Il se penche il voudrait attraper sa valise
Un rappel de l'actualité éditoriale de RR —
- Ici Voyage d'Envers & Encrier Revanche.
- Là un premier ouvrage collectif sur les plans-reliefs de Vauban Le Regard souverain (ce lien Fnac permet de feuilleter quelques pages, m'enfin vous pouvez aussi l'acheter à votre libraire indépendant).
- Et puis Le Système poétique des éléments, volume somptueux et second pari fou de Dominique Tourte éditeur en 2019 — sans aide du CnL, dommage.
Une autre actualité vivace et belle se déroule chez Zazie Mode d'Emploi, où Raymond Queneau a été choisi comme Oulipien de l'année 2020. L'un des "Cent mille milliards de poèmes" est proposé à la réécriture : participez si le cœur vous en dit...
Quant à cette page, s'y ajouteront au fur et à mesure mes contributions.
Remarques liminaires sur le décompte des syllabes — à lire seulement si vous aimez triturer la prosodie...
- Raymond Queneau adorait le jeu ; c'est aussi pur jeu si les réécritures ci-dessous se prononcent à la façon du XIXe siècle : diérèses sur "confusi-on", "provinci-aux", "zi-aux" etc.
- Le poème source de Queneau modernise en 2 syllabes le verbe arguer (vers 10), autrefois et ci-dessous trisyllabique.
- Il y a deux manières de prononcer l'hémistiche « cet alcool ouest-est », l'ancienne et la nouvelle :
« cet / al-co-ol / west / est » = « cet / al - cool / ou - est / est »
Découpages différents mais décompte final = 6 syllabes, identique chez les Anciens et les Modernes.
D'après Choses du soir de Victor Hugo dans "L’Art d’être grand-père", un texte mis en musique par Raymond la Valoche, alias Martin Granger.
Le coche au galop de Havre en Avranche fait claquer son fouet tel un loup ses crocs ; il craint par la nuit ces hordes d’escrocs jaloux de valise ; alors il se penche. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, Raymond la Valoche a fichu le camp. Tout était douillet dedans la valise ; mais au lieu d’effets, chandails et maillots, il retrouve un sac jadis de fayots ; un cri ! c’est l’orfraie à la lune grise. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, Raymond la Valoche a fichu le camp. Le voyageur plonge en ses ordes mythes ; l’ombre du commerce a dressé l’étal sur quoi lui greffer un fatum létal : os, tissus, rideaux grignotés des mites. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, Raymond la Valoche a fichu le camp. Vague diable lâche à mine pâlotte, « Voyez la gadoue ! » argüe un lutin. Son cothurne accroche au pied le purin, l’elfe debout donc relève sa cotte. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, Raymond la Valoche a fichu le camp. Dans les bois profonds, l’agreste bicoque n’était point flouée ; en province encor, l’écu déparé du vair et de l’or ornait sans façon chaque infecte loque. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, Raymond la Valoche a fichu le camp.
Lipogramme en E —
S’inclinant il voudrait saisir son balluchon sur quoi guignait d’accord un gang d’impurs marauds. Alors qu’il s’abaissait, à sa confusion aussitôt n’y trouva qu’un sac d’aigris fayots. On vous fait aboutir au point d’ord harpagon, ravi qu’on usurpât d’ingrats provinciaux. Dans la mort qui joignit — bis — l’ord califourchon, la souris grignota tissus, os, pains, ponchos… D’avant bas-fonds urbains, on troussa son habit dont, couard à coup sûr, s’argüa qu’il pâlit : lorsqu’il vit du limon, fouillait-il du purin ! À la fin nous briguons tant l’abri pastoral où sans façon l’on mit son plus vilain futal. D’or ni vair, nul blason n’a franchi nul matin.
Monovocalisme en E —
Elle se penche, entend reprendre ses effets présentement bernée entre de prestes klephtes. Elle se penche et perce entêtés les secrets de restes desséchés et sénescentes nèfles. Êtres dégénérés, relents des benne & frets rêvez de délester les réserves cheyennes. Le lent décès greffé d’enchevêtrements blets pénètre tel le ver les vertèbres et serges. Des glèbes, préservez revers et vêtement. Cerné, blême ce hère embêté s’en défend : dès le pré détrempé, l’excrément je le cherche. S’égrène de regrets l’enfer de n’héberger même le serf de ferme en béret de berger ! Chers, l'emblème et le fer ? Le temps les en empêche.
NB — Le Y de cheyenne a valeur de consonne.
Sacoches à M. Knock —
M. Knock trébuchant attrapa ses sacoches : soupçons d’envie — ici sus à gang trafiquant. Lequel Knock s’allongea, surpris, tâtonnant sauces, navarin tout caduc sans semences ginseng... Souffrons entre transit, licol, saloperies, surplus à renarder l’engeance d’être pop. Couic d’aléa létal, travailleront scories d’eubaphe tortorant squelettes sous tricot. Ô malstrom sis craspec, ô fief, l’étoffe essuie ! L’embusqué s’argüa teint d’exsangue effigie ; l’éclaboussure emboue, elle tient encrassé. Ensuite regretter l’élimé toit d’époque ; simples, n’y revêtir d’ensemble chic : c’évoque souquenilles, sequins, magnum ? Mortem ecce !
Contrainte dite de l'aléa furtif : les mots commencent et finissent par la même lettre.
