On se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. ... Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie.

— Paul Halter, À 139 pas de la mort

mercredi 14 mai 2014

1001 Chambres closes: un questionnaire pour les auteurs

1. Pourquoi la chambre close? Pourquoi la fascination avec les chambres closes et les crimes impossibles? Comment votre passion pour cette lecture est commencée? Quel livre était votre premier?
Vincent Bourgeois : Passionné par l’Énigme en général – et ses divers aspects si bien illustrés dans beaucoup d’œuvres de la littérature policière – je trouve que le défi le plus abouti est celui de la « chambre close  » : simple (du moins en apparence) dans sa présentation, mais ô combien complexe dans sa résolution, il est fascinant de voir avec quelle dextérité ce problème a été traité, puis enrichi, par la mise en abyme de bien d’autres situations tout aussi inextricables ( je veux bien sûr parler de son fascinant corollaire, le « crime impossible », qui permet une exploitation bien plus étendue encore du genre).

J’ai contracté le virus du Mystère grâce à Agatha Christie : Dix petits nègres a été ma première approche (quel fabuleux début, n’est-ce pas ?), et je ne remercierai jamais assez ma professeur de français de l’époque de m’avoir permis de savourer cette découverte (grâce lui soit rendue de m’avoir fait connaître Dame Agatha, en lieu et place de lectures scolaires « imposées » et –parfois – rébarbatives). Mon deuxième contact avec l’Impossible l’a été à travers Le Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux (que je lisais fébrilement, sous forme de  feuilletons, chaque semaine, dans un magazine…de mode) ; pour la suite, les œuvres de mon compatriote Stanislas-André Steeman (très accessibles pour moi, car présentes dans la bibliothèque paternelle), avant que le coup fatal ne me soit porté par mon éminent comparse Roland Lacourbe, qui a relancé la traduction en langue française de l’œuvre de l’immense John Dickson Carr, dont le Service des affaires inclassables a constitué ma première découverte… avant de lire, inexorablement, tous les récits de cet auteur de génie.

Philippe Fooz : J’ai toujours été attiré par le roman de « Mystère » (expression chère à Pierre Véry) qui englobe ce qu’on trouve aujourd’hui sous l’étiquette « énigme, espionnage, thriller, suspense ». Le problème de la chambre close m’a tout de suite fasciné : c’était une dimension hors norme, combinant roman policier et roman fantastique. Ma première confrontation avec le genre (je devais avoir douze ans) fut, bien sûr, Le Mystère de la chambre jaune, suivi du Parfum de la dame en noir. Puis, tout naturellement, j’ai découvert Pierre Boileau (Six Crimes sans assassin, Le Repos de Bacchus) et, inévitablement, Boileau-Narcejac ; parallèlement, je me plongeais avec délectation dans l’œuvre de la grande prêtresse du crime, Agatha Christie. Ce n’est que bien plus tard (vers seize ans) que j’ai abordé John Dickson Carr qui, à l’époque (1975) était le seul spécialiste accessible dans le domaine francophone ; puis, bien sûr, les grands maîtres anglo-saxons, Chesterton, Ellery Queen, Patrick Quentin (qui n’a pas livré de chambre close, dommage…). La découverte révélatrice fut pour moi Noël Vindry, que je découvris dans les années quatre-vingts, puis dans les années nonante, Martin Méroy. Le domaine francophone ne donna vraiment accès à des œuvres majeures d’auteurs étrangers qu’à compter de ces trente dernières années et je me plongeais alors avec ravissement dans les traductions de Carr, Edward Hoch, Joseph Commings, Clayton Rawson, Jacques Futrelle, John Sladek … et bien d’autres…
  
Roland Lacourbe : Dès mon adolescence, j’ai été un grand lecteur de romans policiers, de romans de science fiction, et de romans fantastique — genre épouvante. Une passion pour la lecture que m’ont donnée mes parents. En trouvant des romans de John Dickson Carr dans la bibliothèque de ma mère, j’ai découvert que cet auteur savait de manière singulière combiner l’énigme policière et une atmosphère propre au fantastique. Je suis devenu un fanatique de Carr et j’ai dévoré un par un tous ses livres traduits en français : à l’époque, cela constituait tout juste la moitié de son œuvre ! [1] Mes deux premières rencontres avec Carr ont été Till Death Do Us Part et He Wouldn’t Kill Patience. Et, dès lors, cette passion ne m’a plus jamais quitté. Ensuite, le second “choc” de lecture a été And Then There Were None d’Agatha Christie. Puis, la découverte de Pierre Boileau et d’Ellery Queen. Petit à petit, sans que j’y prenne garde, le genre du crime impossible s’est imposé à moi.

Michel Soupart : Le mystère de chambre close satisfait à la fois notre désir de merveilleux (le rêve à un monde où tout pourrait arriver) et notre besoin de comprendre et de donner un sens aux faits auxquels nous sommes confrontés.

J’ai découvert les chambres closes à onze ans avec The Murders in the Rue Morgue qui m’avait impressionné et à treize ans avec Le Mystère de la chambre jaune qui m’a mystifié et inoculé le virus. Ensuite ce furent Carr, Van Dine, Boileau, Chesterton, et tant d’autres. Ma préférence a toujours été  aux récits avec un arrière-plan surnaturel comme The Crooked Hinge de Carr ou Through a Glass Darkly de H. Mc Cloy ou les romans de Hake Talbot par exemple.

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2. Il y a beaucoup de variété dans le livre 1001 Chambres  Closes; on y trouve des auteurs anglais, américains, français, japonais, etc. Comment avez-vous trouvé ces livres? Quelle était leur disponabilité? Avez-vous réussi de les tous trouver en traduction français, ou avez-vous du lire quelques-uns dans leur langue originelle? Et pourquoi le nombre « 1001 »?
Paul Halter
V. B. : C’est à la suite de recherches incessantes (et, par ailleurs, toujours en cours) que nous avons découvert tous ces auteurs. Pour certains (J.D. Carr, Paul Halter…) qui se sont faits les spécialistes de notre domaine de prédilection, cela s’est révélé facile. Des références ont pu être obtenues grâce à des ouvrages spécialisés, y compris en langue anglaise (dont ceux de notre extraordinaire complice Robert Adey, par exemple) ; d’autres par la lecture de fanzines, par le « bouche à oreille », et parfois… par le hasard pur et simple. Je me réserve actuellement (après avoir écumé la majorité des œuvres en langue française) le temps de découvrir bien d’autres pépites non encore traduites… et il y a du boulot !

Ce livre constitue une sorte de complément  à notre précédent ouvrage Chambres closes… Crimes impossibles. Il a été élaboré grâce à l’aide immense de notre ami Roland Lacourbe (et de son épouse Danièle Grivel). Nous étions initialement partis pour le chiffre «  999 » (un private joke faisant référence à l’étude de Roland 99 Chambres closes, mais notre choix s’est finalement porté sur le chiffre de « 1001 » ( un peu comme pour les Contes des 1001 nuits, une invitation au voyage et au mystère…)

Ph. F : Lorsque nous avons abordé un recensement pour l’édition de 1997, nos lectures antérieures nous avaient permis de découvrir pas mal d’auteurs francophones ou traduits. Nous nous sommes donc attelés à une recherche systématique à partir du livre de Robert Adey (Locked Room Murders and Other Impossible Crimes) afin de découvrir s’il existait des traductions françaises des ouvrages listés. Pour la présente édition, nous sommes également allés “à la pioche” sur les nombreux sites Internet de langue anglaise où nous avons trouvé énormément de choses. Mais tous les romans et nouvelles répertoriés sont des traductions françaises [2].

Pourquoi 1001 Chambres closes ? : nous avions pensé à 999… juste prolongement de l’étude de Roland Lacourbe (99 Chambres closes), publiée en 1991. Il s’est avéré que notre recensement aboutissait à près de 1180 références… Le titre 1001… qui fait directement référence aux fameux contes de Schéhérazade, se justifiait donc, apportant une part de rêve implicite (cf. Carr et The Arabian Nights Murder qui a été baptisé en français Le Meurtre des mille et une nuits).

