Poèmes en juillet
Collecte chronologique de la plupart des poèmes (quelques-uns n’ayant pas encore dépassé l’état d’esquisse) que j’aurai composés en juillet, en même temps que se prépare l’imminente Pirouésie 2017. Summertime as the livin is easy... contraintes plutôt douces ; devrait en résulter quelque chose à peu près lisible ?
1) Sonnet à Guillaume Martin, coureur cycliste et philosophe —
Un sonnet c’est quoi ? Devinette sans équivoque si l’on est cycliste : on répond que sonnet c’est le masculin de sonnette. Alors la leçon dicte : ô chaîne maïeutique depuis Platon, tracte-moi hors du peloton jusqu’au soleil de Diogène ! Car la physique et la philo se combinent sur un vélo — abrégé de vélocipède. Petite reine au firmament, la sagesse pour principe aide l’âpre grimpeur finalement.
2) Sonnet brisant les rimes —
Appelons "anaphones" (néologisme d’après "anagrammes" pour les lettres) des groupes de syllabes répétant les même phonèmes dans un ordre différent. Rien d'autre que des contrepèteries, le ressort comique en moins. Nicolas Graner ("quadrupet"), Annie Hupé ("médaille") et Gilles Esposito-Farèse ("14-plet") ont déjà exploré brillamment des contraintes proches.
Ne bégaye, aède, ce rêve précipitamment mis en vers ; le mot s’enfuit, la rime part avant que s’accorde ta harpe. Solennel, n’agite de torche vêtu d’un marcel et d’un short ; consacre pudique la chair à la vareuse en toile rêche. Vigie au faîte du mât d’orme, nul ne t’entend : gavés de rhum, les marins ignorent le croc imminent... ho ! Moby Dick orque. Oracle formulé trop tard, ainsi du sonnet que tu rates.
3) Rimes-mires —
Suite au sonnet ci-dessus, des quatrains qui ne riment pas à proprement parler : strophe 1, des palindromes phonétiques concluent les vers sur une syllabe (rime-mire / fou-ouf) ; strophe 2 sur deux syllabes (chantée-étanche / coda-ad hoc) ; etc. jusqu’à la strophe 4, composée avec l’accent du Nord, où "un tel écho" = "hoquet l’éteint" à l'envers.
Au lieu d’épuiser une rime, prenons un terme qui la mire phonétiquement... pari fou ? Une syllabe y convient, ouf. Double syllabe soit chantée, nul risque d’amnésie étanche ; quand sonne à son rang la coda, on l’attend s’accomplir ad hoc. Mais remonter d’un trisyllabe, n’est-ce aussi long que Bali-Syrte, notre aller-retour rêvant là se rappeler tout à l’envers ? Lors l’aède dit salut grive et ponctue en virgule acide : tétrasyllabe un tel écho n’entend pas qu’un hoquet l’éteint.
4) Contrepétrimes —
Successivement 1 syllabe (mare / rame), 2 syllabes (castor / costard), 3 syllabes (qui ne souille / souquenille).
Dans le reflet de la mare où ne trouble aucune rame Narcisse à peau de castor se flatte du beau costard Nul mirage qui ne souille cet éphèbe en souquenille
5) Médor dormait —
Ouah ouah. Distique au dog jappant my god ! Il aboie un tercet, ce clebs qui s’est tressé des dreadlocks de setter. L’autant oblong qu’un train-cabot pour la toilette troqua bain, brosse et savon contre un bac trop court encor — tel ce beau quatrain.
- ouah
- dog / god
- tercet / tressé / setter
- train-cabot / troqua bain / un bac trop / beau quatrain
6) Palindrome phonétique —
Mettant zircon le phonème quitte et n’offre ce comique. Qui moque sœur phonétique mène au feu long chrysanthème.
7) Anaphones encore —
Quelques quatrains expérimentaux, inconsistants quant au sujet : une vague chanson à boire. Mais le champ lexicalcoolique est très fourni, commode pour faire des tests. La question en jeu, pourrait-on remplacer la rime par un autre dispositif sensible à l’oreille ? Au point d’envisager tout un corpus selon pareille tradition exotique ?
