1. Pourquoi
la chambre close? Pourquoi la fascination avec les chambres closes et les
crimes impossibles? Comment votre passion pour cette lecture est commencée?
Quel livre était votre premier?
Vincent
Bourgeois : Passionné par l’Énigme en général –
et ses divers aspects si bien illustrés dans beaucoup d’œuvres de la
littérature policière – je trouve que le défi le plus abouti est celui de
la « chambre close » : simple (du moins en apparence) dans sa
présentation, mais ô combien complexe dans sa résolution, il est fascinant de
voir avec quelle dextérité ce problème a été traité, puis enrichi, par la mise
en abyme de bien d’autres situations tout aussi inextricables ( je veux bien
sûr parler de son fascinant corollaire, le « crime impossible », qui
permet une exploitation bien plus étendue encore du genre).
J’ai contracté le virus du Mystère grâce à
Agatha Christie : Dix petits nègres
a été ma première approche (quel fabuleux début, n’est-ce pas ?), et je ne
remercierai jamais assez ma professeur de français de l’époque de m’avoir
permis de savourer cette découverte (grâce lui soit rendue de m’avoir fait
connaître Dame Agatha, en lieu et place de lectures scolaires
« imposées » et –parfois – rébarbatives). Mon deuxième contact avec
l’Impossible l’a été à travers Le Mystère
de la chambre jaune de Gaston Leroux (que je lisais fébrilement, sous forme
de feuilletons, chaque semaine, dans un magazine…de mode) ; pour la
suite, les œuvres de mon compatriote Stanislas-André Steeman (très accessibles
pour moi, car présentes dans la bibliothèque paternelle), avant que le coup
fatal ne me soit porté par mon éminent comparse Roland Lacourbe, qui a relancé
la traduction en langue française de l’œuvre de l’immense John Dickson Carr,
dont le Service des affaires inclassables
a constitué ma première découverte… avant de lire, inexorablement, tous les
récits de cet auteur de génie.
Philippe
Fooz : J’ai toujours été attiré par le roman de
« Mystère » (expression chère à Pierre Véry) qui englobe ce qu’on
trouve aujourd’hui sous l’étiquette « énigme, espionnage, thriller,
suspense ». Le problème de la chambre close m’a tout de suite
fasciné : c’était une dimension hors norme, combinant roman policier et
roman fantastique. Ma première confrontation avec le genre (je devais avoir
douze ans) fut, bien sûr, Le Mystère de
la chambre jaune, suivi du Parfum de
la dame en noir. Puis, tout naturellement, j’ai découvert Pierre Boileau (Six Crimes sans assassin, Le Repos de
Bacchus) et, inévitablement, Boileau-Narcejac ; parallèlement, je me
plongeais avec délectation dans l’œuvre de la grande prêtresse du crime, Agatha
Christie. Ce n’est que bien plus tard (vers seize ans) que j’ai abordé John
Dickson Carr qui, à l’époque (1975) était le seul spécialiste accessible dans
le domaine francophone ; puis, bien sûr, les grands maîtres anglo-saxons,
Chesterton, Ellery Queen, Patrick Quentin (qui n’a pas livré de chambre close,
dommage…). La découverte révélatrice fut pour moi Noël Vindry, que je découvris
dans les années quatre-vingts, puis dans les années nonante, Martin Méroy. Le
domaine francophone ne donna vraiment accès à des œuvres majeures d’auteurs
étrangers qu’à compter de ces trente dernières années et je me plongeais alors
avec ravissement dans les traductions de Carr, Edward Hoch, Joseph Commings,
Clayton Rawson, Jacques Futrelle, John Sladek … et bien d’autres…
Roland Lacourbe :
Dès mon adolescence, j’ai été un grand lecteur de romans
policiers, de romans de science fiction, et de romans fantastique — genre
épouvante. Une passion pour la lecture que m’ont donnée mes parents. En
trouvant des romans de John Dickson Carr dans la bibliothèque de ma mère, j’ai
découvert que cet auteur savait de manière singulière combiner l’énigme
policière et une atmosphère propre au fantastique. Je suis devenu un fanatique
de Carr et j’ai dévoré un par un tous ses livres traduits en français : à
l’époque, cela constituait tout juste la moitié de son œuvre ! [1]
Mes deux premières rencontres avec Carr ont été Till Death Do Us Part et He
Wouldn’t Kill Patience. Et, dès lors, cette passion ne m’a plus jamais
quitté. Ensuite, le second “choc” de lecture a été And Then There Were None d’Agatha Christie. Puis, la découverte de
Pierre Boileau et d’Ellery Queen. Petit à petit, sans que j’y prenne garde, le
genre du crime impossible s’est imposé à moi.