Il se penche à rebours —
Le matin qu’a duré d’or ou de vair l’écu, sa loque infecte et plus, sans façon il l'agrafe dans la bicoque agreste, à la fin éperdu quand le purin cherché peint gadoue au parafe. Une pâlotte mine arguë : un lâche a pu — cotte troussant l’urbain limon à l’étalage — voiler l’os grignoté, tant la mite au tissu s’abâtardit d’ordure et vous greffe outre d’âge. Sa province appauvrie est flouée en plaisir, sauf mercantile ordure — à vous d’y devenir fayots jadis d’un sac aussi sec qu’on n’en gobe. La surprise fut grande, alors il s’est penché sur ces escrocs en horde, assuré du péché que sa valise en main par-dessous se dérobe.
Les mots, du moins les idées, apparaissent en ordre inverse du poème de Queneau. On peut demander à quelqu’un complice de lire l’original en survolant cette réécriture à rebours.
Sauf les apostrophes, les points sur les i et j et les accents, rien ne dépasse de l’interligne par le haut : les lettres à hampe (b, d, f, h, k, l et t) et les majuscules sont absentes du sonnet suivant.
j’aspirais empoigner ma maroquinerie que guigne j’en soupçonne un groupe assez coquin mais saugrenu j’éprouve une grosse surprise j’aperçois aussi sec un ancien sac à grain on saccage sa vie en cargaison pas propre qui s’amuse à gruger nos pauvres provinciaux en agonie on vous cramponne au magma pouacre un pou saura manger soierie os paréos parisienne vermine épargnez-en vos grègues peureux on arguera ces visages exsangues crasse ou vaseux engrais je n’y vois que purin on gémira pour suivre ô cagnas ô campagnes sapés au pire avec moins que soignés nos pagnes un jour ça vous épuise or écu vair ou crin
La contrainte inverse se prive des lettres à jambage (g, j, p, q et y) :
Il se dresse il voudrait relever sa valise dont brûle de désir une horde d’escrocs il se dresse et alors suite à leur convoitise il retrouve aussi sec un sac de haricots On vous fait devenir une orde marchandise bienheureuse à berner des horsains chemineaux de la mort on vous ente une orde bâtardise la mite a dévoré tissus os et rideaux Devant la boue urbaine on retrousse sa cotte le lâche fera foi de sa mine falote scrutant dedans la vase un fumier de bourrin On se lamente enfin des cabanes rustaudes on mettait sans chichi ses très infectes robes l’écu de vair ou d’or ne déborde un matin
Les mêmes voyelles dans le même ordre, y compris accentuées, que celles du sonnet de Queneau —
Filet vermeil, soudain l’alarme s’amarine. Quel looping craint ce fût plus encore le fond ? Lien des terres ras bord, jà l’ancrage du signe fit retourner aux cieux, frugal, le sieur Raymond. Fors pour Zazie enfin que d’ombre, d’accalmie ! L’ultime art gît, là dont Queneau revoit ziaux : cet alcool ouest-est, surgeon de mât sa vie, navire par tribord, défi d’un soleil d’eaux… Tel sapajou feulant, Pierrot le couve aphone. En âpre peur parue, en ami cher tâtonne ou dit : moins Mara sort, plus s’est chiendent enfui. Port et mer deçà d’air, Le Havre ex-impromptue forgeait tant d’astronefs : l’utile fret tortue s’élude papillon du cœur bleu Zhuangzi.
Zazie, les ziaux, le sapajou, Pierrot, Mara, le chiendent, Le Havre, le papillon, le bleu, Zhuangzi... sont des références à la vie et à l'œuvre de Raymond Queneau.
À l'inverse du précédent sonnet, voici les consonnes du sonnet de Queneau —
Là sapin chu, là vide-ortie et torpeurs viles... quoi ! c’invitait ce sot surin, hard du scie-arcs à les punch étaler ? sous-ogre en doser pires ? L’antre vissé sacquons coude, voix feue, oyats. Niveau soif et du vin, oui renard y marche — ondes — quasi plat, fol ardu ; poivré se prouve en cieux dol amer... ton avis griffon radoub ? tu rôdes, limite gorgone out tu saisis star ou dieux. Devint-il bourbon noir, trisse à sauce têtue ? Lui le chapitre grée, au dais mon aplat tue ; il risque ulve outil good ; lâche arc houle éperon. Un roi gratta le foin, l’Ys griset, Saab caïques ; n’omit toits nus, faucons, souples nufactosliques, lucide ovaire d’or né du requin-mouton.
Vers 13 assez difficile, au point de transformer le "ç" de façon en "c" de faucon, et d'inventer l'hapax "nufactoslique", peut-être synonyme d'abracadabrant, abscons, abstrus, amphigourique, bizarre, cabalistique, curieux, déconcertant, énigmatique, étrange, hermétique, hors de portée, illisible, impénétrable, impensable, impigeable, inaccessible, inarticulé, incognoscible, incohérent, inconcevable, inconnaissable, indéchiffrable, inexplicable, inintelligible, inscrutable, insondable, mystérieux, nébuleux, obscur, opaque, sans fondement, sibyllin, ténébreux, vague...
Robert Rapilly, mardi 24 septembre 2019, à 19:04 [in Sonnets] 4 commentaires - aucun trackback