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Стихи в переводе на французский язык (fb2)
- Стихи в переводе на французский язык (пер. Марина Ильинична Свешникова) 146K скачать: (fb2) - (epub) - (mobi) - Иван Алексеевич БунинИван Бунин
Стихи в переводе на французский язык
Il faut me redresser pour l’accueil de belles
Sensations des moments printaniers!
Ouvre-moi tes étreintes pour que je me mêle,
La Nature naissante, à ta beauté!
C’est un vaste espace de couleur bleue sans fin
Que je vois dans le haut firmament!
Ce sont de larges champs verdissants au loin
Où mon cœur resterait tout le temps!
Lа première neige
C’est l’hiver et le froid souffle
Sur les bois et sur les champs.
Le soleil couchant allume
Le ciel du pourpre éclatant.
Et après la forte tempête
Dans la nuit, dès le matin,
La première neige couvre cette
Cité, les champs, le jardin.
Aujourd’hui au-dessus d’une grande
Nappe blanche des champs neigeux,
Aux oies qui s’attardent à prendre
Leur vol, nous disons adieux.
Sur la cour, dans la matinée,
Des ombres bleu clair se reflètent;
Sous les auvents des maisonnettes,
Le froid tient des herbes argentées.
Déjà, on sent une vive chaleur,
On entend au bûcher une hache,
Et la volée de colombes blanches
Brille comme la neige de sa blancheur.
Dès l’aube, par delà la rivière,
Le coucou chante dans le lointain.
Dans la boulaie verte, on retient
L’odeur des champignons. Très claire,
La rivière rit et palpite, car
Elle joue sous le soleil, joyeuse.
Et dans les boulaies silencieuses,
On entend les coups du battoir.
***
En bas, au lointain bleuâtre,
Le soleil rouge glisse.
Au milieu de larges steppes,
Les épis mûrissent.
La sonnerie des cloches aux vêpres
S’envole du village.
On entend le coucou triste
Loin dans les bocages.
C’est la douce odeur mielleuse
Du blé noir qui hale,
Heureux sont tous ceux qui couchent
À la belle étoile.
Le soir, l’horizon est rouge,
Le soleil se couche.
Heureux sont ceux qu’en pénombre,
Le vent tiède y touche,
Pour qui, dans la nuit profonde,
Les étoiles scintillent
Et, avec une lueur douce
Dans le ciel, elles brillent,
Qui sont pris par la fatigue
Du travail pénible
Et s’endorment sous l’étoile
Dans la steppe paisible.
Dans le bois, on fait entendre
La pluie qui tombe sur les arbres,
Sur les fleurs aussi…
Tu entends le chant qu’on chante?
Au bois, une voix insouciante,
De loin, retentit.
Dans le bois, on fait entendre
La pluie qui tombe sur les arbres,
Le ciel est limpide…
Ton image va vite surprendre
Chaque cœur, elle le fait s’éprendre,
Le Printemps splendide!
Oh, ces belles espérances
Chères au cœur! De petits bois denses
Vous ont tant menti…
La voix tendre qui appelle,
S’éteint après cette si belle
Chanson petit à petit!
Enfance
Plus il fait chaud, plus il est doux au bois
Pour respirer l’arome des conifères
Et je suis gai de diriger mes pas
Dès le matin dans ces belles chambres claires!
Partout, il y a un vif rayonnement,
Le sable est comme la soie; et je me serre
Contre le pin, je sens que j’ai dix ans
Mais ce tronc est un lourd géant austère.
Lа rude écorce est ridée et chauffée!
Et ce n’est pas l’odeur des conifères
Que je sens, mais celle de la chaleur et
De la sécheresse de la lumière solaire.
Le minuit est profond, le croissant réfléchit;
La ferme est seule dans les champs…
Une large plaine dort dans le silence de la nuit,
On sent la tiédeur du vent.
Éclairés de très loin, les champs des blés mûris
Se tiennent comme une mer sans fin…
Puis le vent souffle plus fort, les champs endormis
Bruissent des épis presque pleins.
Mais le vent souffle toujours, au ciel, les nuages
Cachent peu à peu le croissant,
Une grande ombre douce qui, lentement dans l’air,
nage,
Couvre les prés et les champs.
