La mère d’un djihadiste jugée pour financement du terrorisme

Nathalie Haddadi comparaît ce mardi devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir envoyé de l’argent à son fils aîné radicalisé, qui périra en Syrie à l’été 2016. Cette mère affirme que ces fonds n’étaient pas destinés au djihad.

    Ils risquent chacun jusqu'à dix ans de prison. Une mère de famille et son fils cadet sont renvoyés ce mardi après-midi devant le tribunal correctionnel à Paris pour « financement du terrorisme ». Ils ont acheté des billets d'avion et envoyé des mandats cash à l'aîné qui, ensuite, a gagné la Syrie. Il y serait mort l'année dernière. Un ami du djihadiste est également poursuivi. Le parquet antiterroriste entend utiliser tout l'arsenal du droit, et notamment l'arme financière, pour dissuader les familles d'aider leurs proches ralliés à Daech.

    La mère, Nathalie Haddadi, 42 ans, se rappelle ce jour d'août 2016, où une voix anonyme l'a appelée depuis le compte « viber » (une application de téléphonie) de son fils pour la féliciter de sa mort « en martyr ». Un peu plus d'un an plus tard, cette conseillère commerciale fait le voyage depuis son domicile de Lingolsheim, près de Strasbourg (Bas-Rhin), pour affronter ce procès public. « Je ne suis pas inquiète mais en colère, nous confie-t-elle ce lundi. J'ai perdu mon fils. Ce jour-là, c'est comme si on m'avait ouvert la poitrine à vif. Et je me retrouve devant ce tribunal. J'ai le sentiment d'être à terre et que l'on continue à s'acharner.»

    Radicalisé en prison

    Son fils, Abbes Bounaga, aurait aujourd'hui 22 ans. Son itinéraire ressemble à celui de bon nombre de djihadistes français fascinés par Daech et qui ont rejoint le califat autoproclamé. A l'origine, le jeune homme est un trafiquant de drogue connu de la police pour « violences aggravées » aux centres d'intérêts bien éloignés de la religion. C'est à la maison d'arrêt de Strasbourg qu'il se radicalise en 2014, galvanisé par la proclamation du califat, suivie à la télévision. Sa mère « musulmane non pratiquante » l'assure : «Personne ne faisait la prière chez nous.»

    Face à une telle situation, comment réagir ? « Personne n'y est préparé, fait-elle valoir. Je l'ai dit aux policiers venus l'interpeller. Ils m'ont écoutée mais mon alerte est restée sans effet. Ensuite, j'ai décidé d'envoyer Abbes chez son père en Algérie, dans l'espoir qu'il fasse sa vie là-bas. » A l'audience, Nathalie Haddadi pourra compter sur le témoignage de Véronique Roy, la mère du djihadiste Quentin Roy, auteure d'un livre sur ce désarroi des familles (1).

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    «Pardonne-moi maman, je t'aime, mais j'aime Dieu plus que toi»

    Abbes Bounaga file en Allemagne le 9 novembre 2015, le lendemain de l'émission contre lui d'une interdiction de sortie du territoire. De Francfort, il rejoint l'Algérie, son pays d'origine dont il a aussi la nationalité. « Il y a passé six mois. J'avais d'abord des nouvelles rassurantes, témoigne Nathalie Haddadi. En avril 2016, il m'a dit qu'il avait envie de voyager un peu au soleil avant de revenir en France. » Depuis, Kuala Lumpur, en Malaisie, le fils aîné envoie des photos aux airs de clichés de vacances.

    S'ensuit un périple de cinq mois qui le mène successivement en Malaisie, aux Emirats arabes unis, en Iran, puis en Turquie, pays frontalier de la Syrie. Sa famille pouvait-elle ignorer sa destination finale ? Les services de renseignement en doutent, eux qui ont mis en évidence des recherches Internet sur la situation locale. Nathalie Haddadi assure qu'elle n'en savait rien. L'argent aurait été envoyé à la demande de son fils, verbalisé pour non port du casque sur un deux-roues puis hospitalisé après une agression en Malaisie.

    L'équivalent de 5 500 euros


    « J'ai eu des soupçons lorsque j'ai reçu un appel en anglais de Téhéran. Quelques jours plus tard, Abbes se trouvait de nouveau à Kuala Lumpur. Je lui ai dit : « Maintenant, tu rentres ! ». Il ne pas m'a pas écoutée. Lorsqu'il m'a donné des nouvelles, il était en Syrie. Il m'a dit : « Pardonne-moi maman, je t'aime, mais j'aime Dieu plus que toi. » Parti alors que les raids de la coalition se renforçaient et que les frontières se refermaient, Abbes Bounaga a donc effectué un long itinéraire de contournement par le Moyen-Orient et l'Asie pour rejoindre la zone des combats.

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    Au total, le futur djihadiste a perçu l'équivalent de 5 500 euros, dont 850 euros de sa mère en billets d'avion pour l'Algérie et la Malaisie. De ce djihad, la mère n'a rien révélé, ni à la police, ni à ses collègues de bureau. Quant aux circonstances de la mort de son aîné, elle a préféré évoquer un « accident de voiture » survenu en Algérie. Pourquoi n'a-t-elle rien dit ? « Les conséquences étaient faciles à envisager pour mon autre fils et ma fille, note-elle. J'avais peur d'une garde à vue.» Les services de renseignement ont fini par obtenir l'information, d'où ce procès.

    «Ils ont agi par devoir familial»

    « Il s'agit de la part du parquet d'une approche nouvelle et surprenante, s'emporte Me Matthieu Juglar, avocat du fils cadet. Ne pourrait-on pas jeter un voile pudique sur la douleur d'une famille non radicalisée ? Apporter un secours financier ne revient pas à cautionner les actes terroristes. Ils ont agi par devoir familial. Mais puisqu'on ne peut plus condamner un mort en Syrie, on va s'attaquer à sa famille, comme s'il s'agissait de les faire payer !» « En ne faisant pas de distinction entre l'envoi d'argent à titre familial et humanitaire et le financement du terrorisme, on utilise ce texte de façon indigne », insiste pour sa part Me Hervé Denis, conseil de la mère.

    Une source judiciaire rappelle, de son côté, que le texte sur le financement du terrorisme ne nécessite pas de rapporter la preuve d'une adhésion aux thèses. Fournir, réunir ou gérer des fonds en sachant à quoi ils vont être utilisés suffit à s'exposer aux sanctions. L'audience promet d'être tendue.

    (1) «Quentin, qu'ont-ils fait de toi ?», par Véronique Roy (Robert-Laffont) et notre confère du Parisien/Aujourd'hui en France Timothée Boutry.