Qui picole mais jure onques n’être murgé ne sombre par ivresse de s’avoir trop servi. La formule n’opère pas dans l’eau sans Pernod, attends-toi bien qu’à rire sous l’effet du Ricard. Bicarbonate au poivre ? N’y touche point poivrot ! Gueule de bois, n’y pare rien mieux qu’un bon pinard. Ç’a bibus d’un beat sobre, la cadence au bistrot ; fissa plonge à la cave, remonte un vieux calva. Loin de vider la dive, etc. ad lib. (...)
8) La même chose en plus sérieux —
Sainte est un poème de Mallarmé, dont les rimes sont ici remplacées par des anaphones bisyllabiques = fragments de contrepèteries sans effet comique : -cendie -dissant / dormant mandore / Chaldée d’éclat / -lipo polie / -sse en Troie -tensoir / etc.
À la fenêtre l’incendie de santal — croisée et dormant, sa viole resplendissant jadis avec flûte ou mandore, est la sainte pâle Chaldée dans le livre vieux Oulipo, magnificat qui bruit d’éclat jadis selon vêpre polie ; tel vitrage frémisse en Troie que frôle une harpe — qu’a-t-il formé depuis son ostensoir pour la phalange délicate d’un doigt dont la corde l’entasse au fond du livre — elle, cent lys sur la lutherie en santal, musicienne du silence.
9) Récréation —
Evere est une des nombreuses communes belges (ou françaises en région flamande) dont le nom néerlandophone est monovocalique en E : Gent, Wevelgem, Herzeele, Lezennes, Hellemmes etc. Mais Evere compte une singularité supplémentaire : E étant la cinquième lettre de l’alphabet, les 5 lettres Evere ont une gématrie = 55. Diable ! direz-vous. Oui, c’est bien le Malin qui m’a soufflé l’Evere-Tercet monorime diabolique en -ic de 66 lettres et gématrie 666, le tout sous forme d’un palindrome infernal. Je vous laisse à en démonter l’exégèse :
Cil ce diagnostic conservé scia le rêve Evere laïc Sèvres n’occit son gai déclic
10) Pantoum d’anaphones dissyllabiques —
Rayon au terme d’odyssée le calcul défie un tunnel perce du limon indécis sondant le fût d’une lunette Le calcul défie un tunnel focale nuit pourquoi ces verres sondant le fût d’une lunette dans l’inconnue à traverser Focale nuit pourquoi ces verres on oscille entre sombre et net dans l’inconnue à traverser soupape obstinée aux ténèbres On oscille entre sombre et net on a raison ou bien on faute soupape obstinée aux ténèbres advienne d’un nouveau photon On a raison ou bien on faute par flux et reflux lumineux advienne d’un nouveau photon issue à l’opaque ennemie Par flux et reflux lumineux le vérin d’effort vainqueur loue issue à l’opaque ennemie enfin promesse de couleur Le vérin d’effort vainqueur loue tant l’imminence d’un éclair enfin promesse de couleur qu’artifice vrai de l’équerre Tant l’imminence d’un éclair rayon au terme d’odyssée qu’artifice vrai de l’équerre perce du limon indécis
11) Récréation bis —
Allez hop, un p’tit palindrome gratuit = qui ne vaut pas grand chose. Ça na pas de sens ? Mais si mais si, il y a cinq sens : par ordre d’apparition l’odorat, le toucher, le goût, la vue, l’ouïe.
Zen livarot sentir l’index à mistigris. Sec nage le sellier Odéon salivé, sa sujette d’œil pers replie Odette Jus. A sévi l’as Noé d’oreilles élégances : Sir Git’s I’m axed nil ! rit Nestor à vil nez.