R. L. : La seconde étape déterminante a été la découverte du livre bibliographique de Robert Adey Locked Room Murders and Other Impossible Crimes, dans sa première édition. C’était au début des années quatre-vingt. J’ai d’abord voulu établir la liste des livres et des nouvelles cités qui étaient disponibles en français et j’ai dressé une première bibliographie. Je pensais alors proposer cette liste commentée à mon ami Jacques Baudou, éditeur d’un célèbre fanzine de l’époque, Énigmatika. Mais le manuscrit a pris une telle importance que Jacques m’a suggéré d’en faire un livre. Ce qui a donné 99 Chambres closes publié en 1991. Parallèlement, j’ai publié une première anthologie de vingt nouvelles, toutes déjà traduites, Les Meilleures Histoires de chambres closes (1985), qui a marqué le début du renouveau du genre en France. Entre-temps, j’avais fait la connaissance de Robert Adey à qui j’étais allé rendre visite chez lui. J’ai découvert un homme fascinant, chaleureux et d’une incroyable érudition, et nous sommes devenus des amis.

Je m’étais alors rendu compte que le nombre de textes traduits en français dans la bibliographie de Robert Adey ne dépassait guère la moitié. J’ai donc cherché à me procurer les textes encore inédits et que me conseillait Bob. D’où la découverte de quelques merveilles comme les deux romans de Hake Talbot et les nouvelles du sénateur Banner de Joseph Commings ou du Dr Hawthorne d’Edward D. Hoch. Ce qui a donné naissance à de nouvelles anthologies comprenant cette fois un grand nombre de nouvelles encore inédites. Sans oublier, naturellement, tous les inédits de John Dickson Carr, qui étaient encore très nombreux [3]. Et les romans de Clayton Rawson (à l’époque, seules ses nouvelles avaient été publiées dans Mystère Magazine, mais aucun de ses romans n’avait été traduit).

Quant au nombre de 1001, c’est un nombre symbolique. Il ne répond qu’à la nécessité de trouver un titre. D’ailleurs, notre bibliographie dépasse les 1150 références…

M. S. : Je n’aurais pu découvrir toutes ces merveilles seul. C’est grâce surtout à la grande connaissance de Roland Lacourbe sur le sujet notamment pour la littérature policière anglo-saxonne que j’ai découvert pas mal de titres qui m’étaient inconnus. Mes autres complices m’en ont aussi fait découvrir, ainsi que des amateurs et collectionneurs sans oublier Internet. Ma connaissance de l’anglais m’avait tout de même permis de lire notamment C. Rawson, et plusieurs Carr non traduits avant que Roland Lacourbe parvienne à obtenir la traduction de leurs œuvres.

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3. Quelle est la relation entre ce livre et votre dernier livre, Chambres Closes Crimes Impossibles?
V. B. et Ph. F : Déjà souligné : le travail de 1997 est la base de la présente édition (voir la note page 4 du livre).

R. L. : En faisant des recherches bibliographiques sur le genre du crime impossible dans la littérature policière, je me suis rendu compte que c’était un merveilleux prétexte pour faire connaissance avec des passionnés du genre dans le monde. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer ou nouer des relations avec des Anglais comme Robert Adey, Tony Medawar ou Jack Adrian, des Américains comme Bill Pronzini, Douglas Greene ou John Pugmire (John est Anglais mais, vivant depuis plus de trente ans à New York, je le considère comme un Américain). J’ai également pu rencontrer Otto Penzler et correspondre avec d’éminents spécialistes comme James E. Keirans. J’ai même eu le plaisir et la chance de connaître Edward D. Hoch en personne qui j’ai interviewé à New York en octobre 1997 et avec qui je suis demeuré en relation épistolaire jusqu’à sa mort. Ed a été très reconnaissant que le premier recueil de nouvelles consacrées à son Dr Hawthorne ait été publié en France. Au début des années deux mille, il m’envoyait par mail ses nouvelles traitant de crime impossible avant publication dans le Ellery Queen’s Mystery Magazine ! Et je lui ai fourni plusieurs fois, à sa demande, des informations sur Paris et la France, pour certaines de ses histoires…

Et c’est aussi après la publication de 99 Chambres closes que je suis entré en relation avec ces trois chercheurs belges qui sont devenus des amis très proches, Vincent, Philippe et Michel, avec qui je partageais des passions et des goûts communs. Et lorsqu’ils m’ont proposé de participer à une nouvelle édition de leur livre, j’ai accepté avec enthousiasme.

M. S. : Notre premier livre avait pour but de faire découvrir le sujet au grand public sous plusieurs de ses aspects. Nous avons pu poursuivre notre objectif en profondeur grâce à Roland Lacourbe qui a été le moteur de l’entreprise et que je remercie. Tous les aspects sont à présent répertoriés [4]. Seul parent pauvre, le théâtre qui n’a pas pu apporter grand-chose dans le domaine.

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4. Une des meilleures éléments de votre livre est que vous incluez une brève évaluation de chaque roman/nouvelle, ainsi qu’une note. Les notes vont de zéro à cinq étoiles. Comment avez-vous décidé sur les notes? Qu’est-ce qu’un livre devait faire afin d’obtenir une note de cinq étoiles? Y a-t-il des désaccords entre vous à propos ces notes?


V. B. : Nous ne serons jamais entièrement d’accord sur la cotation attribuée aux œuvres : elle dépend de trop de paramètres, mais nous avons un consensus “global”. Mais le fait de donner une cotation pour une œuvre ouvre  à mon sens les débats et les rend passionnants. Pour obtenir la cote d’excellence, un récit doit être servi par un problème bien posé bien sûr, idéalement serti dans une ambiance fantastique avant de revenir à une explication rationnelle (et à laquelle, idéalement, on n’aurait jamais pensé). Nous avons parfois dû donner deux cotes, car certaines œuvres sont plutôt remarquables par un seul aspect seulement de cette approche (soit un problème de local clos époustouflant desservi par un texte mièvre, soit un récit brillant amoindri par un argument de local clos décevant).

Ph. F : Le rédacteur de la notule attribue la cote. Mais l’équipe collégiale peut émettre une opinion différente (les exemples de double cote sont nombreux et explicités). Le système de cotation est commenté page 23. Toutefois une œuvre peut s’avérer décevante quant à l’aspect de “chambre close”, mais présenter de grandes qualités littéraires… ou l’inverse… [exemples :  Lament for a Maker de Michael Innes, The One That Got Away de Helen McCloy, The Black Magician de R. T. M. Scott…].

R. L. : L’appréciation sous forme d’étoiles que nous avons choisie pour coter les romans et les nouvelles dont nous parlons est, bien sûr, très subjective. Mais notre démarche était — comme c’est inscrit sur la couverture du livre — de proposer un “Guide de lecture”. C’est pourquoi nous avons choisi ce système de cotation qui existe depuis des dizaines d’années dans le domaine de la cinéphilie : en France, c’était le fameux Conseil des Dix des “Cahiers du Cinéma” de la Grande Époque ; et aux États-Unis, le très populaire “Movie Guide” de Leonard Maltin. Toutefois, ces cotations ne dépassaient pas quatre étoiles. Nous en avons ajouté une pour nuancer encore un peu plus nos appréciations.

Pourquoi un livre va-t-il atteindre cinq étoiles et sera-t-il désigné comme un “chef d’œuvre” ? Je laisse à mes complices le soin de répondre. Je voudrais simplement ajouter que les bons livres obtiennent très vite un consensus parmi les amateurs. Et si nous avons eu des désaccords pour coter quelques ouvrages, tout cela a généré des discussions passionnantes pendant la rédaction de l’ouvrage. Mais il y a une dizaine de cas où les appréciations sont demeurées divergentes entre nous. Nous les signalons par une double cote. À chacun de se faire sa propre opinion.

Je dois dire, pour finir, que les réactions des lecteurs dont nous pouvons prendre connaissance sur le forum de Paul Halter (paulhalter.net), prouvent que, dans la presque totalité des cas, la majorité d’entre eux sont d’accord avec nos appréciations.