Une houle cendrée est au-dessus de larges champs;
Au-dessus de la lisière,
La lumière qui descend de petits nuages en vibrant
Court par une onde d’or, très claire.
La nuit paraît à un rêve, à un conte de fées,
Le doux sommeil est inquiet
Par la caresse anxieuse de la belle nuit d’été
Au point du jour en juillet …
***
La lumière disparaît tellement triste
Au coucher du soleil! Regardez:
Sur le chaume, derrière la proche lisière,
On ne voit rien plus loin dans les prés.
Sur la plaine, la pénombre d'automne
Se répand dans la nuit largement;
Les silhouettes des saules sont visibles
À l'ouest écarlate légèrement.
Pas de bruit! Le cœur plein de tristesse
En languit, mais personne ne comprends…
Est-ce parce qu’on est si loin d’un gîte,
Est-ce parce qu'il fait si sombre aux champs?
Ou est-ce parce que l'automne qui s’approche
Sent toujours quelque chose de très cher:
D’une tristesse silencieuse du village
Et de nos champs déserts?
Les champs deviennent plus sombres et la lumière
solaire
S’y noie avant la nuit comme dans la mer sans fin,
L'obscurité douce suit dans la steppe la lumière
Muette et triste qui s'éteint.
Seuls des zisels y sifflent ou sur la dérayure,
Comme une ombre, une gerboise court
mystérieusement
Par de grands sauts rapides sans bruit à toute allure,
En s’éclipsant aux champs…
***
Tous les oiseaux partent. Le bois vide
Périt, malade, de la façon
Docile et le ravin humide
Sent une odeur de champignons.
Ils deviennent clairs, les fourrés denses.
Sous les buissons, l’herbe est foulée.
Avec les pluies d’automne intenses,
Les feuilles vont se décomposer.
Le vent souffle aux champs. Le jour sombre
Est frais et toute la belle journée,
J’erre dans la steppe jusqu’aux pénombres
Loin des villages et des cités.
Bercé par le pas monotone
Du cheval, par une paix, envahi,
J’écoute le vent qui chante et sonne
Dans les canons de mon fusil.
Au loin maritime,
Le soir va s’éteindre…
Le ciel devient sombre,
Les vagues deviennent sombres…
Le soleil qui couche
Jette la douce lumière
Des dernières lueurs…
Mais mon âme refuse
Tout cela de connaître.
Étranger, j’arrive
Chaque soir sur la côte.
Assis sur une pierre,
Je regarde une voile
Et la douce lumière
Des dernières lueurs…
Alors, mon cœur pleure
De la même tristesse:
Toujours, il me semble
Que, par une traverse,
Je vais dans la steppe;
Le soleil qui couche
Lentement, éclaire
Au loin la mer sombre
Des blés mûrissants…
***
Partout au bois, le jour est sombre.
Les dépressions sont bleues; aux prés,
L’herbe argentée blanchoie dans l’ombre
Et un hibou s’est réveillé.
Des pins passent vers l’ouest en file
Comme des troupes de gardes aux aguets.
L’Oiseau-de-feu solaire scintille
D’une lueur pâle aux vieilles forêts.
Tempête de neige
La nuit, aux champs, quand une tempête chantonne,
Dans le sommeil, des bouleaux blancs redonnent …
La lune éclaire ce paysage champêtre,
Une ombre pâle court et va disparaître…
Cette nuit noire, j’entrevois que, dans la brume,
Le Père Frimas rôde dans le clair de lune.
Le vent chante, on entend dans une chaumière
Que le berceau craque doucement… La lumière
De la lune perce une obscurité fine,
Luit sur les bancs par les fenêtres argentines.
Cette nuit, j’entrevois parmi les bouleaux:
Le Père Frimas regarde par les carreaux.
Une route dans la steppe s’en va en silence!
La neige blanche la couvre en abondance.
Les villages dorment. Les sapins solitaires
Somnolent aux chants du vent… Au cimetière,
Le Père Frimas rôde partout à petits pas –
Ce n’est pas la steppe que j’y entrevois …
Patrie
Sous les nuages de plomb au ciel sombre,
Le jour d’hiver, morose, s’éteint;
Et des pinèdes s’en vont dans l’ombre
Sans fin et des villages sont loin.
