« Dans quelle société vit-on pour que des assureurs et des avocats décident du contenu humoristique ? J’ai juste envie de dire celle que vous avez choisie. »
À la suite de la censure du sketch Ward-Nantel au gala de l’humour, Louis Morissette, fraîchement olivierisé, s’est empressé de faire porter l’odieux au public québécois. Celui-là même qui mange l’humour à la petite cuillère, qui chouchoute ses comiques presque autant que P.K. Subban et Carey Price, qui se tape du stand-up bien avant le théâtre, la danse ou même les spectacles de musique.
Les Québécois, on le sait, ont un appétit hors norme pour l’humour, y compris pour des sketchs médiocres et des farces plates. Si vous écoutez attentivement le numéro censuré, par exemple, vous constaterez que les gens rient lorsque Mike Ward parle de la conjointe du nouveau PM comme d’une « crisse de folle qui chante aux conférences de presse ». Pas vraiment drôle, on en convient, même si le penchant de Sophie Grégoire à pousser la note en public a certainement quelque chose de comique. Encore aurait-il fallu mettre le doigt dessus. Mais devant un public gagné d’avance, il n’y a pas l’ombre d’un shoe-claque ou même d’un petit « hon » refoulé au fond de la salle. Il n’y a qu’appréciation et reconnaissance.
Alors, politiquement correcte, la société québécoise ? Arrête ton char, Ben-Hur. Le problème n’est pas que les Québécois se promènent aujourd’hui les bras en croix et la bouche en cul de poule, le problème c’est que certains humoristes, souvent les moins inspirés, trop habitués à tout ramener à leur petit carré de sable et à leur agressivité de cour d’école, se prennent pour les gardiens du temple. Vous aurez peut-être remarqué que le nombre de décibels lors d’un spectacle d’humour est souvent directement proportionnel au manque d’esprit et d’inventivité. N’est pas Martin Matte ou Louis-José Houde (encore moins Yvon Deschamps) qui veut.
Fallait-il censurer le sketch pour autant ? Pas du tout. La démocratie s’accommode très bien du médiocre et de la bêtise, signe indubitable que le système fonctionne, pourvu qu’ils n’incitent pas à la haine ou à la violence. Il n’y avait rien de tel dans le fameux sketch annulé. Mais la présence de Mike Ward cumulée à la référence (encore moins drôle, celle-là) à la Commission des droits qui « ne devrait pas exister » a mis les avocats en état d’alerte. (Ward est devant la Commission actuellement dans la cause qui l’oppose au « petit Jérémy »). À noter qu’il n’y a pas que les humoristes qui « passent au bat » avant la diffusion en ondes. Toute production extérieure doit subir le test des assureurs avant d’obtenir le feu vert, ce dont je peux témoigner en tant que documentariste.
Encore une fois, il ne s’agit pas de rectitude politique, mais simplement de prévenir d’éventuelles poursuites. Ce n’est pas une question morale, ce n’est pas pour cacher ce gros mot, ce doigt d’honneur, c’est bien davantage une question d’argent. Le diffuseur, qui doit déjà assumer les poursuites vis-à-vis de ses propres journalistes (ça arrive plus souvent qu’on le pense), ne veut pas assumer les frais de justice d’une production qui ne lui appartient pas en propre. On peut parfois tomber sur un esprit particulièrement frileux, c’est vrai, plus amoureux des règles que de mettre en valeur ladite production — à cet égard, le sketch d’ouverture de François Morency est absolument formidable —, mais à Radio-Canada, ce n’est quand même pas la loi du cadenas. Souhaitons, oui, que la controverse de cette année amène plus de souplesse chez les assureurs et diffuseurs de tout acabit, mais arrêtons de faire des humoristes les martyrs d’une société qui aurait peur de son ombre.
Profitons plutôt de l’occasion pour dire combien une époque qui nous donne un humour« de plus en plus vide, narcissique et strictement commercial » est triste à mourir. On a les comiques qu’on mérite, comme le soulignait le collègue Louis Cornellier dans une recension de l’histoire de l’humour au Québec. Cela fait déjà plus de 30 ans que nous nous vautrons dans un humour (largement) en « panne de sens », où règnent« l’apolitisme et l’abandon de l’engagement sur fond d’absurde et de triomphe de la bêtise ». Bien sûr, même en panne de réflexion, on a besoin d’humoristes et, bien sûr, on va continuer à défendre votre droit à la libre expression. Mais sachez que si on rit, c’est souvent pour oublier dans quel marasme on patauge.