M. S. : Toutes les appréciations sont subjectives. Chacun met l’accent sur un aspect. Certains misent tout sur le problème lui-même et négligent un peu le contexte de l’histoire, la psychologie des personnages. D’autres regrettent que l’auteur, même si le problème est bon, l’ait inséré dans un cadre spécialisé pour exposer ses vues sur un problème contemporain social ou autre. D’autres sont satisfaits si l’histoire est passionnante historiquement parlant par exemple, même si le problème n’est pas ou peu original. On peut aussi valoriser une œuvre parce qu’elle a été pionnière dans le sujet même si par ailleurs elle déçoit par son caractère daté. Et puis il y a des emballements pour des raisons que l’on a parfois du mal à expliquer. En principe, une cote maximale devrait être attribuée à une œuvre présentant une situation originale de chambre close ou de crime impossible avec une solution vraisemblable, dans un contexte bien décrit, avec des personnages ayant un minimum d’épaisseur psychologique, et tout cela écrit dans une langue claire sans affectation.
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5. Il n'a pas échappé à mon attention que la plupart des mystères de chambre close que vous avez catalogués sont des livres anciens. Beaucoup sont de la période qu’on appelle en anglais « The Golden Age of Detective Fiction ». Il y a eu quelques auteurs modernes prolifiques, tels que Paul Halter, mais en général, il semble y avoir moins d'inclusions de la fiction contemporaine. En dehors de Halter, qui sont des architectes modernes remarquables de la chambre close?
V. B. : Il est vrai que la plupart des récits concernant notre propos émanent de l’Age d’Or du roman de détection, mais la veine n’est heureusement pas tarie. Certaines œuvres contemporaines contiennent encore ce genre de défis, que l’on rencontre d’ailleurs avec bonheur dans d’autres contextes que celui de la littérature policière : films, séries télévisées, bandes dessinées, romans de S.F., démontrant irréfutablement — et pour notre plus grand plaisir — que le “bon vieux problème” continue à se porter comme un charme.

Ph. F : C’est vrai que le “Golden Age” représente près de 60% ! Les auteurs modernes livrent effectivement peu de locked rooms exaltantes, ou souvent des one-shot ; Paul Halter reste une remarquable exception. Dans le domaine francophone, à part Martin Méroy, Paul Gayot (Barine) et Jean Alessandrini, je ne vois pas de nouveau créateur prolifique.

R. L. : Pour nous, il ne fait aucun doute que Paul Halter a été la grande révélation mondiale de ces trente dernières années dans le domaine de la littérature criminelle. Je précise bien : « dans le domaine de la littérature criminelle » d’une manière générale. Même si, dans la presque totalité de ses livres, le crime impossible occupe la première place. Paul, qui est devenu notre ami à tous les quatre, est avant tout un grand constructeur d’intrigues habiles, astucieuses et sophistiquées, dans la lignée directe d’Ellery Queen, d’Agatha Christie et, naturellement, de John Dickson Carr.

Une anecdote ce propos. Au cours d’une conversation — c’était dans les années 1985-1986 —, Claude Chabrol m’avait demandé la date de la mort de Carr ? Je lui avais précisé : en février 1977. Et, après un temps de réflexion — « Oui, cela fait une dizaine d’années : ça colle ! » —, il m’avait confirmé que, selon ses convictions, Carr, d’où qu’il soit, avait pu choisir et transmettre le relais à un disciple… Claude Chabrol avait une conception très mystique de l’existence !

Mis à part Paul Halter, je ne vois pas d’autre auteur à mentionner qui, aujourd’hui, œuvre régulièrement dans le genre. Chronologiquement, la dernière grande révélation pour moi aurait pu être John Sladek dans les années soixante-dix ; mais ça n’a été qu’un feu de paille. Toutefois, il y a toujours des réussites éparses, ponctuelles, comme Tokyo Zodiac Murders de Soji Shimada ou L’Énigme du Monte Verita de Jean-Paul Török.

M. S. : C’est vrai que l’ère des auteurs prolifiques dans le domaine semble finie mis à part quelques individualités comme Halter, Alessandrini, Doherty par exemple mais les one shot de valeur sont malgré tout assez nombreux (voir notre livre) et ces auteurs n’ont pas dit leur dernier mot. De toute façon, pas d’inquiétude, les problèmes de chambre close n’ont certainement  pas fini de faire parler d’eux.
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6. Quelle est votre chambres close/crime impossible préféré? Alternativement, si vous trouvez cette question impossible à répondre, quels livres choisiriez-vous pour un cours sur la chambre close/crime impossible?
V. B. : Il m’est impossible de ne citer qu’une seule œuvre, mais j’ai été particulièrement séduit par les récits de Carr, La Maison de la peste (quel problème de local clos et surtout quelle atmosphère !), La police est invitée (pour la présentation ébouriffante du problème et sa géniale résolution) ; ceux de Paul Halter, La Quatrième Porte, La Chambre du fou, Le Diable de Dartmoor, Le Géant de pierre… ; les romans de Hake Talbot ; les récits de Clayton Rawson ; Jean Alessandrini (Le Labyrinthe des cauchemars constituant une variation débridée — mais parfaitement unique — de résolution d’une chambre close à laquelle jamais personne n’avait pensé auparavant) et, bien sûr, les anthologies réservées au genre (avec des textes déjà sélectionnés pour leur haute valeur). Mais si j’étais vraiment obligé de ne choisir qu’une seule œuvre, je prendrais Trois cercueils se refermeront pour son ambiance unique, ses développements brillants… et sa célèbre “causerie” sur notre sujet favori

Ph. F : Je n’ai pas de locked room préférée ; j’ai une liste de titres qui pourrait servir de support à une conférence.
J. D. Carr : The Crooked Hinge, The Three Coffins, He Who Whispers.
Paul Halter : Le Roi du Désordre, Le Brouillard Rouge, La Quatrième Porte.
Helen McCloy : Through a Glass Darkly.
Alexis Gensoul : La mort vient de nulle-part.
Jean-Paul Török : L’Énigme du Monte-Vérita.
Ellery Queen : The Chinese Orange Mystery.
Luis F. Verissimo : Borges et les orangs-outangs éternels.
Jean Alessandrini : La Malédiction de Khéops.

R. L. : Faire un choix parmi une vingtaine de titres fondamentaux me semble impossible. Chacun a sa raison d’être dans mon florilège : me viennent à l’esprit les œuvres d’Anthony Abbot, Clayton Rawson, Joel Townsley Rogers, Derek Smith, Hake Talbot, Alan Thomas. Et ceux de Français encore inconnus aux États-Unis ou en Angleterre comme Pierre Boileau, ou ces véritables phénomènes que furent le grand Noël Vindry et Marcel Lanteaume ; et naturellement Paul Halter qui commence à être traduit grâce au travail infatigable de John Pugmire.

Je dois préciser aussi que si, à l’époque de l’âge d’or, les meilleures œuvres du genre étaient anglo-saxonnes, les livres d’expression française sont en train de prendre leur revanche ! Avec Paul, bien sûr ; mais aussi avec des auteurs très singuliers comme nos amis Jean Alessandrini et Paul Gayot qui, sous le pseudonyme de J. Barine, a écrit avec beaucoup d’invention et énormément d’humour des dizaines de nouvelles, en empruntant des pistes encore jamais explorées dans le domaine du crime impossible.

Mais je reste avant tout un inconditionnel de John Dickson Carr qui a enchanté toute ma vie. Pour mesurer la passion qui me lie à cet auteur, sachez que, lorsque je me suis rendu compte, à la fin des années soixante, que plus de la moitié de ses romans n’étaient pas encore traduit en français, je me suis mis à travailler mon anglais sérieusement afin de lire tous ses ouvrages encore inédits ! Et si je lis l’anglais sans trop de difficulté maintenant, c’est à mon amour pour John Dickson Carr que je le dois. Et c’est cet enthousiasme qui m’a permis d’écrire le seul ouvrage paru en France sur son œuvre, et d’avoir la responsabilité, pendant plus de dix ans, de diriger la publication — rééditions et traductions nouvelles — de son œuvre aux éditions du Masque. Le bilan est positif : à part The Murder of Sir Edmund Godfrey qui est un livre à part et qui ne serait sans doute pas très apprécié en France, il ne reste plus qu’un seul inédit (mais mineur), The Ghosts’ High Noon. Et ma grande fierté est que la France est le seul pays au monde à avoir publié, en quatre volumes, l’intégrale de ses 92 pièces radiophoniques !