12) Sélénet d’anaphonorimes —
Un geste et l’on magne vive à Cro-Magnon la geste loquace que dira Lascaux Rouge l’hématite du graffiti mat et noir le carbone qu’innove un bon arc D’un souffle on colore le cerf et l’auroch une vache allaite l’heur pariétal Dix-sept millénaires que d’us moderne et d’études rupestres s’instruit l’abstrait pur
13) Gématrie du haïku —
combien le haïku ça fera cinq sept et cinq y pesant ses lettres
14) "Rêver" est un palindrome (salut au champion du sommeil hypnotique) —
Son sédatif fusa ça suffit à Desnos
15) Anaphones dissyllabiques d’après Verlaine —
Des sanglots longs écoulons l’eau de l’automne quand virelangue noie en langueur son tonneau Point suffocants qu’un décan faux sonne l’heure nous revient sang des jours anciens grandeur Leu Qui grave émaux au vent mauvais s’endort mieux deçà delà s’il souffla deux feuilles mortes
16) Longtemps je me sommes... —
Certaines circonstances littéraires devraient autoriser à conjuguer hors les règles habituelles, voire _imposer_ des entorses au vieux Bescherelle. Dès lors qu’il s’agit de "tabac" dans une phrase tout verbe ou auxiliaire "être" se fige à la première personne du pluriel du passé simple "fûmes". Le verbe "écosser" restera "écosse" s’il est question non loin de "whisky" ou d’Édimbourg, etc.
Proposition qui a sacrément inspiré Gef, lequel cite aussi les brillantes trouvailles de Nicolas Graner.
Longtemps je me _sommes_ couché de bonne heure. (Proust, Du côté de chez Swann) Çà, voyons, je _fût_ ivre ! (Rostand - Cyrano, Acte III scène 13) (…) poupon rose que _sentons_ l’âne de la crèche (…) (Adam - L’enfant d’Austerlitz, p. 41) Je ne _pigeons_ pas les voyageurs. (Lévi-Strauss - Tristes tropiques, incipit) Il me semble que je _suez_ l’or. (Lettre de Ferdinand de Lesseps au baron de Reinach) Selon ce que tu _cochons_, je _verrat_ tes aptitudes. (QCM filière porcine) Nous _court_ en short. (Équipe minime de 4 x 100 m) Durant le service on ne _busse_ que de l’eau. (Règlement intérieur RATP) Quatre à cinq cents femmes _fûmes_ occupées à rouler les cigares dans la manufacture. (Mérimée - Carmen, ch. 3) À fin de bon whisky, nous _écosse_ le malt. (Dicton d’Édimbourg) Je n’en _pusse_ plus de la guerre, il me vient des fourmis. (Vian - Les fourmis, ch. 14)
17) Flou polysémique —
La polysémie est un puissant moteur poétique. Déplaçons-la voir vers une zone floue, quelque part entre le calembour et l’homophonie. Par exemple ci-dessous, "j’eus dans la limonade" sous-entend "jus dans la limonade". Le même procédé est présent dans chaque hémistiche. Cela reste à tester dans un contexte non burlesque.
Roland Garros rackette, il nous tapa sans balles, voyageurs qui pigeons et n’oignons la salade. Sommes-nous endormis ? J’eus dans la limonade pureté qui descend : elle fore les Halles. (...)
18) Soient niais ces mots ! —
Non burlesque ? Ça se gâte au contraire : un jeu de mots vaseux par hémistiche.
Ô père, ô maléfice, ô java d’estafettes, fausset ce cri muait ! L’averse n’a pas plu, la douche quel impair : castrat juste eût fallu qui s’ennuie au soleil du malheur que vous faites. Délice, en avaler l’arôme de Carthage, gros délire tremens, on vit la Médicis descendre à Monterey dont le rhum de grand prix reste calme et sagace, équilibré passage. Fûmes-nous à Carmen ? J’oins un cigarillo et me — caduc — déguise en Robin de mayo. Abracadabra vaut du Cobra la mort sûre. Vivante mortadelle, elle danse aussi son jazz coulé par des vis sans qu’au bras la morsure d’attifé show venu revendiquât le son.
Robert Rapilly, mercredi 12 juillet 2017, à 14:08 [in Vrac] 2 commentaires - aucun trackback