Au-dessus des neiges du désert pâle,
Comme, chez quelqu’un, un doux chagrin,
Seul, le brouillard d’un bleu opale
Allège ce nébuleux lointain.
Chute des feuilles
Comme un château tout bariolé,
Le bois est peint de couleurs claires:
Lilas, dorées. Il peut sembler
Au mur autour de la clairière.
Partout, l’azur pur est percé
Par les feuilles jaunes des bouleaux et,
Comme des tours, les sapins se tiennent
Parmi les érables et les chênes.
On voit dans le feuillage troué
Les éclaircies du ciel limpide
Et le bois sent le pin séché
Au soleil. Comme un veuf timide,
L’automne doux entre après l’été
Dans son château tout bagarré.
Ce jour-là, sur une clairière vide,
Comme au milieu d'une large cour,
Brillent des toiles d'araignée splendides,
Comme de l'argent. Et tout ce jour,
Un papillon, dans la cour, danse
Et, comme un petit pétale blanc,
Après ses jeux gais, sans mouvement,
Se tient sur une toile en silence,
Chauffé par la chaleur solaire;
Ce jour-là, il fait tellement clair,
Et le silence va se répandre
Sur tout le bois et le ciel bleu
Et dans ce grand règne silencieux,
Le bruit d’une feuille se fait entendre.
Comme un château tout bariolé,
Le bois est peint de couleurs claires:
Il est autour de la clairière,
Ce grand silence l’a fasciné;
En s’envolant, un merle glousse
Parmi des germes qui y poussent,
Des feuilles versent une lueur ambrée
Et dans le ciel, on voit danser
Des étourneaux. Mais une brise douce,
Encore une fois, va tout calmer.
Oh, quel bonheur et ses dernières
Minutes! L'automne est seul qui sait
Qu’à cause du grand silence muet
Il fait mauvais dans l’atmosphère.
Le bois est toujours silencieux,
Etrange, quand le soleil se couche
Et l’éclat pourpre et doré touche
Le château qui brille comme en feu.
Ensuite, la nuit tombe d’un air sombre.
La lune se lève et, dans le bois,
Des ombres glissent… Il fait froid
Et il devient clair en pénombre
Sur les clairières, dans les fourrés
Du bois. Et même l'automne se montre
Dans la nuit comme d’effroi glacé
Dans ce silence inhabité.
Il est tout autre, ce silence:
Écoute-le, il devient plus grand,
La lune pâle se lève lentement,
Terrible dans le ciel immense.
Elle fait plus courtes toutes les ombres,
Jette sur le bois un voile brumeux,
Elle lance droit des regards sombres
De la hauteur du ciel aux yeux.
Sommeil profond de la pénombre!
Moment, dans la nuit, mystérieux!
Dans l’argent d’un brouillard humide,
La clairière est brillante et vide.
Le bois est inondé de blanc,
Comme si sa mort que sans mouvement,
Il sent, est proche. Même une hulotte
Reste immobile, et elle se tait,
Regarde des branches d’un air niais,
Rare est son ululation sotte.
Soudain, elle vole du haut en bruit,
En agitant ses grandes ailes molles,
Elle s'assied sur les buissons, puis,
Elle tourne la tête, comme une folle,
Sur les côtés, avec les yeux
Tout ronds comme d’une grande surprise;
Le bois est transi de sa prise
Par un obscur souffle brumeux,
Les feuilles sont humides, comme s’il pleut…
À l’aube, il ne faut pas attendre
Que le soleil soit dans le ciel.
Le bois froid est plein de brume tendre
Après telle nuit avec du gel!
Profondément, l'automne se cache
Ce qu'il a eu cette nuit, et telle
Est sa grande solitude qu’il tâche
De s’enfermer dans son château.
Que la pluie fasse rage aux fourrés!
Que les nuits soient pluvieuses et sombres!
Que les yeux des loups brillent dans l’ombre
D’un feu vert aux bois, sur les prés!