M. S. : Si je devais faire une conférence scolaire sur la chambre close je choisirais Le Mystère de la chambre jaune car il baigne dans une atmosphère de miracle « scientifique » — la dématérialisation de la matière —, parce que les problèmes posés sont résolus par le raisonnement, le premier étant né d’une mauvaise interprétation des faits, le second (la galerie), à cause  de la difficulté pour le cerveau du lecteur d’imaginer la double identité de l’assassin, c’est-à-dire de rompre avec l’idée conventionnelle que le policier en principe ne peut être le criminel.
The Burning Court offre la possibilité d‘une double lecture de l’affaire et ce dans un contexte surnaturel historique.
Un des Paul Halter : La Quatrième Porte, Le Roi du désordre, Le Diable de Dartmoor ou…



[1] Avant 1970, 36 romans sur 72 ! J’ai raconté en détail l’histoire de la publication française de l’œuvre de Carr dans un article paru dans Note for the Curious, publié à Londres à l’automne 1995 par Tony Medawar.
[2] Toutefois, les lecteurs trouveront les analyses détaillées de 33 romans célèbres et non (encore) traduits dans le seconde volume de notre ouvrage (Annexes : Le Crime impossible dans tous ses états) qui doit paraître dans le courant du printemps 2014.
[3] Pour vous donner une idée, au milieu des années quatre-vingt, des œuvres majeures comme The Three Coffins, The Unicorn Murders, The Arabian Nights Murder et Night at the Mocking Widow étaient encore inédites en français !
[4] Le second volume de 1001 Chambres closes recense — entre autres — les films, les séries télévisées et les bandes dessinées.

dimanche 13 mai 2012

Une conversation avec René Reouven

Bonjour tout le monde!

Comme vous le peut-être savez, je suis un grand admirateur de l’auteur René Reouven. J’ai écrit des critiques admiratifs sur ses livres Souvenez-vous de Monte Cristo et Tobie or not Tobie. J’ai aussi tout récemment lu Les passe-temps de Sherlock Holmes, que j’ai adoré aussi. En bref, je trouve que M. Reouven est un des meilleurs auteurs dans le domaine du roman policier.

Ce samedi, grâce à l’aide de M. Roland Lacourbe, j’ai eu la chance de parler avec M. Reouven lui-même. Pour moi, c’était un honneur incroyable. On a parlé une bonne heure sur le roman policier, sur son œuvre, ses inspirations, etc. Ce n’est pas, tout à fait, un interview traditionnel—c’est vrai que je demande plusieurs questions mais c’est plutôt une conversation entre deux enthousiastes.

Quelques clarifications : quand je mentionne plusieurs auteurs, je souvent utilise la prononciation anglaise parce que c’est la seule prononciation que je connais. J’espère que vous me pardonneriez mon accent affreux, et j’espère que vous me pardonneriez une grande erreur de ma part : j’ai mentionné un livre d’Anthony Boucher comme son premier, mais en vérité c’est son troisième roman duquel je parle, The Case of the Baker Street Irregulars (1940). Aussi, mon oreille français n’est pas le meilleur, et quand on parlait du film de « L’Assassin habite au 21 », je pensais du film « Quai des Orfèvres » quand M. Reouven commençait de parler d’un film différent. C’est le seul moment qui me laisse vraiment gêné.

Aussi, je vous avertis qu’on mentionne deux histoires du cycle de Sherlock Holmes en détail – « La tragédie des Addleton » et « La mort subite du cardinal Tosca », trouvés dans Les passe-temps de Sherlock Holmes. Il y a des spoilers majeurs dans ces discussions, alors si vous n’avez pas lu ces nouvelles, je vous dois avertir maintenant. Pour éviter ces spoilers, sautez la section du vidéo entre 4:30 et 10:00. On mentionne plusieurs autres titres, mais sans spoilers majeurs.

Alors, pardonnez-moi mes erreurs et j’espère que vous aimeriez cette conversation. À bientôt !

lundi 30 avril 2012

L'Assassin habite au 21 — Stanislas-André Steeman (1939)

Ça fait deux mois et demi depuis le premier meurtre, et l’assassin laisse sa carte de visite à chaque scène de crime. Il se fait appeler "Mr. Smith "… pas un alias particulièrement intéressant, mais apparemment c’est efficace : la police ne peut pas trouver Mr. Smith, et les Smiths de Londres passent une période très difficile ... Jusqu'au jour que Toby Marsh raconte une histoire étonnante: après le récent meurtre commis par Mr. Smith, il a suivi l’assassin à son domicile, et peut donner à la police l'adresse: l’assassin habite au 21 Russell Square! Mais voici le problème… le 21 Russell Square est une pension de famille !

Ainsi commence L'Assassin habite au 21 de Stanislas-André Steeman. Il est, sans aucun doute, un chef d’œuvre, un des plus grands roman policiers de tous les temps. C’est un délice de la page 1 à la page 187. Lorsque nous rencontrons les habitants de 21 Russell Square, ils s'attendent à un nouvel hôte pour arriver: M. Julie, un professeur de français au Collège de France. Il vient en Angleterre pour étudier au British Museum. La police saisit l'occasion de kidnapper M. Julie, lui fait savoir de la situation et demande pour son aide de l’intérieur. La réaction de Julie est inattendue : il décide de fuir la maison! Mais avant qu’il puisse s’enfuir, la main de Mr. Smith l’a frappé… Maintenant, l'assassin a montré sa main et son jeu avec la police devient plus dangereuse encore…

Curieusement pour un livre de ce genre, L'Assassin habite au 21 combine des scènes très sombres et intenses avec certaines scènes extrêmement drôles. Par exemple : lorsque nous rencontrons les résidents du 21 pour la première fois, le Major Fairchild essaye d’envahir la salle de bains, tandis que Mrs. Crabtree se défend de sa position stratégique dans la salle de bains. Un autre exemple : quand Mr. Smith assassine M. Julie, il téléphone plusieurs journaux pour annoncer le nouveau crime... et personne ne le croit pas !

«Qui parle? »
« Mr Smith, en personne. »
« Oh! Mr Smith… Ici, le chancelier de l'Échiquier ! Comment allez-vous, vieille branche ? … Allô !... Al-lô !... » (Chapitre 6)

Steeman parvient à construire un bijou merveilleux. L’intrigue est excellente. Les indices sont tout à fait là-et il y en a un particulièrement diabolique. Quand le masque tombe du visage de Mr. Smith, la scène est brillante ! Le lecteur se promène dans un brouillard Londonien avec deux personnages— duquel un est Mr. Smith, mais il n’est pas nommé. Mr. Smith menace l’autre personnage, et cette personne essaye de l’échapper sans succès. La scène est sombre, intense, remplie de suspense ... et la surprise est tout à fait inattendue! Et encore, la solution est toute nettement construite, tellement satisfaisante ... Il me manque des mots pour la décrire !

Que puis-je dire à propos de ce livre? Je ne veux pas en dire trop mais si je dis trop peu, mon enthousiasme pourrait ne pas être suffisamment clair. Permettez-moi de cette façon: de tous les mystères que j'ai lus cette année, L'Assassin habite au 21 est mon favori absolu. C'est un grand roman policier qui inclut même un défi au lecteur inspiré par des défis similaires dans les œuvres d’Ellery Queen.

Note: Ce livre a été transformé en pièce de théâtre par Steeman, et était adapté au cinéma par le fameux Henri-Georges Clouzot.

Une autre note: Selon mon exemplaire, L'Assassin habite au 21 a été voté comme le meilleur roman policier de tous les temps, battant Le Mystère de la chambre jaune et Le Meurtre de Roger Ackroyd. Je ne sais pas quand ce vote a eu lieu et où, mais c'est justement ce genre de classique.

mardi 17 avril 2012

Le Voyageur du Passé — Paul Halter (2012)

La date: le 21 Novembre 1955. Les spectateurs en train de quitter l'Adelphi Theatre sont surpris de voir un jeune homme, dans ses trentaines, portant des vêtements longtemps hors de mode. Il marche comme s’il voit tout autour de lui pour la première fois—et il se fait presque tué par une voiture. Un peu plus tard, il est écrasé par un métro, son corps horriblement mutilé. Heureusement, le visage est relativement intact et les empreintes digitales peuvent être récupérées sur le cadavre.