Michel Soupart : Le
mystère de chambre close satisfait à la fois notre désir de merveilleux (le
rêve à un monde où tout pourrait arriver) et notre besoin de comprendre et de
donner un sens aux faits auxquels nous sommes confrontés.
J’ai
découvert les chambres closes à onze ans avec The Murders in the Rue Morgue qui m’avait impressionné et à treize
ans avec Le Mystère de la chambre jaune
qui m’a mystifié et inoculé le virus. Ensuite ce furent Carr, Van Dine,
Boileau, Chesterton, et tant d’autres. Ma préférence a toujours été aux récits avec un arrière-plan surnaturel
comme The Crooked Hinge de Carr ou Through a Glass Darkly de H. Mc Cloy ou
les romans de Hake Talbot par exemple.
***
2. Il y a
beaucoup de variété dans le livre 1001
Chambres Closes; on y trouve des
auteurs anglais, américains, français, japonais, etc. Comment avez-vous trouvé
ces livres? Quelle était leur disponabilité? Avez-vous réussi de les tous
trouver en traduction français, ou avez-vous du lire quelques-uns dans leur
langue originelle? Et pourquoi le nombre « 1001 »?
Paul Halter |
V. B. : C’est à la suite
de recherches incessantes (et, par ailleurs, toujours en cours) que nous avons
découvert tous ces auteurs. Pour certains (J.D. Carr, Paul Halter…) qui se sont
faits les spécialistes de notre domaine de prédilection, cela s’est révélé
facile. Des références ont pu être obtenues grâce à des ouvrages spécialisés, y
compris en langue anglaise (dont ceux de notre extraordinaire complice Robert
Adey, par exemple) ; d’autres par la lecture de fanzines, par le
« bouche à oreille », et parfois… par le hasard pur et simple. Je me
réserve actuellement (après avoir écumé la majorité des œuvres en langue
française) le temps de découvrir bien d’autres pépites non encore traduites… et
il y a du boulot !
Ce livre constitue une sorte
de complément à notre précédent ouvrage Chambres closes… Crimes impossibles. Il a été élaboré grâce à
l’aide immense de notre ami Roland Lacourbe (et de son épouse Danièle Grivel). Nous
étions initialement partis pour le chiffre « 999 » (un private
joke faisant référence à l’étude de Roland 99 Chambres closes, mais notre choix s’est finalement porté sur le
chiffre de « 1001 » ( un peu comme pour les Contes des 1001 nuits, une invitation au voyage et au mystère…)
Ph. F : Lorsque nous avons
abordé un recensement pour l’édition de 1997, nos lectures antérieures nous
avaient permis de découvrir pas mal d’auteurs francophones ou traduits. Nous
nous sommes donc attelés à une recherche systématique à partir du livre de
Robert Adey (Locked Room Murders and
Other Impossible Crimes) afin de découvrir s’il existait des traductions
françaises des ouvrages listés. Pour la présente édition, nous sommes également
allés “à la pioche” sur les nombreux sites Internet
de langue anglaise où nous avons trouvé énormément de choses. Mais tous les
romans et nouvelles répertoriés sont des traductions françaises [2].
Pourquoi
1001 Chambres closes ? :
nous avions pensé à 999… juste
prolongement de l’étude de Roland Lacourbe (99 Chambres closes), publiée en 1991. Il s’est avéré que notre
recensement aboutissait à près de 1180 références… Le titre 1001… qui fait directement référence aux
fameux contes de Schéhérazade, se justifiait donc, apportant une part de rêve
implicite (cf. Carr et The Arabian Nights
Murder qui a été baptisé en français Le
Meurtre des mille et une nuits).
R.