Le bois est, comme sans surveillance,
Un château noir et tout déteint,
Et le septembre fait sa danse,
Il lui enlève le toit. Enfin,
Il couvre l'entrée de feuilles mortes
Et des gelées précoces qu’il porte
Commencent à fondre, en tuant tout…
Loin dans les champs vides, des cors sonnent,
Et on entend leur chant partout
Comme un cri triste et monotone
Aux champs où règne le froid de loup.
Le bruit des arbres dans la plaine
Se perd très loin au fond des bois,
Un cor de Turin, hurlant, mène
Les chiens de chasse vers leur proie,
Le chahut des chiens qui aboient
Sonne comme une tempête qu’on déchaîne.
Il pleut, il fait froid, comme s’il gèle,
Des feuilles jaunes tombent sur les clairières,
Et au-dessus du bois, les dernières
Oies battent, en s’envolant, des ailes.
Les jours passent. Des fumées fragiles
Se lèvent debout chaque matinée.
Le bois est pourpe et immobile,
Le sol givré semble argenté.
Et dans son beau manteau d’hermine,
Avec un pâle visage lavé,
Quand son dernier jour le fascine,
L'Automne sort par la porte d’entrée.
La cour froide est vide. De la porte,
Parmi deux trembles desséchés,
Loin, il voit le bleu des vallées
Et le désert d’une tourbière morte.
Il en voit la route vers le Sud:
Là, se sauvant de l’hiver rude,
Du froid, de la neige, des tempêtes,
Dès le matin, l'Automne se jette;
Suivant les oiseaux, il ira
Au Sud, par son chemin solitaire,
Et, dans le bois vide, il quittera
Son beau château sur la clairière.
Pardon, cher bois! Pardon, adieu!
Le jour sera doux. La nouvelle
Neige va argenter, blanche et belle,
Des champs déserts et silencieux.
Ce jour, le bois vide est bizarre
Comme un château tout en blanc froid
Qui ce jour-là partout, s’empare
Des villages calmes sur les toits,
Et du ciel bleu où, sans frontières,
Les champs vides sans fin disparaissent!
Des zibelines, des martres se laissent
Jouer sur les prés aux congères!
Elles vont courir et gambader
Sur la neige douce pour se chauffer!
Et là, comme si un sorcier danse,
Les vents s’engouffrent dans le bois,
Venus de l'océan immense
Avec la neige de la Toundra.
Ils hurlent comme une bête sauvage,
Détruisent le vieux château en rage,
Et il n’en reste que des pieux.
Sur ce squelette défectueux,
Ils accrocheront des gelées blanches,
Et des palais, sous le ciel bleu,
Brilleront d’argent, parmi les branches,
Et de cristaux miraculeux.
La nuit, ces beaux dessins blancs restent
Et les feux brillent des voûtes célestes.
À cette heure calme, les Pléiades
Lancent du haut la lumière glaciale.
Cet incendie, dans la nuit froide,
Allume les aurores boréales.
***
Pas de soleil, mais les étangs
Sont clairs comme de grands miroirs lisses
Et les bassins d’eau, sans mouvement,
Paraissent vides mais les reflets glissent
De beaux jardins comme là-dedans.
Une goutte, tout comme la tête d’un clou,
Tombe et des aiguilles, par centaines,
Sillonnent sur les étangs. Partout
La pluie brillante saute sur la plaine,
Fait du bruit au jardin surtout.
Le vent mêle des plantes quand il pleut,
Jouant avec des feuilles tremblantes.
Les rayons solaires mettent du feu
À des étincelles frémissantes
En remplissant des mares de bleu.
Voilà l’arc-en-ciel… On est gai
Qu’on y vive et qu’on réfléchisse
Au ciel et aux blés qui mûrissent,
Au petit bonheur pour l’apprécier.
On est gai de rôder nue-tête
Et de voir des enfants répandre
Le sable d’or dans la gloriette –
Pas d’autre bonheur à attendre!
Au carrefour du destin
Au carrefour où un vieux champ s’enfonce
Au loin, un corbeau est sur la croix.
La steppe libre s’est couverte de ronces;
Dans l’herbe, en rouille, il y a un pavois.
