seul le « maintenant » existe. L’univers-bloc serait incompatible avec la physique quantique décrivant le monde des particules, et le présentisme s’accorderait mal avec la théorie de la relativité générale. Or la physique contemporaine s’appuie sur deux piliers qu’on a du mal à unifier : la physique quantique d’une part et la relativité générale d’autre part.

D'après le physicien Lee Smolin le temps, défini comme une succession d'instants, est l'aspect le plus réel de notre perception du monde. Par contre l'espace ne serait qu’une approximation émergeant d’une théorie plus complexe de la physique quantique. Les lois de la nature évolueraient dans le temps, le futur ne serait pas totalement prédictible, et de ce fait ouvert. Cette conception de la réalité du temps s’oppose totalement à celle de l’univers-bloc issue de la relativité générale. D’autre part, d’après ce physicien le big-bang est en réalité un rebond qui pourrait être expliqué par l'histoire de l'univers précédent, l'univers s'auto-organise vers des niveaux de complexité croissants, pilotés par la gravitation.

- 30/12/2023

D'apres M. Lachieze-Rey et M. Bitbol, une horloge ne mesure que des durées, il n'y a aucun moyen de mesurer le temps. Si on synchronise 2 horloges parfaites, il suffit d'en déplacer une pour qu'elle ne soit plus synchrone avec l'autre (principe de relativité). Les physiciens ont construits le temps qu'ils utilisent dans tout calcul, mais ils sont incapables de le définir. Chaque système a un temps  different, le temps universel n'est valable qu'à l'échelle de notre planète. Il n'est rien en dehors du sujet, c'est une représentation de notre état intérieur. Tous les instants préexistent dans l'univers-bloc qui est donc seul considéré actuellement. A la question que je posais dans mon premier article : le temps existe-t-il sans la conscience ? La réponse (définitive ?) est non.