Merci à la preuve du visage du défunt, l'inspecteur Archibald Hurst réussit à trouver son identité. Le corps est identifié comme appartenant à Victor Stephenson. Voici la capture: le 2 décembre 1905, Victor Stephenson est allé faire une promenade et ne revint jamais à la maison. Près de 50 ans plus tard, le voici : mais il n'a pas vieilli d'un seul jour ! De plus, les poches du mort sont pleines de choses anciennes à partir de 1905, mais ils semblent neufs !

Cela paraît absolument impossible, mais le plus qu’on apprend, le moins probable est une erreur d’identification. Deux jours avant la mort de l’inconnu pseudo, la veuve de Victor, Mrs. Dorothy (apparemment pas tout à fait la veuve qu’elle pensait !), trouva la mort dans une cabane verrouillé, apparemment due à une crise cardiaque. Pourtant, pour les dernières semaines, Dorothy Stephenson et sa famille ont été terrorisés par ce qui peut seulement être décrit comme le fantôme de Victor!

L’inspecteur Hurst est en grave danger d'arracher tous ses cheveux, alors il demande à l’aide du Dr. Alan Twist. Ils sont accompagnés par l'inspecteur Briggs, le subordonné sarcastique de Hurst. Tout cela constitue l’intrigue du nouveau roman de Paul Halter, Le Voyageur du Passé. Plusieurs scénarios apparemment impossibles se trouvent dans ce livre. Il y a la mort de Dorothy, par exemple. Il y a une disparition mystérieuse d’un rôdeur (et voilà la situation impossible qu’un plan illustre). Et le visage du mystérieux « voyageur du passé » n’apparaît pas dans un miroir ! (Il y a un autre exemple, mais je ne veux pas révéler trop, craignant que je dirai trop.)

Dans son ensemble, la solution est assez bonne. Il y a de la véritable surprise dans le dénouement, et la solution est globalement satisfaisante. Le secret de la mort de Dorothy n'est pas particulièrement intéressant, mais les impossibilités d'autres sont très bonnes. J'ai aimé la façon dont un visiteur mystérieux a fait son reflet disparaître d’un miroir. J'ai vraiment aimé la méthode employé par un rôdeur pour disparaitre quand on le poursuit. Et l’impossibilité centrale – le paradoxe temporel – est bien traitée, mais on doit accepter un point farfelu. En revanche, l’entièreté de la solution est bien construite, et c’est difficile de pénétrer au centre du mystère. Le docteur Twist réussi grâce à l'aide d'un serpent, un chat, et quelques canards ... Mais franchement, je pensais que la participation des canards et du serpent était aux limites du « fair play ». Je ne pense pas que le livre est un des chefs-d’œuvre de Halter, mais l’entièreté est un succès… et après tout, chaque livre ne peut pas être comme ce fameux « Diable de Dartmoor » !

La situation fantastique du « voyageur du passé » résulte dans plusieurs moments agréablement atmosphériques. Plusieurs de ces moments sont arrivés quand la famille Stephenson raconte la persécution dont ils ont souffert. J'ai vraiment aimé la façon dont une voix sur le téléphone a été décrite, et les nombreux événements qui se déroulent sont souvent froidement bizarre.

Les personnages sont, en général, parmi les succès de Halter. J'ai aimé le personnage d'un artiste qui n'a pas encore fait son nom connu dans le monde de l'art, mais qui possède un véritable talent. Il y a un triangle amoureux bien réalisé. Il y a la sœur cadette, une jeune fille soumise et socialement maladroite. Et puis il y a mon favori, Colin Stephenson. Il est le second mari de Dorothy, mais comme jeune homme, il était un célèbre magicien, spécialisé dans la démystification des faux spiritualistes... mais ces dernières années, il est converti au spiritisme et est devenu l'un de ses défenseurs !

Donc, pour résumer, Le Voyageur du Passé est une réussite. Les personnages sont mieux que d'habitude, et l'écriture est assez bonne, avec plusieurs excellents moments atmosphériques. Il y a des petits problèmes dans l’intrigue, en particulier avec quelques points qui étirent la crédulité du lecteur, mais la structure dans son ensemble est assez bonne. C'est toujours une lecture assez agréable et une bonne expérience globale. Je n'ai certainement pas regretté mon achat et il y avait même un plan des les lieux du crime inclus. Cela automatiquement vaut la peine !

samedi 10 mars 2012

Souvenez-vous de Monte-Cristo — René Reouven (1996)


« Pourquoi? » répéta Chaubard, dans sa dernière lueur de conscience.
L’individu chuchota : « Je pourrais vous répondre que c’est parce que vous êtes vulgaire et parfaitement antipathique, mais ce ne serait pas exact. C’est surtout parce que vous vous appelez Chaubard, et qu’à ce titre vous devez être trouvé mort sur le pont des Arts à cinq heures du matin. »
     René Reouven, Souvenez-vous de Monte-Cristo

César Brunel veut devenir riche, et pour cela il lui suffit d'hériter de son oncle Charles. La fortune de l’oncle Charles était gagné avec des trucs éhontés. La mère de César (et, par conséquence, César lui-même) avait été victime d’une escroquerie… Alors les relations entre oncle et neveu ne sont pas les meilleurs… La solution logique pour César est d’assassiner son oncle, mais comment le faire sans devenir un suspect ?

La solution arrive sous forme de la chronique Mémoires tirés des archives de la police pour server à la moral et à la justice de Jacques Peuchet (1838). Un des anecdotes racontés dans cette chronique servait comme l’inspiration d’Alexandre Dumas pour le livre Le Comte du Monte-Cristo. Un homme, François Picaud, était dénoncé par des faux amis comme un espion anglais. Leur mobile : Picaud était fiancé de la belle Marguerite Figoroux. Quand il était en prison, Picaud a connu l’abbé Farina, et après sa libération en 1814, on sait rien sur Picaud avant son retour à Paris en 1815. Il est retourné fabuleusement riche et il a commencé de se venger sur ses faux amis—il a réussi de tuer plusieurs entre eux. Leurs noms étaient : Chaubard, Solari, Allut… et Loupian !

Dans le monde contemporain, César trouve une belle opportunité. Il commence des meurtres à série, rejouant les meurtres de la chronique de Peuchet. Il laisse des notes près des corps, qui lisent : « Souvenez-vous de Monte-Cristo ». Les notes formeront une distraction parfaite. Les limiers seront occupés, cherchant un lien entre les victimes avec l’idée d’un mobile de vengeance… et quand le temps sera correct, César leur donnera le lien véritable. Il tuera son oncle, héritera la fortune, et il aura un alibi psychologique parfait.

René Reouven est un auteur excellent, et Souvenez-vous de Monte-Cristo est un bon livre—on ne gaspille pas notre temps en le lisant ! C’est dommage, mais il y a un problème avec le texte. La fin du livre est facilement anticipé— je l’attendais dès la fin de la première partie. L’exécution est excellente quand même, mais on le peut facilement deviner. C’est plus ou moins à cause de ce problème que Souvenez-vous de Monte Cristo est simplement un bon livre, et non pas un chef d’œuvre.

Mais quand même, ce n’est qu’un problème mineur. Le livre est très agréable. C’est un jeu entre un meurtrier et les détectives— on veut savoir si César va gagner cette partie, ou si le commissaire de police triomphera. Les scènes finales avec le commissaire sont excellentes— le commissaire donne une explication des évènements à César, qui est étonné par ses révélations. C’est comme une émission de « Columbo » complètement à l’envers— on sait plus à propos les évènements que le meurtrier lui-même, et on veut voir s’il se trompera devant le commissaire de police.

Et bien sûr, on peut voir que Reouven aime le roman policier. Plusieurs fois, César parle de ces romans. Il déteste les critiques qui ne veulent pas lire un tel roman s’il n’y a aucun « message ». Par contre, il adore Agatha Christie et Stanislas-André Steeman. Après tout, ces auteur l’ont influencé, Christie avec ses Dix petits nègres et Steeman avec son L’assassin habite le 21

vendredi 20 janvier 2012

Entretien avec Paul Halter

Cet entretien ne serait pas possible si ce n’était pas pour M. John Pugmire—merci beaucoup. Je veux aussi remercier M. Paul Halter pour cet entretien. Il a répondu mes questions avec beaucoup de patience et je lui remercie pour son temps. J’espère que mes lecteurs apprécieront cet entretien avec un Grand Maître du crime !