Au carrefour, une inscription fatale
Est tracée: “Si tu prends le chemin droit,
Tu auras des maux jusqu’à la dalle
Funèbre; à peine viens-tu par cette voie.
Tu restes sans cheval, si tu vas à droite,
Tu te traîneras à peine seul et nu.
Celui qui va à gauche à la hâte,
Mourra vite dans des champs inconnus”.
J’ai peur; au loin, des tombeaux se tiennent –
Le passé dort d’un somme éternel.
“Et la voie dans la contrée lointaine?
Montre-la, corbeau, noir aux ailes!”
Le midi somnole et sur les sentes,
Les os pourissent dans l’herbe. Et je vois
Trois voies là, dans la plaine jaunissante:
Où, comment aller et par quelle voie?
Où est le bout de la plaine immense?
Qui fait peur à mon cheval? Et du loin
Bleu, qui m’appelle en profond silence
Avec la voix d’un vrai être humain?
Je suis seul au champ. La vie m’appelle
Hardiment, la mort regarde aux yeux…
Sur la croix, le corbeau noir sommeille,
Sombre et grave – et personne dans ce lieu.
Là-haut, sur les neiges blanches d’un faîte,
Avec une lame, j’ai tracé un sonnet.
Les jours passaient. Peut-être, ma trace faite
Reste à présent dans les neiges au sommet.
Là où les cieux sont bleus de couleur nette,
Où la lumière d’hiver brille dans l’air frais,
Seul le soleil a vu que mon stylet
Gravait сe vers sur la glace. Le poète
Est seul qui puisse comprendre, j’en suis gai,
Bien que la foule qui le salue, ne mette
Jamais son cœur en joie dans la vallée.
Là où les cieux sont bleus de couleur nette,
À un midi, j’ai tracé un sonnet
Pour celui qui est là, au faîte.
***
La déesse du chagrin m’a servi un calice de vin
sombre.
J’en ai bu calmement, et une langueur mortelle me
saisit.
La déesse me sourit froidement et dit d’un air
impassible:
“C’est mon doux poison des ceps de vignes sur la
tombe de l’amour”.
La Fille Vernale
(Extrait)
Je me précipitais avant l'orage
Dans la nuit chaude parmi les vagues murmures
Du bois, en trébuchant contre les souches,
Perdu au bois, suivant La Fille Vernale.
Comme un trait, elle passait parmi les arbres
Et, blanche, apparaissait là par moments.
Avec le cœur tremblant comme une colombe,
Quand le vent soufflait les dernières lueurs,
J'ai eu la bouche gercée et le désir de
Crier "Attends!" – mais je ne pouvais pas.
Nous avons traversé le marécage,
Après, c’était le lac, le banc de sable
Couvert de trolles, de jeunes roseaux et d’herbes;
Et, finalement, je me suis épuisé.
Je veux dire: "Tu n’as rien à craindre! Arrête!”
Un coup d’œil en arrière – et puis, en route!
Pendant ce temps, au bois, le vent fort souffle
Et de vieux arbres mécontents murmurent,
Des sapins hirsutes remuent les aiguilles
Et les étoiles scintillent parmi leurs branches.
Et je crie après elle: " Arrête, écoute!
Je ne te laisserai pas jusqu’à l’aube,
Tu te tortures en vain…" Elle ne m’écoute
Pas! Mais soudain, un coup de foudre éclaire
Le bois d’une mystérieuse lumière bleuâtre…
Je crie: “Arrête! Un mot! Je ne te touche…
(Pour une seconde, elle se tient immobile.)
Réponds-moi, qui es-tu? Dis! Et pourquoi
Tous les soirs, venais-tu à ma rencontre?
Pourquoi m'attendais-tu près de l’anse sombre,
Où les eaux rougissent assombries et ternes?
Pourquoi, avec moi, as-tu écouté
En pleurs, la jeune joie des chansons lointaines?
Pourquoi après ces chants, quand des moustiques
Sonnaient seuls tous les soirs en somnolence,
L'eau endormie sentait doucement, en ordre,
Mettais-tu, triste, mes boucles avec tendresse,
Je regardais de tes genoux dans tes yeux?
