Guerre en Ukraine : intervention de
Jean-Luc Mélenchon à l'Assemblée nationale. Voici la retranscription de son discours :
«Prenons de la hauteur pour mesurer le désastre dans lequel nous sommes plongé ce moment.
· Le GIEC annonce des changements irréversibles dans le climat : la moitié de l’humanité et de la biodiversité sont menacés. Mais nous sommes cloués dans un conflit qui peut dégénérer en guerre nucléaire détruisant plus vite encore toute l’humanité.
· James Webb, le plus puissant télescope que l’humanité ait jamais construit, est entré en fonction aux limites de l’orbite de notre planète.
Mais il nous faut avoir notre priorité est de surveiller depuis l’Espace des mouvements de blindés.
L’humanité est ainsi plongée dans une régression consternante.
Car en une nuit d’invasion le gouvernement nationaliste de la Russie vient de nous ramener au 19éme siècle, quand les différents entre les puissances se réglaient par la guerre. De nous ramener au 20eme siècle quand toute guerre en Europe devenait mondiale.
Quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine, rien ne peut l’excuser. Ni la relativiser.
La menace que contient cette invasion – celle d’une guerre mondiale totale. Et cela en fait un crime contre l’intérêt général humain de notre temps. Le gouvernement de monsieur Poutine en porte la totale responsabilité puisque c’est lui et personne d’autre qui est passé à l’acte.
De la sorte, la politique est faite de réalité. De fait, l’honneur de la condition humaine est dans la résistance des ukrainiens. Mais elle est aussi dans celle des Russes eux-mêmes, qui manifestent contre la décision de guerre de leur propre pays.
Ils témoignent pour l’aspiration universelle à la paix. Leurs manifestations nous donnent un modèle d’action. Elles minent politiquement la cohésion de l’appareil du gouvernement russe.
Dès lors ne l’oublions jamais : le peuple russe n’est pas notre ennemi. Nous, français, ne le confondons pas avec le régime nationaliste qui est en place.
Nous savons désormais dans quelle alternative nous sommes enfermés.
Aucune participation à la guerre ne pourrait rester limitée. Action et réaction s’enchaineraient implacablement et sans limite.
Face à une puissance nucléaire comme la Russie, la destruction nucléaire générale serait l’horizon prévisible. D’ailleurs monsieur Poutine n’a pas hésité à en menacer lui-même le monde. Dès lors, si frustrant que cela soit, le seul chemin rationnel est celui de la paix. Il porte un nom clair: la désescalade.
Si frustrant que ce soit, l’alternative reste simple : ou bien la diplomatie ou bien la guerre totale. Tout doit aller à la diplomatie et rien - si peu que ce soit - à la guerre.
Méfions-nous des solutions improvisées et des conforts de postures. Les moyens que nous employons ne doivent jamais pouvoir se retourner contre nous.
· Pourtant je regrette que l’union européenne a décidé de, je cite, « fournir des armements nécessaires à une guerre » selon les termes du commissaire Josep Borrel chargé des relations extérieures. Cette décision ferait de nous des co-belligérants. Un engrenage s’enclenche. Avec quelle légitimité ? Quand notre parlement l’a-t-il décidé ? Pourquoi avoir rompu ce que le commissaire Borrel a lui-même qualifié de « tabou de l’histoire de l’union » à savoir « ne jamais fournir d’armes à des belligérants » ?
· Orienter ces armes à partir de la Pologne, terre d’OTAN, n’est-ce pas se mettre à la merci de toutes les provocations des parties prenantes au conflit ?
· Couper le circuit financier Swift n’est-ce-pas engager une escalade mondiale en poussant russes et chinois à utiliser désormais exclusivement leur propre circuit ? Quel avantage pour la paix ?
Mieux vaudrait plutôt prendre une initiative diplomatique radicale.
C’est-à-dire accepter de traiter franchement, directement le fond du problème posé : la sécurité de chaque nation en Europe. Cette question est restée ouverte après l’implosion de l’URSS, puisque pour la première fois dans l’histoire contemporaine un empire s’est effondré sans qu’on discute les nouvelles frontières.
C’est possible. L’outil existe. Il faut pour cela ouvrir une session extraordinaire de l’Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe (OSCE) organisation créée pour cela par les accords d’Helsinki en 1975. Ce moyen existe. Déclenchons le.