***

Vous avez écrit beaucoup de livres. On y trouve tant d’idées. Vous expliquez l’homme invisible dans Le Diable de Dartmoor, et le meurtre d’un maharadjah dans des circonstances complexes (trois portes fermées !) dans Le Tigre borgne. D’où tirez-vous vos idées ? Avez-vous un processus ? Pensez-vous d’une situation « impossible » en premier ou d’une solution ? Et quand vous avez finalement trouvé une idée, quelles étapes prenez-vous ?
  
Comme vous vous en doutez, c’est une question qu’on me pose souvent, et j’avoue être assez embarrassé pour y répondre. Les gens croient souvent que les auteurs de polars ont une méthode secrète et très précise pour concevoir leurs intrigues. Il n’en est rien, en tout cas en ce qui me concerne. Chaque nouveau roman est un nouveau défi, avec son cortège de doutes et de questions, ses pièges, ses obstacles… Un travail de longue haleine en tout cas, qui exige une forte concentration pour rester dans l’esprit de l’énigme, dans le climat ambiant. Néanmoins, on peut dégager quelques lignes directrices, dont la première serait sans doute l’atmosphère générale. C’est-à-dire le thème choisi. Prenons par exemple, puisque vous le citez, le cas du Tigre Borgne. Là, le thème retenu était le film de Fritz Lang, ce chef-d’oeuvre absolu du Septième art qu’est le Tigre du Bengale, ce que nul ne contestera j’en suis sûr. J’avais envie d’écrire une histoire basée sur ce postulat. Donc, le décor était déjà planté. Je me suis dit ensuite qu’il serait intéressant, pour corser l’affaire, de mettre en place un super crime en chambre close, une chambre triplement close ! Laissons donc vaguer notre imagination, en utilisant le matériel local, le palais, le pavillon au centre du lac, les crocodiles, l’éléphant, le rat (animal sacré)… Et puisque nous sommes dans une Inde plus rêvée que réelle, en somme un conte, il faudra bien entendu y introduire un prince, donc un maharadjah, et une jolie princesse… Et un détective, bien sûr… sans parler de l’incontournable fakir aux pouvoirs supranormaux. (J’ai toujours été très impressionné par le fakir des Cigares du Pharaon). À ce stade, les personnages principaux sont déjà esquissés. Des personnages à la limite de la caricature, mais toujours efficaces, bien présents dans l’imaginaire collectif. Vient ensuite l’habillage. Puis la mise en place des fausses pistes.  Toujours laisser une issue dans l’esprit du lecteur, pour mieux la battre en brèche par la suite. Prévoir également des retournements de situations, et cela assez tôt, car il sera difficile de faire des modifications de structure pas la suite. À ce stade, l’élaboration de la trame devient très technique. Il est impératif de reconsidérer régulièrement l’ensemble de l’édifice, sans s’écarter de l’ambiance générale, qui va donner la couleur de l’histoire, tout en peaufinant les détails. Voilà grosso modo les différentes étapes de l’élaboration d’une trame. Mais j’avoue procéder parfois de manière différente, de commencer par une astuce de chambre de close, et de l’habiller progressivement. Tout cela n’est guère original, j’en conviens, mais c’est ainsi que je procède. Une dernière précision pour dire que parfois tout se met en place très rapidement – presque par magie ! – et d’autre fois, c’est extrêmement laborieux. L’inspiration ne se commande pas, hélas !

Votre carrière est remarquable, et votre site web français inclut un article de Philippe Fooz et un de Roland Lacourbe, analysant vos thèmes préférés. Il y a bien sûr la chambre close/le crime impossible, mais on y trouve aussi des fantômes meurtriers, lieux hantés, malédictions, prophéties, etc. Y’a-t-il un thème qui vous fascine particulièrement ? Un crime impossible que vous voulez résoudre particulièrement ?

Un thème qui me fascine particulièrement est sans conteste le paradoxe temporel. Il est hélas difficile à traiter. Je ne l’ai abordé qu’une fois, dans « l’Image trouble ». Il s’agit d’une alternance de deux récits, avec des protagonistes très semblables. On pourrait penser à un cas de réincarnation collective, mais il n’y a qu’un demi-siècle d’écart entre les deux histoires. Dans la première, un personnage disparaît comme par enchantement (dans une pièce close évidemment), au moment même où, dans la seconde, son sosie disparu depuis fort longtemps réapparaît soudain. Comme s’il avait franchi le miroir… La situation est tellement invraisemblable que même une thèse fantastique pourrait difficilement l’expliquer. Les paradoxes temporels proposent une grande variété de situations, la plus classique étant celle d’un homme qui remonte dans le passé pour tuer son grand-père. Les solutions rationnelles pour expliquer ces prodiges, en revanche, ne sont pas légions.

Quant à mon « crime impossible » de prédilection, ce pourrait être le postulat de base, à savoir un homme assassiné dans une pièce fermée de l’intérieur. J’aimerais trouver une solution parfaite, absolument inédite. Il y a longtemps que je travaille là-dessus. Je ne dirai pas en vain, car j’ai trouvé tout récemment une variante qui répond à ces critères. Un seul problème : elle est un peu technique, et nécessiterait un plan pour proposer une explication claire. C’est pourquoi j’hésite encore à l’introduire dans un récit.

Je pense qu’un aspect important d’un roman est le titre. C’est la première chose qu’un lecteur voit. Un auteur devrait avoir un bon titre pour attirer de l’attention. Un titre excellent joue avec notre imagination comme lecteurs— on se demande toutes sortes de questions et finalement, on prend le livre dans nos mains et on tourne les pages pour découvrir le secret du titre. Créer un bon titre est un talent rare, et les titres de vos livres sont parmi les meilleurs que j’ai entendus ! J’aime surtout les titres L’Arbre aux doigts tordus, Le Brouillard rouge, La Chambre du fou, Le Cercle invisible, et Le Cri de la sirène. (J’ai déjà acheté tous ces livres à cause de leur titre !) Alors : quel est le secret ? Comment inventez-vous le titre ? Quelqu’un le fait pour vous, peut-être ? Y-avait-il un cas dans lequel vous avez écrit un livre pour utiliser un titre  spécifique ?

Le choix du titre est rarement un problème. J’ai toujours l’impression qu’il s’impose, et je n’y ai pas prêté attention jusqu’au jour où un critique m’a fait une réflexion semblable à la vôtre. Rétrospectivement, je me suis aperçu que j’avais tendance à utiliser un vocabulaire mobilier (porte, chambre, rideaux) et des chiffres. (La Quatrième porte, La septième hypothèse, etc.) Sortis de leur contexte, ces mots ne seraient guère évocateurs. Mais dans le cadre des romans policiers, ils prennent une dimension plus sinistre. Il vrai que parfois, on m’a aidé. C’est Hélène Amalric (ancienne directrice littéraire du  Masque) qui a transformé ma « Dernière » porte  en « Quatrième ». Je me souviens que sur le coup, j’étais ulcéré, pensant   que cette initiative révélait toute l’astuce. En fait, il n’en était rien et le choix était judicieux. « L’image trouble », également, me fut proposée par une amie,  alors que j’avais passé des heures à décliner les mots « image » et « photo » sans trouver le bon adjectif.  Si j’ai écrit un livre pour utiliser un titre spécifique ? Oui. Une fois. La Mort derrière les rideaux. J’avais très envie d’écrire une histoire avec une chose horrible derrière un rideau. Ce qui nous ramène à votre première question concernant ma méthode d’écriture : elle varie constamment. La toile de Pénélope, elle, par exemple, est le fruit d’un défi que m’a lancé mon ami Vincent Bourgeois, grand spécialiste belge de l’énigme impossible : mettre en œuvre une chambre close scellée par une toile d’araignée. Roland Lacourbe, autre caméralogiste émérite (si ce n’est le plus grand !), m’a fourni quantité de points de départ en évoquant des faits divers insolites, avec un pouvoir suggestif que ses lecteurs connaissent bien. Je lui dois Le Clown de minuit, la Hache, la Septième hypothèse, entre autres. Et puis, aussi, nos réunions entre amis du crime, nos longues discussions passionnées sur le sujet, qui ont engendré d’autres énigmes. Mais nous n’allons pas revenir sur cette question. Passons à la suivante…

Tous ces histoires de créations sont fascinantes— j’espère que vous me pardonneriez si je vous pose quelques autres questions liées à ce thème. Alors, voici la majeure : comme John Dickson Carr avant vous, vous avez deux détectives principaux dans vos livres. Il y a le docteur Alan Twist (et n’oublions pas son collègue l’inspecteur Archibald Hurst) ainsi que le dandy détective Owen Burns (et son collègue, le narrateur-« Watson » Achille Stock). Préférez-vous un de vos limiers ? Pourquoi et comment avez-vous créé Burns ?