Pourquoi dans l'ombre, quand, au bosquet calme,
Les rossignols chantaient, à ma joue pâle,
Penchais-tu ta joue chaude et, doucement,
M’embrassais-tu et après, encore
Avec plus de langueur et plus de force?
Dis-moi! Pourquoi?..” Mais elle cache son visage
Dans ses mains et elle se lance en avant.
Dans le bosquet, nous courons comme des bêtes
Suivant leur proie. Et l’averse bruyante
Fait rage aux bois sombres avec le tonnerre,
Les foudres éclairent le lointain; la robe
De la jeune fille blanchoie vivement… Soudain,
Elle disparaît vite comme par un miracle.
J’accours de la forêt à la lisière,
Tombe dans l'avoine, emmêlé et humide,
Et je me bats, je pleure…
Inscription sur un calice
Il a trouvé un calice ancien près de la bleue mer
bruyante
Dans un tombeau sur la côte sablonneuse et sauvage.
Il a longtemps travaillé, il a formé ensemble
Ce que la tombe avait gardé trois mille années comme
une chose sacrée,
Il a lu sur ce calice
L’histoire ancienne des sépulcres et des tombes silencieux:
“Éternels sont la mer sans fin et le ciel immense,
Éternels sont la terre, sa beauté et le soleil,
Éternel est le lien invisible qui lie les âmes
Et les cœurs des vivants avec l’âme assombrie des
tombeaux”.
Par des sentiers secrets…
Par des sentiers secrets dans des bois denses,
Arrive doucement le crépuscule gris.
En feuilles sèches, les bois gardent le silence,
Perdus, ils attendent en automne la nuit.
Dans le ravin, on entend une nyctale…
Une feuille sèche tombe avec un petit bruit…
L’âme de la nuit fait l’envolée fatale
Dans la pénombre qui se répandit.
***
Dans la forêt au mont, une source sonne;
Là-dessus, c’est une vieille croix sous le toit,
Toute noircie, avec une petite icône
Et une louche de bouleau dans l’eau qu’on voit.
Russie, je n'aime pas ta misère sans force,
Causée par le servage plus de mille ans.
Mais cette croix, mais cette petite louche d'écorce
Blanche … Ce sont des traits humbles que j’aime tant!
Dans le bois d’automne,
La mousse du marais
Sèche. Le ciel pâle donne
Au lac ses reflets.
Les lis défleurissent,
Le safran, bien plus.
Les sentiers périssent,
Le bois vide est nu.
Ce n’est que toi, aune,
Sur les mottes jaunies
Qui restes en automne
Sec, mais embelli.
Et dans l’eau dormante,
Tu te vois toujours.
Le printemps t’argente
Le premier un jour.
Par la fenêtre
Les cèdres ont des branches en broderie verte
Faite sur une sombre peluche serrée.
On voit derrière le balcon ces cèdres
Au jardin limpide comme en fumée,
Les pommiers et les sentiers bleuâtres.
Comme des émeraudes, l’herbe est brillante.
Les bouleaux ont des chatons grisâtres,
La dentelle des branches est transparente.
Les érables sont couverts d’un voile
Ajouré et tout en mouches dorées;
Et plus loin avec des forêts pâles,
Le lointain bleu fond dans les vallées.
Près de la route sous les sapins, une belle
Neige est si richement profonde et pure.
Un cerf y marche, puissant, à jambes grêles,
Ayant rejeté sur le dos sa ramure.
C’est sa trace. Ici, il a fait des sentes,
Il a rongé un sapin à dents blanches –
Beaucoup d’aiguilles tombent sur des tas immenses
De neige du sommet du sapin, des branches.
Il est calme, sa trace, rare – mais en une seconde,
Soudain, il saute! Et loin dans la prairie,
La course des chiens se perd. Les branches tombent,
Cassées par sa ramure quand il s’en fuit…
Oh, que dans la vallée, il est rapide!
Que sa course est leste! Qu’il est frais et fort!
En coup de vent comme une gaie bête sans brides,
Il emportait la beauté de la mort!
Le laboureur
Le ciel est bleu et pâle et la jachère
Est dans la brume. Et aux champs vaporeux
Que je laboure, les couches noires de la terre
Tombent aux sauvagerons comme un don de Dieu.
