Jossot a réalisé au moins vingt deux affiches publicitaires et certaines ont peut-être disparu. Malgré son intérêt pour ces supports monumentaux, le dessinateur minimise leur dimension artistique en raison des contraintes imposées par l'industriel. En 1897, Jossot signe un contrat d'exclusivité qui l'engage pour cinq ans avec Victor Camis, mais il se brouille avec lui dès 1898. Il ne recommence sa carrière d'affichiste qu'en 1903.
L'histoire de l'affiche accorde étrangement une place très marginale à cette oeuvre. L'idée d'adapter la caricature — dans sa veine la plus grotesque — à l'art appliqué, paraît cependant sans véritables précédents. Cappiello hérite assez directement de ces audaces graphiques, avec ses couleurs vives traitées en aplats et un parti pris décoratif, mais il évite les déformations caricaturales qui font toute l'ambiguïté des affiches de Jossot.
Dans sa première affiche, datée de 1894 et destinée à un producteur de pain d'épice dijonnais, Jossot représente deux poupons qui se disputent férocement la friandise. Il évite ainsi l'effet « Poulbot » d'une anecdote attendrissante : comme dans le monde des adultes, il s'agit d'une lutte pour la survie... et seul le plus gros triomphera !
Cette affiche a profondément marqué les esprits en raison de sa taille (six mètres de long !) et de sa grande diffusion. Elle représente cinq célébrités de l'époque : le député de Pontarlier, Philippe Grenier, Yvette Guilbert, Henri Rochefort, Sarah Bernhardt et Aristide Bruant. La scène fait probablement allusion aux rapports parfois conflictuels entre tous ces personnages, sur un mode plutôt grivois...
Jossot a peut-être voulu associer Guignolet aux marionnettes lyonnaises du Guignol, mais l'idée festive disparaît finalement avec ce Pierrot lunaire. Dans ses caricatures, Jossot milite contre l'alcoolisme, de sorte qu'il joue peut-être avec l'image traditionnelle du clown triste pour introduire un second message : le Guignolet nuirait-il à la santé puisque le personnage se réduit en définitive à un crâne posé sur une couronne mortuaire ?
Exactement contemporaine de l'affiche précédente, l'allusion morbide associée au monde du cirque, est ici encore plus transparente. Le dessinateur évoque la curiosité malsaine du lecteur pour les faits divers sanglants dont il agrémente son petit déjeuner...
Cette affiche pour le journal anticlérical l'Action est la plus liée à son oeuvre caricaturale, et certainement la plus politique. Elle a servi d'étendard dans les manifestations des anticléricaux qui entonnaient la Marseillaise aux sorties des messes... Elle a été reproduite en Céramine afin d'empêcher les lacérations orchestrées par les prêtres et leurs fidèles...
« L’affiche caricaturale »
On a pu lire dans une petite revue dont le nom m’échappe :
M. Jossot perd le point initial de la psychée des affiches ; que l'icone [sic] murale doit être moyen et fin en soi, qu'il s'agit de suggérer au « monsieur qui passe » l'emplète [sic] par l'agréable.
Celui qui a signé ce pathos a, tout comme Baudelaire, perdu... [une riche occasion de poser sa plume et de rouler une cigarette]). L'affiche, sur le mur, doit hurler, elle doit violenter les regards du passant. Je puis dire, sans fatuité, que j’ai fait une immense réclame aux deux maisons Saupiquet et Amieux, aussi bien par mes couleurs gueulardes que par mon dessin grotesque, poussé jusqu’au monstrueux. Les passants, d’abord estomaqués, comme s’ils recevaient un coup de poing en pleine poitrine, s’arrêtent... et regardent, ce qui est l’essentiel. C’est un résultat que n’obtiendront jamais, malgré tout leur talent, certains artistes taillés pour être des affichistes comme moi pour être chef de bataillon. Ils traiteront une icône murale de la même façon qu’ils dessineront une estampe, et c’est une erreur commune à un grand nombre.
Le critique ajoute :
Les iconophiles ne sauraient trop réagir contre cette malencontreuse tendance qui porte a remplacer le fin, le sensible, l'élégant, par le brutal, le monstrueux, le démesuré. Où en veut-on venir avec ces kilomètres de papier barbouillés de couleurs crues ?
J'avoue qu'il est difficile à un collectionneur de faire entrer dans ses cartons les quinze mètres de superficie de l’icône Saupiquet. Mais, n’en déplaise aux collectionneurs, les affiches ne sont pas mises au monde exclusivement pour eux. Avant eux, il y a le négociant ou l'industriel pour qui la réclame est faite.
C'est lui qui commande et qui paie. Or, ce qu'il veut, ce monsieur, c'est une affiche qui se voie. Colorations éclatantes et dimensions colossales sont donc les principales qualités requises. Pour terminer, je reprocherai au client de vouloir toujours imposer son idée à l’artiste et, en lui supprimant tout effort d’imagination, de le paralyser complètement : il rédige, la plupart du temps, plusieurs pages de texte dont il exige l’intercalation de façon très apparente et très lisible à travers tout un régiment de personnages ; et, pour qu’il soit tout à fait heureux, il faut enduire les dits personnages de tonalités jolies. Aussi, qu’arrive-t-il ? C’est que je défie n’importe quel iconophile de pouvoir me dire, en se plaçant à dix mètres, ce que l’affiche représente.
Conclusion :
Plus une affiche est simple, c'est à dire moins elle est encombrée de texte et de personnages, mieux elle se lit. Et, vérité qui n’a pas besoin de démonstration, plus elle est grande et plus elle éclate, mieux elle se voit. J’ajouterais qu’une facture originale et un sujet drôlatique [sic] sont d’excellents compléments l’un de l’autre.
Jossot, 1897 [extraits].
Copyright © Henri Viltard, janv. 2008
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