J’avais également envie d’écrire des histoires à l’époque de Sherlock Holmes, il me fallait donc un autre détective. Je n’ai pas eu à chercher longtemps, la personnalité d’Oscar Wilde m’a semblé comme une évidence. J’étais même surpris que nul n’y eût songé avant moi ! Cet esthète exigeant, qui tombe en pâmoison devant une faute de goût, je l’imaginais parfaitement dans le rôle d’un détective, prêt à aider la police, mais uniquement pour des affaires dignes de lui, c’est-à-dire des crimes impossibles très élaborés. Et c’est ainsi qu’est né Owen Burns. Certes, je suis très attaché à mon Dr Twist (qui dans mon esprit ressemble physiquement au héros de BD Clifton, et qui comme lui adore les chats). J’avoue avoir une petite préférence pour lui. Mais je trouve plus amusant de mettre Burns en scène. Son personnage de prétentieux excentrique permet beaucoup plus de fantaisie, un humour pince-sans-rire, qu’il est difficile de placer autrement. Les romans à énigmes sont des histoires inquiétantes par définition, qui supportent mal le burlesque (sauf par le biais de ses détectives). Avec Burns, aussi, les criminels-artistes qu’il affronte paraissent presque légitimes. Cela me permet de surenchérir dans l’extraordinaire et l’incroyable, pour mon plus grand plaisir, et je l’espère, celui du lecteur.

Un des thèmes qui semblent vous fasciner est la mythologie grecque. On la voit surfacer plusieurs fois dans vos livres, et en 1997, vous avez écrit Le Crime de Dédale, utilisant les mythes grecs comme base (le mort du Minotaure, l’envol de Dédale et Icare, etc.). J’ai trouvé l’énigme excellente (la solution est élégante !) et l’idée centrale est fascinante. Rappelez-vous comment vous avez eu l’idée pour ce livre ? Considérez-vous le livre un succès?  Y-avait-il des éléments que vous avez essayé d’améliorer dans Le Géant de pierre (1998) et Le Chemin de la lumière (2000) ?

J’avais lu à l’époque un article qui mettait en relation étroite l’énigme de l’Atlantide et la civilisation minoenne, donc l’île de Santorin et la Crête. La démonstration était brillante et le texte m’a  enthousiasmé. J’ai aussitôt eu envie de me rendre sur place, mais ça n’a pas été possible. J’ai donc commencé l’écriture du crime de Dédale comme palliatif. À mi-roman, je me suis envolé pour la Crète. L’île m’a séduite, et c’est l’esprit baigné de lumières méditerranéennes que j’ai pu achever le "Crime de Dédale" dès mon retour. Oui, j’aime bien cette histoire, qui tient également du récit d’aventures. (Je suis fan d’Indiana Jones et de Bob Morane !). Après cela, j’ai vraiment eu envie de continuer dans cette voie. Maîtrisant mieux le sujet, j’ai attaqué Le Géant de Pierre, puis le Chemin de la lumière. C’est dans ce dernier que la part minoenne est la plus importante, et j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à écrire cette histoire. Il y a tout ce que j’aime : « énigme et meurtre en lieu clos » bien sûr, mais aussi « aventures », « mythologie », « rêve», « quête mystique », « archéologie » « Égypte antique », « voyage temporel »… Je ne vous cacherai pas que certains de mes lecteurs commençaient à être inquiets ! J’ai donc vite renoué avec mes premières amours: les ruelles et le fog de Londres, dans « l’Allumette sanglante ». Ensuite, je me suis de nouveau permis une petite fantaisie orientale, avec « Le Tigre du Borgne », puis retour en Angleterre avec « La ruelle fantôme ». C’est ce qu’on appelle voyager en chambre close !

Et bien sûr, c’était après un « pèlerinage » en Angleterre que vous avez écrit un de mes livres préférés, Le Diable de Dartmoor ! L’ambiance est excellente, et l’énigme contient un des meilleurs « crimes impossibles » de tous les romans policiers ! Quelles étaient vos inspirations en écrivant cette histoire ? L’énigme, était-elle facile à créer ou plutôt difficile ?

Concernant « Le Diable de Dartmoor », j’ai gardé le souvenir d’une certaine facilité d’écriture. Les deux livres précédents « La Septième hypothèse » et « La lettre qui tue », présentaient à mes yeux des trames plus complexes, et m’avaient donc demandé plus de concentration. Après ces deux romans un peu atypiques, j’avais envie de produire une histoire de facture  résolument classique. Et c’était la première fois que je me suis rendu préalablement sur les lieux du crime, cette fameuse lande de Dartmoor qui a hanté des générations de lecteurs !

Non seulement je n’étais pas déçu, car l’endroit est magique et tel que je l’imaginais, mais je suis revenu plein d’idées, ayant pris connaissance des nombreuses légendes qui imprègnent la région. Parmi celles-ci, celle de L’homme invisible, que j’ai retenue comme thème central. La trame a dû être élaborée très rapidement, car j’ai commencé l’écriture dès mon retour. Je suis très heureux qu’elle vous ait plu. Comparativement aux deux autres (La Septième hypothèse et La lettre qui tue), j’étais moyennement satisfait de mon « Diable ». Mais lorsque je l’ai relu pour l’adaptation en BD, donc avec plusieurs années de recul, il m’a semblé meilleur. J’ouvre ici une parenthèse pour signaler qu’il est toujours très difficile pour un auteur d’apprécier ses propres ouvrages, surtout à chaud. Et comment juger d’une astuce, lorsqu’on en connaît l’explication ? Il faudrait complètement oublier ses histoires… Ce que je n’espère pas tout de même !

Lesquels de vos livres vous donnent le plus de plaisir ? Quelles sont, pour vous, vos plus grandes réussites ?

Question difficile pour un auteur… et je me vois obligé de la nuancer. Pour ce qui est du plaisir de création, je citerai quatre titres : « La Malédiction de Barberousse » (c’était ma première tentative, fondée sur des souvenirs personnels), « Le Brouillard Rouge » (parce que j’adore le Londres victorien, ainsi que le thème principal de l'histoire), et « Le Géant de pierre » et « Le Chemin de la lumière » (qui m’ont fait rêver).

D’un point de vue policier, mes plus grandes réussites, à mes yeux, sont :
 
            « La Quatrième porte ». Une histoire assez courte, mais riche en mystères et fondée sur la troublante personnalité du magicien Harry Houdini. 

            « La Septième hypothèse », par son duel baroque entre deux maîtres ès crimes.

            « La lettre qui tue », par son caractère insolite et ses rebondissements.

            « L’image trouble », par son problème temporel.

Mais d’une manière générale, j’aime bien toutes mes histoires ! Encore heureux, me direz-vous, sinon comment un auteur pourrait-il espérer plaire à ses lecteurs ? J’avoue aussi avoir des points de vue changeants. Parfois, je préfère les enquêtes traditionnelles, c’est-à-dire sans trop d’effets de structure, comme par exemple « Le Diable de Dartmoor » ou « La Toile de Pénélope ». D’ailleurs pour mes autres lectures, c’est un peu pareil. Selon mon humeur et mes goûts du moment, mon opinion peut varier considérablement. Concernant Carr, par exemple, je me souviens avoir « déliré » en découvrant « Les Trois cercueils », et ne pas être vraiment entré dans l’histoire lors d’une seconde lecture. Réflexion faite, je devais être malade à ce moment-là… sinon, comment expliquer cette étrange indifférence devant un tel monument du crime ?