Sur le sillon où je vais vite derrière
Les socs, je laisse des traces. Et c’est si beau
De mettre sur le sillon de la terre
Mes pieds nus comme sur le velours très chaud!
Sur cette terre, je suis perdu comme en pleine
Mer bleu-lilas. Et très loin derrière moi
Où la maison est éclairée à peine,
La première chaleur coule au-dessus du toit.
Une idole
Dans la steppe infinie où l'herbe est morte
De la chaleur, le lointain est bleuâtre.
Là, c’est le crâne d’une jument jadis forte.
Ici, c’est une idole en pierre grisâtre.
Que ces traits semblent plats et indolents!
Que ce corps primitif semble le pire!
Debout, devant toi, j'ai peur… Craintivement,
Tu me regardes avec un petit sourire.
N'étais-tu pas le Jupiter tonnant,
Obscur démon sauvage âgé de mille
Ans? – Nous ne sommes pas créés par Dieu. Tant
D’eux sont créés par notre cœur servile.
Un gîte pour une nuit
Le monde est une forêt, refuge nocturne des oiseaux.
Brahmanes
À l'heure du soir au bois dans les ténèbres,
Quand le soleil s’éteint, chaud, dans les eaux,
Tombe vite sous le rideau de l'ombre verte
Et reste là, ce gîte est beau.
Et de bonne heure pleine de rosée blanche,
Agite des ailes dans les feuilles, fais-les bruire
Et disparais au ciel au-dessus des branches –
À la patrie, âme, va revenir!
Solitude
Il pleut et la brume dense s’étend
Au-dessus d'un désert d'eau sans rides.
La vie reste ici sans mouvement
En hiver, les jardins y sont vides.
Je suis seul. Il fait sombre devant
Mon chevalet, dehors souffle le vent…
Quand tu as été chez moi hier,
Tu t’ennuyais, c’était triste ici.
Tu m’as paru épouse, ma chère,
Ce soir après une journée de pluie.…
Je vivrai dans ce monde silencieux
Tout l’hiver sans femme et seul – adieu!
Aujourd'hui, de gros nuages s’en vont,
Les mêmes files y passent sans fin toujours.
Ta trace se perd près du perron,
Remplie d'eau de la pluie dans la cour.
Ça fait mal, à moi seul, de fixer
Au déclin du jour l'obscurité.
Je voudrais crier après elle:
"Mais tu es très chère pour moi! Attends !»
Pas de passé pour une femme. Elle
N’aime plus – je suis étranger maintenant.
Près du feu, je vais prendre du vin…
Il vaudrait mieux acheter un petit chien…
Le testament de Saadi
Comme un palmier, sois généreux! Mais si non, sois
Noble et très simple et сomme le tronc d’un cyprès droit.
Exécution
Le beau matin est tout en brume, en brume.
Tout est plus clair quand le soleil se lève
Au delà des forêts bleu foncé et lointaines,
Au delà des marais fumeux et des plaines…
Levez-vous, habitants de Pskov, debout!
La rosée tombe sur la poussière,
Sur le marché, sur les chaumières,
Sur les coupoles d’or, sur la place,
Sur mon échafaud au milieu…
Mouillez le fouet et aiguisez la hache!
Le beau soleil est tout en brume, en brume.
Tout rouge, il ne brille pas et ne chauffe guère
Au-dessus des forêts blanches, visibles à peine,
Au-dessus des marais en rosée, des plaines…
Criez encore plus fort, hérauts, partout!
– Va, mon gars, laisse-moi me laver
Et mettre mes bottes, le cafetan.
Conduis-moi, mets-moi sous la hache.
Fais d’un seul coup mais si non – gare !
Mes dents déchireront tous sans qu’on m’ arrache!
Parmi les étoiles
La nuit tombe. Le double flot, Voie lactée,
Blanchoie là-haut; les étoiles refroidissent
Le sable où, sous ce brouillard éclairé,
Je suis la caravane et où je glisse.
La Voie est transparente, comme en fumée.
Elle disparaît au-delà des montagnes
Du Jourdain; elle descend vers l'est voilé,
Aux autres étoiles, aux pays de cocagne.
