Le blogue de Robert Rapilly

Sonnets vocaliques normands

Retour sur le contexte d’un billet antérieur publié en retard.

Il arrive que le présumé hasard produise des circonstances oulipiennes si improbables qu’on les croirait inventées. Eh bien non, jugez-en ci-après en lisant mes notes préparatoires, collectées à la façon de Frédéric Forte. Je voulais composer un bristol de comice agricole, du côté de Pirou dans la Manche. À cette fin, j’avais saisi des bribes de conversations dans les travées. On y parlait du député local appelé à devenir ministre de l’agriculture, et de son rapport gourmand à la chimie phytosanitaire. La même voix écolo redoutait qu’il zappât le recours moins périlleux à la fermentation de pelures herbacées. Quelqu’un du même groupe vantait au chaland le bénéfice cardiaque des huiles riches en acides polyinsaturés. Quant au voisinage tout proche, syndicat des graisses animales, on y appelait à boycotter le lunch inaugural et ses laitages d’Indre et Cher, un comble en plein bocage normand. Une goutte (sic) de bonne humeur perlait toutefois au comptoir du calvados — à propos, sait-on qu’un flacon d’un demi-litre à 40° réclame avant distillation 320 pommes, pas moins.

Assez de détails, revenons-en au pseudo-hasard oulipien. Transcription mot à mot de chaque réplique sur un bristol :

— À Stéphane Travert, l’appétit vint par Monsanto...
— ... sans cependant la crème au purin d’oignon.
— Fondre de son cholestérol ? Margarine fine !
— Que du beurre du Berry ? N’y touchons plus...
— Gallon donnant l’alcool : par degré huit fruits.
— etc. (99 bristols en tout)

J’ai soumis pour relecture le manuscrit à Gef l’oulipote. Épatant ! m’a-t-il répondu, toutes spontanées qu’elles semblent, les conversations normandes se donnent pour contrainte automatique d’être des sonnets vocaliques. En effet, lisant les voyelles dans l’ordre, on en retrouve chaque fois 14, organisées comme 2 quatrains et 2 tercets aux rimes ordonnées :

À Stéphane Travert, l’appétit vint par Monsanto...
À   é  a e   a e      a  é i   i    a   o  a  o
=> A E A E - A E A E - I I A - O A O
... sans cependant la crème au purin d’oignon.
     a    e e  a    a   è e au  u i    oi  o
=> A E E A - A E E A - U U I - O I O
Fondre de son cholestérol ? Margarine fine !
 o   e  e  o    o e  é o     a  a i e  i e
=> O E E O - O E E O - A A I - E I E
Que du beurre du Berry ? N’y touchons plus...
 ue  u  eu  e  u  e  y     y  ou  o     u
=> U E U E - U E U E - Y Y O - U O U
Gallon donnant l’alcool : par degré huit fruits.
 a  o   o  a     a  oo     a   e  é  ui    ui
=> A O O A - A O O A - E E U - I U I

Il serait fastidieux de tous les transcrire. Ci-dessus donc les 5 premiers bristols sur une série de 99. Rien que par sonnets vocaliques, voici comme on cause dans les comices agricoles au pays de Pirou. Si vous ne me croyez pas, rendez-vous l’oreille à l’affût au festival Pirouésie, douzième édition l’été prochain.

Pantrine de l'Encrier Revanche

Pantrine = pantoum + quatrine
=> quatrine métrique :
6—8—10—12 // 12—6—10—8 // 8—12—10—6 // 6—8—10—12 syllabes par vers.
=> pantoum selon le cycle :
A—B—a—b // B—C—b—c // C—D—c—d // D—A—d—a
où les vers ne se répètent pas tout à fait, puisque leur taille change.
L'encrier revanche du MusVerre de Sars-Poteries est le sujet d'un recueil à paraître en octobre aux éditions Invenit, collection Ekphrasis.

                    
Un encrier revanche
inverse au gré des points de mire
limpide puits mais abysse cyan ;
affleure alors un trait sous le poids des azurs.

Le contraste s’inverse au gré des points de mire :
çà, du bleu Pausilippe
affleure un trait sous le poids des azurs,
le ptyx cernant un soleil noir.