L. : La seconde étape déterminante a été la
découverte du livre bibliographique de Robert Adey Locked Room Murders and Other Impossible Crimes, dans sa première
édition. C’était au début des années quatre-vingt. J’ai d’abord voulu établir
la liste des livres et des nouvelles cités qui étaient disponibles en français
et j’ai dressé une première bibliographie. Je pensais alors proposer cette
liste commentée à mon ami Jacques Baudou, éditeur d’un célèbre fanzine de
l’époque, Énigmatika. Mais le
manuscrit a pris une telle importance que Jacques m’a suggéré d’en faire un
livre. Ce qui a donné 99 Chambres closes
publié en 1991. Parallèlement, j’ai publié une première anthologie de vingt
nouvelles, toutes déjà traduites, Les
Meilleures Histoires de chambres closes (1985), qui a marqué le début du
renouveau du genre en France. Entre-temps, j’avais fait la connaissance de
Robert Adey à qui j’étais allé rendre visite chez lui. J’ai découvert un homme
fascinant, chaleureux et d’une incroyable érudition, et nous sommes devenus des
amis.
Je m’étais alors rendu compte que le nombre de
textes traduits en français dans la bibliographie de Robert Adey ne dépassait
guère la moitié. J’ai donc cherché à me procurer les textes encore inédits et
que me conseillait Bob. D’où la découverte de quelques merveilles comme les
deux romans de Hake Talbot et les nouvelles du sénateur Banner de Joseph
Commings ou du Dr Hawthorne d’Edward D. Hoch. Ce qui a donné naissance à de
nouvelles anthologies comprenant cette fois un grand nombre de nouvelles encore
inédites. Sans oublier, naturellement, tous les inédits de John Dickson Carr,
qui étaient encore très nombreux [3].
Et les romans de Clayton Rawson (à l’époque, seules ses nouvelles avaient été
publiées dans Mystère Magazine, mais
aucun de ses romans n’avait été traduit).
Quant au nombre de 1001, c’est un nombre symbolique. Il ne répond qu’à la nécessité de
trouver un titre. D’ailleurs, notre bibliographie dépasse les 1150 références…
M.
S. : Je n’aurais pu découvrir toutes ces
merveilles seul. C’est grâce surtout à la grande connaissance de Roland
Lacourbe sur le sujet notamment pour la littérature policière anglo-saxonne que
j’ai découvert pas mal de titres qui m’étaient inconnus. Mes autres complices
m’en ont aussi fait découvrir, ainsi que des amateurs et collectionneurs sans
oublier Internet. Ma connaissance de
l’anglais m’avait tout de même permis de lire notamment C. Rawson, et plusieurs
Carr non traduits avant que Roland Lacourbe parvienne à obtenir la traduction
de leurs œuvres.
***
3. Quelle
est la relation entre ce livre et votre dernier livre, Chambres Closes Crimes Impossibles?
V.
B. et Ph. F : Déjà souligné : le
travail de 1997 est la base de la présente édition (voir la note page 4 du
livre).
R. L. : En
faisant des recherches bibliographiques sur le genre du crime impossible dans
la littérature policière, je me suis rendu compte que c’était un merveilleux
prétexte pour faire connaissance avec des passionnés du genre dans le monde.
C’est ainsi que j’ai pu rencontrer ou nouer des relations avec des Anglais
comme Robert Adey, Tony Medawar ou Jack Adrian, des Américains comme Bill
Pronzini, Douglas Greene ou John Pugmire (John est Anglais mais, vivant depuis
plus de trente ans à New York, je le considère comme un Américain). J’ai
également pu rencontrer Otto Penzler et correspondre avec d’éminents
spécialistes comme James E. Keirans. J’ai même eu le plaisir et la chance de
connaître Edward D. Hoch en personne qui j’ai interviewé à New York en octobre
1997 et avec qui je suis demeuré en relation épistolaire jusqu’à sa mort. Ed a
été très reconnaissant que le premier recueil de nouvelles consacrées à son Dr
Hawthorne ait été publié en France. Au début des années deux mille, il
m’envoyait par mail ses nouvelles traitant de crime impossible avant
publication dans le Ellery Queen’s
Mystery Magazine ! Et je lui ai fourni plusieurs fois, à sa demande,
des informations sur Paris et la France, pour certaines de ses histoires…
Et c’est aussi après la publication de 99 Chambres closes que je suis entré en
relation avec ces trois chercheurs belges qui sont devenus des amis très
proches, Vincent, Philippe et Michel, avec qui je partageais des passions et
des goûts communs. Et lorsqu’ils m’ont proposé de participer à une nouvelle
édition de leur livre, j’ai accepté avec enthousiasme.
