Les musulmans face au racisme : «Les regards pesants s’amplifient après chaque attentat»

Amel, 33 ans, et son compagnon Redouane, 43 ans, ont manifesté samedi dans leur ville, à Angers, contre le racisme et les discriminations anti-musulmans.

 Amel et Redouane ont participé le 2 novembre au rassemblement sur la place du Ralliement à Angers pour dire « non à l’islamophobie ».
Amel et Redouane ont participé le 2 novembre au rassemblement sur la place du Ralliement à Angers pour dire « non à l’islamophobie ». LP/Olivier Corsan

    Un jour, elle a posé la question. Smahane ne comprenait pas pourquoi, chaque matin, son patron sortait de l'arrière-boutique de la boulangerie comme un diable hors de sa boîte pour servir lui-même son invariable demi-baguette à ce petit monsieur qui venait tous les jours à la même heure. Le chef s'est expliqué : « il ne veut pas être servi par une frisée ».

    « Ce qui m'a fait le plus mal, c'est que mon employeur ne me soutienne pas, qu'il me lâche pour ne pas perdre 40 centimes de recette », raconte cette quadra en remontant sur la tête son écharpe pour protéger ses cheveux de la pluie qui fait luire les pavés d'Angers (Maine-et-Loire).

    Sur la place du Ralliement, cœur commerçant de la ville en ce samedi après-midi, une bonne centaine de personnes, des musulmans, sont rassemblées pour dire « non à l'islamophobie ». La manifestation a été organisée par un collectif d'associations, l'appel relayé sur les réseaux sociaux et à la mosquée.

    Angers, le 2 novembre. Une bonne centaine de personnes se sont mobilisées à l’appel d’un collectif d’associations. LP/Olivier Corsan
    Angers, le 2 novembre. Une bonne centaine de personnes se sont mobilisées à l’appel d’un collectif d’associations. LP/Olivier Corsan LP/Olivier Corsan

    Pour Amel et son conjoint Redouane, droits comme des i dans leurs parkas, il ne s'agit pas seulement de réagir à l'actualité. Comme les associatifs au micro, ils disent leur ras-le-bol face aux discours outranciers sur l'islam et leur inquiétude après l'attaque de la mosquée de Bayonne. Mais leur mobilisation a aussi quelque chose d'intime : le racisme, Amel le vit personnellement.

    « On aurait les moyens de louer une maison mais il n'y a que les bailleurs HLM qui veulent bien nous loger : on a fait une dizaine d'agences immobilières, ça ne marche jamais », explique cette assistante commerciale, en ravalant un sanglot. Un agent lui a proposé de donner son dossier aux propriétaires sans nom de famille. « C'est comme ça que j'ai compris où était le problème… »

    Amel secoue la tête. Elle pense à son frère chauffeur de car, qui a dû inscrire le patronyme de son épouse, catholique, sur son CV, pour recevoir des réponses à ses candidatures spontanées. Elle se souvient de son stage de 3e dans un magasin de chaussures, quand la première cliente qu'elle a abordée a refusé qu'elle la conseille. Elle avait 14 ans.

    Amel a remarqué que « les regards pesants s'amplifient », chaque lendemain d'acte terroriste. Redouane, son compagnon, soupire : « J'ai l'impression qu'il faudrait qu'on sorte à chaque fois avec une pancarte pour dire je ne cautionne pas. Comme si ça n'allait pas de soi ».

    A côté d'eux sur la place, Karim, dessinateur de 26 ans, assure ne pas ressentir de racisme. Il y a bien ce type, qui un jour lui a craché « rentre en Afrique ». Mais il s'en fiche, il ne le connaît pas. « Dans ma boîte, on m'a proposé à mon embauche de faire la prière si je le souhaitais, ça ne gênait personne », explique ce militant antifa, chèche autour du cou. « Pour ma sœur, c'est plus dur, reprend-il. Elle a voulu porter le voile, elle rentrait certains soirs en pleurs à cause des insultes et des regards. Elle a arrêté. »

    Sonia (le prénom a été changé), petite femme discrète, couvre ses cheveux depuis deux ans. Paradoxalement, le déclic fut… la journée de formation sur la laïcité, qu'elle a suivie dans l'administration dont elle est fonctionnaire. « A la fin de la séance, une employée a pris la parole pour dire qu'un tsunami de musulmans envahissait la France, ce genre de choses, et personne parmi les chefs n'a bronché », se souvient Sonia en tremblant.

    «Qu'est-ce qu'ils vont devenir ?»

    Elle en a presque fait une dépression. Puis petit à petit, sa décision de porter le foulard, en dehors des heures de bureau, a mûri, « parce que j'en ai assez de devoir toujours faire plaisir aux autres, et de me sentir mal dans ma peau. »

    Elle se tourne vers son amie Myriam ( le prénom a été changé ) et ses yeux s'emplissent de larmes. « Qu'est-ce qu'ils vont devenir? C'est surtout pour eux que je m'inquiète, dit-elle en montrant ses deux enfants. Tu aurais vu la tête de mon fils, quand il a cru que je ne pourrais plus l'accompagner en sortie scolaire! »

    Sonia soupire. Elle-même a arrêté de regarder les infos. « Quand je m'aperçois que des gens que je connais depuis des années deviennent craintifs, et que dans les magasins, on ne me dit plus bonjour, je sais qu'il s'est passé quelque chose la veille », affirme-t-elle. La dernière fois, c'était après l'attentat contre la préfecture de police de Paris.

    Leïla (le prénom a été changé), pimpante trentenaire en perfecto au foulard savamment noué sur le côté de la tête, a mis au point une défense face aux regards peu amènes : « Je souris, à tout le monde. » Ses baskets argentées brillent autant que le sol détrempé en cette fin de manif. Elle éclate de rire. « Pour l'instant, ça ne marche pas encore trop ! » Le premier réflexe des vigiles dans les boutiques, explique-t-elle, est de la suivre, au cas où elle volerait quelque chose.