La solution existe aussi. C’est la proclamation de la neutralité de l’Ukraine. Le président Zelensky s’y est dit officiellement prêt. D’ailleurs cette neutralité avait été adoptée par le parlement de l’Ukraine en 1990 le jour du vote de sa déclaration de souveraineté par 339 voix contre 5. Cette déclaration dit, je cite que l’Ukraine « déclare solennellement son intention d’être un État perpétuellement neutre qui ne participe à aucun bloc militaire. "
A cette heure, il s'agit de rendre la diplomatie plus profitable que la guerre. Il s’agit de contraindre à la négociation. Et si l’offre était faite, la contrepartie pourrait être le cessez-le-feu immédiat pour que cesse le martyr des ukrainiens.
Disons encore qu’une telle négociation est de notre intérêt le plus direct comme français. Car nous aussi nous avons des revendications de sécurité. La première est de voir interdire l’installation de missiles de moyenne portée capable d’atteindre la France depuis le sol de la Russie ou de ses alliés.
En toute hypothèse, nous venons de toucher du doigt les limites de la doctrine de dissuasion nucléaire « terrestre », je dis bien “terrestre”, face à un adversaire résolu car le « tout ou rien » enferme clairement dans le « rien » si on n’est pas prêt à se faire sauter soi-même. La guerre d’Ukraine nous oblige donc à repenser beaucoup sur nous-mêmes.
La dénucléarisation du monde doit redevenir un objectif concret de notre diplomatie puisque la surenchère nucléaire ne peut pas avoir de sens concret. La guerre d’Ukraine vient de le prouver. Et souvenons-nous à cet instant du nombre des conflits de frontières qui s’expriment encore d’une façon ou d’une autre sur le sol du vieux continent. Aujourd’hui, 13 pays sont concernés. Soit le quart des nations du vieux continent.
Cela prouve combien il vaudrait mieux convoquer à temps une conférence européenne des frontières qui permette de définir les modalités de règlement de chaque cas, et d’établir ainsi une doctrine partagée par tous.
La crise que nous vivons interroge toutes les certitudes et les doctrines passées. A l’ONU, dans le vote sur la résolution à propos de l’Ukraine, notant l’abstention de l’Inde et de la Chine, c’est-à-dire de 50 % de l’humanité.
C’est un signal d’une extrême importance. Un autre ordre géopolitique du monde s’installe déjà, à partir de l’Asie.
Il est temps alors d’actualiser nos conceptions. Le régime nationaliste russe actuel agit comme un capitalisme oligarchique autoritaire. L’invasion de l’Ukraine signe une nouvelle carte d’identité après trente ans de mutations continues.
De même, c’en est terminé du « nouvel ordre mondial » annoncé par George Bush en 1991. Le moment est entré dans le temps d’une réorganisation générale. Poussés dans les bras l’une de l’autre par la stratégie des USA, Russie et Chine font émerger un nouveau bloc. Hélas nous avons été incapables de promouvoir l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ! Est-il trop tard ?
Dans ce nouveau contexte, les automatismes et les allégeances du passé ont-ils un intérêt pour nous français ? Je ne le crois pas.
Le non alignement est notre intérêt. Dans la situation mouvante de notre temps, nous ne devons être les obligés de personne. La sortie de l’OTAN, organisation inefficace, participe par sa volonté d’expansion aux tensions guerrières sur notre continent.
« Non alignement » ne signifie pas neutralité. Le choix de la France la met du côté du droit international. Et ce droit est du côté de l’Ukraine.
Non alignés, nous serons libres pour mener une diplomatie vraiment altermondialiste.
D’une faiblesse, d’un malheur, faisons une force. La crise en cours comporte tous les risques mais aussi tous les moyens d’un rebond positif.
Attention ! Les postures de « va-t-en guerre » pullulent toujours autour des conflits.
Mais l’action politique démocratique à toutes les échelles n’est rien d‘autre qu’un effort toujours recommencé pour régler par la discussion et la décision collective la violence des conflits qui divisent la société.
La démocratie reste un choix d’optimisme politique.
A cette heure, c’est la démonstration que nous devons en faire à propos de la crise de l’Ukraine. »