M. S. : Notre
premier livre avait pour but de faire découvrir le sujet au grand public sous
plusieurs de ses aspects. Nous avons pu poursuivre notre objectif en profondeur
grâce à Roland Lacourbe qui a été le moteur de l’entreprise et que je remercie.
Tous les aspects sont à présent répertoriés [4]. Seul parent pauvre, le
théâtre qui n’a pas pu apporter grand-chose dans le domaine.
***
4. Une des meilleures éléments de votre livre
est que vous incluez une brève évaluation de chaque roman/nouvelle, ainsi qu’une
note. Les notes vont de zéro à cinq étoiles. Comment avez-vous décidé sur les
notes? Qu’est-ce qu’un livre devait faire afin d’obtenir une note de cinq
étoiles? Y a-t-il des désaccords entre vous à propos ces notes?
V.
B. : Nous ne serons jamais entièrement d’accord
sur la cotation attribuée aux œuvres : elle dépend de trop de paramètres,
mais nous avons un consensus “global”. Mais le fait de donner une cotation pour
une œuvre ouvre à mon sens les débats et
les rend passionnants. Pour obtenir la cote d’excellence, un récit doit être
servi par un problème bien posé bien sûr, idéalement serti dans une ambiance
fantastique avant de revenir à une explication rationnelle (et à laquelle,
idéalement, on n’aurait jamais pensé). Nous avons parfois dû donner deux cotes,
car certaines œuvres sont plutôt remarquables par un seul aspect seulement de
cette approche (soit un problème de local clos époustouflant desservi par un
texte mièvre, soit un récit brillant amoindri par un argument de local clos
décevant).
Ph. F : Le rédacteur de la
notule attribue la cote. Mais l’équipe collégiale peut émettre une opinion
différente (les exemples de double cote sont nombreux et explicités). Le
système de cotation est commenté page 23. Toutefois une œuvre peut s’avérer décevante
quant à l’aspect de “chambre close”, mais présenter de grandes qualités
littéraires… ou l’inverse… [exemples : Lament for a Maker de Michael Innes, The One That Got Away de Helen McCloy, The Black Magician de R. T. M. Scott…].
R. L. : L’appréciation
sous forme d’étoiles que nous avons choisie pour coter les romans et les
nouvelles dont nous parlons est, bien sûr, très subjective. Mais notre démarche
était — comme c’est inscrit sur la couverture du livre — de proposer
un “Guide de lecture”. C’est pourquoi
nous avons choisi ce système de cotation qui existe depuis des dizaines
d’années dans le domaine de la cinéphilie : en France, c’était le fameux Conseil des Dix des “Cahiers du Cinéma” de la Grande Époque ; et aux États-Unis,
le très populaire “Movie Guide” de
Leonard Maltin. Toutefois, ces cotations ne dépassaient pas quatre étoiles.
Nous en avons ajouté une pour nuancer encore un peu plus nos appréciations.
Pourquoi un livre va-t-il atteindre cinq
étoiles et sera-t-il désigné comme un “chef d’œuvre” ? Je laisse à
mes complices le soin de répondre. Je voudrais simplement ajouter que les bons
livres obtiennent très vite un consensus parmi les amateurs. Et si nous avons
eu des désaccords pour coter quelques ouvrages, tout cela a généré des discussions
passionnantes pendant la rédaction de l’ouvrage. Mais il y a une dizaine de cas
où les appréciations sont demeurées divergentes entre nous. Nous les signalons
par une double cote. À chacun de se faire sa propre opinion.
Je dois dire, pour finir, que les réactions
des lecteurs dont nous pouvons prendre connaissance sur le forum de Paul Halter
(paulhalter.net), prouvent que, dans
la presque totalité des cas, la majorité d’entre eux sont d’accord avec nos
appréciations.
M. S. : Toutes
les appréciations sont subjectives. Chacun met l’accent sur un aspect. Certains
misent tout sur le problème lui-même et négligent un peu le contexte de
l’histoire, la psychologie des personnages. D’autres regrettent que l’auteur,
même si le problème est bon, l’ait inséré dans un cadre spécialisé pour exposer
ses vues sur un problème contemporain social ou autre. D’autres sont satisfaits
si l’histoire est passionnante historiquement parlant par exemple, même si le
problème n’est pas ou peu original. On peut aussi valoriser une œuvre parce
qu’elle a été pionnière dans le sujet même si par ailleurs elle déçoit par son
caractère daté. Et puis il y a des emballements pour des raisons que l’on a
parfois du mal à expliquer. En principe, une cote maximale devrait être
attribuée à une œuvre présentant une situation originale de chambre close ou de
crime impossible avec une solution vraisemblable, dans un contexte bien décrit,
avec des personnages ayant un minimum d’épaisseur psychologique, et tout cela
écrit dans une langue claire sans affectation.