Je glisse mais je continue à marcher
Derrière le chameau dont le corps balance,
Grand et noir, le fusil du chamelier.
La selle craque comme dе bois. En somnolence,
Le chamelier branle comme inanimé
Sa tête qui est comme d'étoiles parsemée.
Dans La Horde
Dans la steppe derrière la Volga,
Le large soleil rouge se noie dans les sables.
Avec le bébé endormi dans tes bras,
Tu sors de la tente étouffante, tu regardes
Le sang qui coule sur le miroir lisse des sels
Et le soleil qui, comme sur le plat, se couche;
La joie paisible où la chaleur sèche de la steppe se
mêle,
Te souffle au visage, aux seins brunis en sueur qu’elle
touche.
Le grand camp est tout derrière toi:
Les roues grincent, les chameaux rugissent sans se
taire;
Dans l'obscurité pourpre, monte la poussière,
Dans la fumée, les feux, s’allumant, flamboient.
Tu es fillette aux yeux calmes et au cœur tendre;
Assise sur le sable, vois-tu ton déstin,
Sais-tu que ce bébé endormi tenant ton tétin
Ce soir-là, peux-tu le comprendre,
Est ce Mogol que la terre n'oublie jamais?
Que moi aussi, Mère, est-ce que tu sais
Que, sans paradis, je lui chanterai la gloire —
Sans besoin de Christ, de Galilée, de ses lys des
champs?
On n’est pas humbles: Tamerlan,
Mamaï, Attila, moi non plus, car
Moi aussi, je suis digne d’eux quand
Je déchire la vieille Charte divine,
Ennuyé de mensonges, j’assassine,
Je viole, je détruis et je brûle les villes en les pillant…
Très loin dans la steppe, en tremblant,
Le mica du soleil se perd dans les sables.
Dans le ciel éteint, ennuyée, tu regardes;
Ayant soupiré doucement, tu baisses les yeux de
nouveau …
Dans la fraîcheur de la nuit bleue, des chariots
Se détachent en noir сomme des troupes de la garde.
Le premier rossignol
La lune luit et disparaît dans des nuages.
Des pommiers sont en fleurs blanches sans feuillage.
Il y a au ciel une claire houle bleue et tendre;
Autour de la lune, elle va se répandre.
Aux allées nues pleines de froid transparent,
Le rossignol claque pour se mettre au chant.
Dans une maison à la fenêtre sans feu,
Sous la lune, une jeune fille tresse les cheveux.
Pour elle, ce conte vernal est délicieux –
Raconté mille fois au monde, il est vieux.
Le muguet
Aux bois nus sous une brise fraîche,
Jeune, j’ai vu ta vive lumière…
Tu brillais dans des feuilles sèches –
Je faisais mon premier vers.
Ton odeur est devenue chère
Pour toujours à mon jeune cœur,
Je retiens sa pureté claire,
L’aquosité, la fraîcheur!
C’est le jour à peine naissant,
Mon jeune cœur n’a que seize ans.
Au jardin dormant, la brume
Est tiède des fleurs sous la lune.
La maison est silencieuse,
Ta chère fenêtre est mystérieuse.
Là, c’est mon soleil, derrière
Le store, dans mon univers.
Une chanson
Je suis paysanne à la melonnière,
Lui est un homme gai, il est marin.
Sa voile a vu tant de fleuves, de mers;
Et cette voile blanche se perd au loin.
On dit que les dames grecques de Bosphore
Sont belles… Moi, je suis maigre, et mon teint
Est brun. Je ne sais s’il vient encore,
Car sa voile blanche s’est perdue au loin!
J’attendrai à tout temps, peu m’importe…
Mais s’il ne vient pas, je m’en irai
Jeter en mer la bague que je porte;
Avec ma tresse, je m’étranglerai.
Verbe
Momies, tombes, ossements gardent le silence;
Seul le verbe a la vie.
Et on ne voit au cimetière immense
Du monde que des écrits.
Mais nous n'avons pas d'autres apanages!
Il faut garder un tel
Talent au temps de souffrance et de rage –
Ce don est immortel.