Le jour où... Mélenchon pensait gagner

Toute la semaine, nous revenons sur les temps forts de la campagne présidentielle. Retour sur la défaite de Jean-Luc Mélenchon dont l'attitude vis-à-vis du Front national, au soir du 1er tour, a dérouté.

Paris (Xe),le 23 avril. Peu avant 22 heures, Jean-Luc Mélenchon termine son allocution devant ses partisans.Un discours d’à peine quatre minutes, plein de dépit.
Paris (Xe),le 23 avril. Peu avant 22 heures, Jean-Luc Mélenchon termine son allocution devant ses partisans.Un discours d’à peine quatre minutes, plein de dépit. AFP/BERTRAND GUAY

    Il est 21h50. Jean-Luc Mélenchon s'avance vers son pupitre, installé dans une petite salle au fond du Belushi's. C'est dans ce bar sport et rock du Xe arrondissement de Paris qu'il a décidé d'installer son QG en ce soir de premier tour de la présidentielle. Journalistes et sympathisants ont afflué par centaines, beaucoup attendent à l'extérieur.

    Que va dire le candidat des Insoumis qui vient d'apprendre, sans contestation possible, son élimination? «Le résultat annoncé depuis le début de la soirée n'est pas celui que nous espérions», lâche Mélenchon. La mine est grave, l'élocution lente. Son verbe est amer. «Médiacrates et oligarques jubilent. Rien n'est si beau pour eux qu'un second tour entre deux candidats qui approuvent et veulent prolonger les institutions actuelles, qui n'expriment aucune prise de conscience écologique ni sur le péril qui pèse sur la civilisation humaine, et qui les deux comptent s'en prendre aux acquis sociaux les plus élémentaires du pays.»

    Quatre petites minutes et il tourne les talons. S'engouffrant dans l'arrière-salle où l'attend sa garde rapprochée. Le tribun vient de livrer un discours sans souffle, d'où transpire le dépit.

    «On était tous convaincus d'avoir fait une campagne sans faute»

    Un dépit à la hauteur des espoirs nourris jusque dans les dernières heures de l'après-midi. «Nous étions sûrs qu'on pouvait gagner. En début de soirée, TF1 et France 2 ne donnaient pas les mêmes résultats. On a été longtemps dans la marge d'erreur. Et puis, perdre pour 600 000 voix, quand on a en a réuni 7 millions, il y avait de quoi être abattu», se souvient Alexis Corbière, l'un des proches de Mélenchon. «Jusqu'à 19 heures on y croyait vraiment», abonde Eric Coquerel, un autre de ses lieutenants. Les sondages donnent Le Pen, Fillon et Mélenchon dans un mouchoir de poche. Impossible de les départager jusqu'à presque 20 heures. Au point de décaler d'une heure la prise de parole de Mélenchon.

    «C'était la stupéfaction de ne pas être au second tour, se souvient Martine Billard, cofondatrice du Parti de gauche avec Mélenchon. On était tous convaincus d'avoir fait une campagne sans faute.» L'équipe dirigeante s'était même déjà projetée dans l'entre-deux-tours, avec l'organisation d'une «grande marche nationale, rapporte Manuel Bompard, son directeur de campagne. On avait commencé à mettre ça sur un calendrier». Sauf que les visages d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen apparaissent sur les écrans. Au Belushi's, des cris, les poings serrés de rage de certains militants. Des larmes coulent sur des visages dépités.

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    La défaite actée, «on était tous d'accord pour que Jean-Luc ne s'exprime pas immédiatement car il fallait digérer et surtout analyser les résultats», confie Martine Billard. Un point fait l'unanimité : ne pas reproduire l'erreur de 2012 lorsque le Front de gauche avait appelé à voter François Hollande. Un boulet traîné pendant tout le quinquennat. «Jean-Luc Mélenchon avait un poids énorme sur les épaules, poursuit-elle. Il était hors de question pour lui de briser les espoirs de l'électorat populaire de la France insoumise en se ralliant à Emmanuel Macron.»

    La revanche des législatives

    Un choix très stratégique. Le Parti communiste, pourtant, avait appelé, dès ce soir-là, à faire barrage à Marine Le Pen. C'est là le deuxième moment clé de cette soirée. «Pour Jean-Luc Mélenchon et beaucoup d'entre nous, cette consigne de vote ne s'imposait pas du tout, souligne Corbière. C'était évident pour nous que la candidate FN ne l'emporterait pas.» De là à ne faire aucune différence entre Macron et Le Pen ? Car c'est bien cette ambiguïté qui a été reprochée à Mélenchon ce soir-là. Les avoir renvoyés dos à dos, lui qui avait si longtemps mis le combat contre le FN au coeur de son action ! Porte-parole de la France insoumise, Charlotte Girard estime sans ciller que «c'était une erreur». Pour elle, Mélenchon aurait dû dès le dimanche — il ne le fera que le jeudi suivant — rappeler que le vote FN ne devait pas être une option.

    Mais ce dimanche soir 23 avril, les états d'âme — voire le blues — du perdant ont fait long feu. «Au bout de quelques heures, Jean-Luc a repris le dessus. Il a retrouvé son enthousiasme, et c'est lui qui remontait le moral des troupes», affirme Alexis Corbière. Fort de ses 7 millions de voix, de sa percée dans certaines villes comme Marseille, Mélenchon le tribun aurait ainsi rapidement revêtu ses habits de stratège. Objectif : les législatives et l'implantation du mouvement partout en France. Le 18 juin, la France insoumise faisait son entrée à l'Assemblée nationale...