Votre site annonce deux nouveautés pour 2012 : Spiral et Le Voyageur du Passé. Aura-t-il des crimes impossibles dans ces livres ? Spiral semble être votre premier roman dans le monde moderne. Pourquoi avez-vous finalement décidé d’écrire un roman dans nos temps ?

Des crimes impossibles ? Oui. Dans « Le Voyageur du passé », il y aura plus exactement une disparition impossible. Un intrus est pris en chasse par un témoin, et va s’évanouir dans une pièce close. Il est vrai que l’intrus en question passe pour être un fantôme, ce fameux voyageur du passé, qui a fait un bond dans le temps d’un demi-siècle !

Dans « Spiral », il s’agit d’une chambre close tout à fait traditionnelle. Un étrangleur sévit dans la région de Dinard. Mlle Rose Lestrange, un médium réputé, pense pouvoir l’identifier. Pour cela, elle va s’isoler au sommet d’une tour, dans une pièce qui sera dûment scellée par les témoins. Deux heures plus, les scellés sont toujours intacts, mais Mlle Rose gît sur le sol, étranglée, au milieu d’un désordre indescriptible… L’histoire est contemporaine, certes, mais vous comprendrez à l’énoncé de ces quelques mots qu’elle s’inscrit dans un contexte d’énigme traditionnelle. Quant au choix de l’époque, c’est tout simplement celui de l’éditeur, « Rageot », qui va lancer dès mars prochain une série « Thriller » pour ados. C’était une commande et il y avait plusieurs contraintes (et évidemment, ce sont des ados qui mènent l’enquête). Je me suis donc efforcé de respecter ce contexte tout en y mettant ma touche personnelle. J’ai d’ailleurs considéré qu’il était de mon devoir d’initier la jeunesse au Mystère.

Vos livres ont commencé à paraitre en anglais. En premier il y avait La Nuit du loup, un recueil de nouvelles. Ensuite, un roman est paru (Le Roi du désordre), suivi par La Quatrième porte et Les Sept merveilles du crime. Malheureusement, vous avez eu des difficultés cherchant un éditeur, et finalement vous avez utilisé un service d’auto-publication. Pouvez-vous parler un peu du processus de la traduction ? Comment avez-vous commencé ? Pourquoi avez-vous choisi ces romans pour commencer la traduction de vos romans en anglais ? Avez-vous eu plus du succès avec des traductions dans des autres langues ? Et finalement, les résultats : sont-ils encourageants ? Peut-on s’attendre à plus ?

En ce qui concerne les traductions, il faut savoir que c’est une histoire d’éditeurs, et non d’auteurs. Car les demandes proviennent des maisons d’édition étrangères, et s’adressent à l’éditeur français, qui conclut les contrats. L’auteur n’a strictement rien à dire, et ne peut en aucun cas choisir ses traducteurs. Pour les USA, c’est un peu spécial. À part quelques nouvelles qui paraissent chez Ellery Queen Mystère Magazine, il n’y a eu aucune demande (hélas !) de la part des éditeurs américains pour mes romans. Mais là, j’ai la chance de connaître John Pugmire, mon traducteur actuel, qui s’est employé à promouvoir mes romans policiers aux USA. Je  sais qu’il a déployé beaucoup d’énergie, et depuis un certain temps déjà, et je lui en suis très reconnaissant. Pour ce qui est du choix des titres, cela dépend surtout de la question des droits.

Parmi les autres pays qui me traduisent, je citerai les éditions Mondadori, qui sont un peu le pendant du Masque en Italie. Près d’une vingtaine de titres parus. D’ailleurs, parmi les suivants, il y aura ce fameux « Diable de Dartmoor », que vous connaissez bien. Là aussi, je profite de l’occasion pour dire toute ma sympathie à mon traducteur italien, Igor Longo, qui est sans conteste un des plus grands spécialistes mondiaux de l’énigme. Une véritable encyclopédie du crime !

Si le roman à énigmes n’est plus très en vogue dans les pays occidentaux, il est en revanche très prisé dans les pays asiatiques. Le Japon a publié plusieurs de mes romans. Et à présent, la Chine également, qui sort plusieurs titres par an, par le bais de deux maisons d’édition, dont l’une s’occupe exclusivement des affaires du Dr Twist. J’ajoute que je possède là-bas un jeune et dynamique agent chinois, Fei Wu, que je salue au passage. Dans ce coin du globe, la situation est donc plutôt favorable. Quant à l’avenir ? Difficile de se prononcer. La roue tourne, et l’énigme redeviendra un jour à la mode. Mais quand ?

Comme vous le dites, le roman d’énigme n’est pas en vogue à ce moment. Comment vivez-vous votre (ahem) singularité au sein du milieu français du roman policier ?

Assez bien. Nager à contre-courant procure même une certaine ivresse. Et puis, je suis pour ainsi dire le seul à concocter régulièrement des romans à énigmes. Je n’ai donc aucune concurrence ! En somme, c’est à la fois un atout et un handicap. J’ajouterai également que mon cercle d’amis est très orienté roman policier classique, ce qui a tendance à (h)altérer mon point de vue, et j’ai l’intime conviction d’être dans la bonne voie. 

Que pensez-vous de la domination du « noir » sur la production nationale et du fait que les critiques et prix littéraires vous ignorent alors qu’ils adoubent des auteurs bien inférieurs ?

Si l’on y regarde de plus près, le « noir » est déjà en train de décliner. D’ailleurs beaucoup de personnes voient dans la série des « Experts » une version moderne de l’investigation holmésienne. Évidemment, j’aimerais bénéficier de plus de publicité. Vous me direz que cela est un peu de ma faute, que je ferai mieux d’écrire du noir-politico-social pour être dans le moule. Le problème est que cela ne m’intéresse pas du tout. Quel que soit le domaine, je pense qu’un auteur doit écrire ce qu’il aime, des histoires qu’il aimerait lire. Or j’aime bien l’aventure, le mystère et le roman populaire.

Quand vous dites que le noir est en déclin, quels auteurs pensez-vous prennent l’initiative dans cette direction ? Lisez-vous beaucoup, et si c’est le cas, quels sont vos auteurs préférés ? Y’a-t-il des auteurs/livres spécifiques que vous recommanderiez ?

D’une manière générale, je pense au polar franco-français, qui s’attache surtout aux questions sociales, et qui se sert du support polar pour embrigader les esprits. Bien sûr, je n’ai rien contre les études sociales, voire le militantisme. Mais dans ce cas, je préfère qu’on annonce clairement la couleur. Pour moi, le roman policier doit rester une littérature d’évasion.

En fait, je consommais énormément de romans policiers avant d’en écrire à mon tour. Aujourd’hui, j’aimerais en lire davantage, mais le temps me manque. Je me limite donc aux romans qu’on me recommande chaudement. Mes auteurs préférés, au risque de ne pas être original, sont Carr et Christie, ainsi que Chesterton et Fredric Brown. Bien que je sois un admirateur inconditionnel de Carr, je trouve qu’il est très inégal. On dirait qu’il a perdu le feu sacré après la Seconde Guerre mondiale. Il y a une différence considérable, par exemple entre La Chambre ardente et Le Spectre au masque de soie, qui est inutilement compliqué et ennuyeux au possible. Agatha Christie me semble beaucoup plus régulière, et à très bon niveau. J’adore Chesterton pour son sens de l’insolite et du bizarre. Et Fredric Brown est souvent génial.

Quant aux livres que je recommanderais, il y en a quantité. Le Mystère de la Chambre jaune et les Dix petits nègres sont des chef-d’œuvres absolus. Viennent ensuite toute une série de Carr, dont : la Chambre ardente déjà citée, La Police est invitée, la Maison de la peste, Celui qui murmure.

Concernant les livres contemporains, je citerai le Léviathan de Boris Akounine (merci Philippe Fooz de me l’avoir fait découvrir !), et l’exceptionnel Tokyo Zodiac Murders de Soji Shimada.

Merci beaucoup pour votre temps, M. Halter.