Ces cargos ont le vent en poupe

LE PARISIEN WEEK-END. Adjoindre une voile aux navires de fret, c’est la bonne idée qui pourrait rendre le transport maritime plus écolo, à l’heure où 90 % des marchandises sont acheminées par bateau.

    « En 2000, je participais au Vendée Globe. J'étais au large des îles Kerguelen, dans le sud de l'océan Indien, quand j'ai démâté, raconte le navigateur Yves Parlier, vainqueur de la Route du Rhum en 1994. J'aurais dû prendre une voile de cerf-volant de secours pour me sortir de là. Quand j'ai arrêté ma carrière, j'ai repensé à cette mésaventure. J'ai regretté que les armateurs, pour les cargos, aient oublié l'utilisation du vent dans les voiles comme appui au moteur, pour consommer moins de carburant et moins polluer. » Ainsi est né, en 2007, le projet Beyond the Sea. En guise de voile, Yves Parlier imagine déployer une aile de kitesurf géante dans les airs, « qui pourrait tirer jusqu'à 10 à 20 fois plus qu'une voile classique, à surface égale, avec un vent arrière », précise le marin. Envoyée à 500 mètres de hauteur, elle pourrait aider à tracter les gros bateaux avec un système hybride couplant moteur et voile. « L'avantage de cette architecture de kite, c'est qu'elle va chercher les vents en altitude, là où ils sont les plus forts », souligne Christophe Clanet, chercheur au laboratoire hydrodynamique à l'école Polytechnique de Paris. Dès 2014, le marin teste son idée sur un catamaran et un bateau de pêche, avec des ailes d'une superficie inférieure à 50 mètres carrés. Fort de ce succès, il réfléchit à un démonstrateur de 1 600 mètres carrés accroché à un porte-conteneurs, avec un système de pilotage automatique de la voile. Ce modèle devrait être opérationnel d'ici deux à quatre ans. Pour mener à bien le projet, Yves Parlier fait équipe avec trois entreprises françaises, Porcher Industries, Cousin Trestec, Bopp, et l'école d'ingénieurs Ensta Bretagne. Le grand défi consiste à rendre cette immense aile suffisamment résistante aux déchirures, légère et facilement rétractable. Il faut aussi éviter qu'elle ne tombe à l'eau.

    Le projet Beyond the Sea, du navigateur Yves Parlier, consiste à équiper de grands cargos d'une voile de type kitesurf. (Beyond the Sea)

    Economiser 30 % de carburant

    Grâce à ce système, « on pourrait économiser de 5 à 20 % de carburant sur les traversées des gros bateaux, ce qui ferait autant d'émissions polluantes en moins », estime le navigateur. Et une sacrée économie, chiffrée par l'entrepreneur à 1 million de dollars pour chaque aller-retour de cargo, sur un trajet Asie-Europe. La consommation de fioul par les navires est aujourd'hui une source de pollution majeure. D'après une étude de l'université allemande de Rostock, en 2015, les émissions des bateaux (en particulier les oxydes d'azote et de soufre) seraient responsables de 60 000 décès prématurés par an dans le monde. Sachant que plus de 90 % des marchandises mondiales sont acheminées par cargos, ce chiffre ne diminuera pas si l'on n'arrive pas rapidement à rendre ces bateaux plus propres, grâce au coup de pouce de ces voiles géantes. Yves Parlier n'est pas seul en course. En 2007, une entreprise allemande, SkySails, a tenté l'aventure avec une architecture similaire. Elle continue aujourd'hui à améliorer sa voile, qu'elle déploie notamment sur des yachts. En 2014, Airseas, filiale d'Airbus, a repris cette idée. « La difficulté majeure tient dans l'automatisation du fonctionnement de la voile (qui s'oriente seule en fonction des vents, NDLR) », précise Matthieu Duvelleroy, porte-parole chez Airbus. D'ici à la fin de l'année 2020, le groupe pourrait utiliser cette solution sur des bateaux transportant les pièces détachées de ses avions.

    Les sociétés françaises Zéphyr & Borée et PropelWind prévoient, quant à elles, d'accrocher des voiles verticales, rigides et articulées, sur des grands navires. Elles fonctionneront un peu comme les ailes d'un avion. « Notre structure promet d'avoir une plus grande portance que les voiles classiques et une durée de vie plus longue. On espère 30 % d'économie de carburant, s'enthousiasme Nils Joyeux, cofondateur de Zéphyr & Borée. Si l'on veut réduire l'impact environnemental du fret maritime, on ne pourra pas se contenter d'attendre de changer les bateaux actuels, conçus pour durer de vingt-cinq à trente ans. Il faut rendre ces navires tout de suite plus écolos. » Grâce aux voiles géantes, un vent d'espoir nouveau souffle sur le secteur maritime.