Avec çà du bleu Pausilippe,
mouiller les ciels brouillés couvrant Sars-Poteries,
brûler le ptyx cernant un soleil noir :
protocole verrier.

Couvrant Sars-Poteries
l’ombre d’un encrier revanche
décrit le gai protocole verrier,
marge et limpide puits mais abysse cyan.

Le recueil sera "à réalité augmentée".
Par exemple, en manipulant un smartphone au-dessus des pages, on verra s'envoler des mots du poème fondu : paroles aussitôt ouïes d'une chanson par L'Humeur Vitrée (Lætitia Gallego et Martin Granger).

Inverse au gré des points de mire
couvrant Sars-Poteries
limpide puits mais abysse cyan
le ptyx cernant un soleil noir

Affleure un trait sous le poids des azurs
protocole verrier
un encrier revanche
çà du bleu Pausilippe
                   

Sélénets acrostiches de mots

Gilles Esposito-Farèse a proposé à la liste oulipo d'écrire des sélénets dont les vers commencent par les mots successifs d'El Desdichado : Je / suis / le / ténébreux — le / veuf / l' / inconsolé... Ci-dessous une variante où les mots-acrostiches s'allongent parfois (exemple "je" => "jeunesse"), changent de sens ("suis" verbe être => verbe suivre) ou de nature grammaticale ("l'" article => pronom), ou enfin restent tels quels ("ténébreux"). Les sélénets 1 et 2 se tiennent proches de Nerval, les 3 et 4 s'inspirent de Manet, Le Joueur de fifre et Chez le père Lathuille.


Jeunesse on décampe
suis-moi prends ma main
lentement sans lampe
ténébreux chemin

Leurre au chant d'Orphée
veuf du five o’clock
l’assourdit la fée
inconsolé d’Oc

Je / suis / le / ténébreux — le / veuf / l' / inconsolé


Lester l’incunable
princeps sous vélin
d’ors pare l’affable
Aquitaine loin

À sa décadence
largué son fichu
tournoie et sa danse
abolie a chu

le / prince / d' / Aquitaine — à / la / tour / abolie


Manet chez Lathuille
seulement devin
étoilera d’huile
estampes et vin

Morterille on cause
ethnique philtre et
montant virtuose
luthier en attrait

ma / seule / étoile / est — morte / et / mon / luth


Constellé ton fifre
portera Manet
levant note et chiffre
soleil au bonnet

Noirceur mais point d’ombre
devisons piou-piou
laver cette sombre
mélancolie où ?

constellé / porte / le / soleil — noir / de / la / mélancolie


À suivre ?

Pantrine à Piccard

Pantrine fibonaccienne 1—2—3—5 syllabes :

Maître
Piccard,
sa lunette
hisse le regard.

Auguste Piccard
grimpe
en regard
d’Olympe.

Il grimpe
plus haut que les dieux
de l’Olympe
vieux :

dieux
qu’un Maître
montre vieux ;
neuve est sa lunette.

Pantrine autoréférente

Appelons pantrine un pantoum dont les vers ne se répètent pas exactement...
A—B—a—b
B—C—b—c
C—D—c—d
D—A—d—a
... puisque leur taille varie dans l'ordre d'une quatrine métrique :
1—2—3—4
4—1—3—2
2—4—3—1
1—2—3—4 syllabes.

Mon
couplet
se répète
en dix mesures.

Second couplet
à
dix mesures
encore.

Puis à
permuter tout,
l’ordre encore
change.

Tout
en mon
pantoum change
mais se répète.

Post-scriptum, 2 tentatives de pantrines à la limite, qui riment celles-là :
1—1—2—3 / 3—1—2—1 / 1—3—2—1 / 1—1—2—3 syllabes la première,
0—1—1—2 / 2—0—1—1 / 1—2—1—0 / 0—1—1—2 la suivante.
Quelques chevilles du genre h muet au huit de Pie_VIII.

Hans
fonde
les temps
d’outre-tombe :

sa profonde
nuit
en tombe
huit.

Nuit
vaticane,
Pie VIII
moine

cane
sans
stramoine.
Contretemps.
?
Beaux
rêves
Booz

Tombeaux
:
Oz
pleure

L’heure
d’hivers
pleure
!

...
Sèves
vers
ses rêves

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