***
5. Il n'a
pas échappé à mon attention que la plupart des mystères de chambre close que
vous avez catalogués sont des livres anciens. Beaucoup sont de la période qu’on
appelle en anglais « The Golden Age of Detective Fiction ». Il y a eu
quelques auteurs modernes prolifiques, tels que Paul Halter, mais en général,
il semble y avoir moins d'inclusions de la fiction contemporaine. En dehors de
Halter, qui sont des architectes modernes remarquables de la chambre close?
V.
B. : Il est vrai que la plupart des récits
concernant notre propos émanent de l’Age d’Or du roman de détection, mais la
veine n’est heureusement pas tarie. Certaines œuvres contemporaines contiennent
encore ce genre de défis, que l’on rencontre d’ailleurs avec bonheur dans
d’autres contextes que celui de la littérature policière : films, séries
télévisées, bandes dessinées, romans de S.F., démontrant irréfutablement
— et pour notre plus grand plaisir — que le “bon vieux problème”
continue à se porter comme un charme.
Ph. F : C’est
vrai que le “Golden Age” représente près de 60% ! Les auteurs modernes
livrent effectivement peu de locked rooms
exaltantes, ou souvent des one-shot ;
Paul Halter reste une remarquable exception. Dans le domaine francophone, à
part Martin Méroy, Paul Gayot (Barine) et Jean Alessandrini, je ne vois pas de
nouveau créateur prolifique.
R. L. : Pour
nous, il ne fait aucun doute que Paul Halter a été la grande révélation
mondiale de ces trente dernières années dans le domaine de la littérature
criminelle. Je précise bien : « dans
le domaine de la littérature criminelle » d’une manière générale. Même
si, dans la presque totalité de ses livres, le crime impossible occupe la
première place. Paul, qui est devenu notre ami à tous les quatre, est avant
tout un grand constructeur d’intrigues habiles, astucieuses et sophistiquées,
dans la lignée directe d’Ellery Queen, d’Agatha Christie et, naturellement, de
John Dickson Carr.
Une anecdote ce propos. Au cours d’une
conversation — c’était dans les années 1985-1986 —, Claude Chabrol
m’avait demandé la date de la mort de Carr ? Je lui avais précisé :
en février 1977. Et, après un temps de réflexion — « Oui, cela fait une dizaine d’années : ça
colle ! » —, il m’avait confirmé que, selon ses convictions,
Carr, d’où qu’il soit, avait pu choisir et transmettre le relais à un disciple…
Claude Chabrol avait une conception très mystique de l’existence !
Mis à part Paul Halter, je ne vois pas d’autre
auteur à mentionner qui, aujourd’hui, œuvre régulièrement dans le genre.
Chronologiquement, la dernière grande révélation pour moi aurait pu être John
Sladek dans les années soixante-dix ; mais ça n’a été qu’un feu de paille.
Toutefois, il y a toujours des réussites éparses, ponctuelles, comme Tokyo Zodiac Murders de Soji Shimada ou L’Énigme du Monte Verita de Jean-Paul
Török.
M. S. : C’est
vrai que l’ère des auteurs prolifiques dans le domaine semble finie mis à part
quelques individualités comme Halter, Alessandrini, Doherty par exemple mais
les one shot de valeur sont malgré
tout assez nombreux (voir notre livre) et ces auteurs n’ont pas dit leur
dernier mot. De toute façon, pas d’inquiétude, les problèmes de chambre close
n’ont certainement pas fini de faire
parler d’eux.
***
6. Quelle
est votre chambres close/crime impossible préféré? Alternativement, si vous
trouvez cette question impossible à répondre, quels livres choisiriez-vous pour
un cours sur la chambre close/crime impossible?
V.
B. : Il m’est impossible de ne citer qu’une seule
œuvre, mais j’ai été particulièrement séduit par les récits de Carr, La Maison de la peste (quel problème de
local clos et surtout quelle atmosphère !), La police est invitée (pour la présentation ébouriffante du
problème et sa géniale résolution) ; ceux de Paul Halter, La Quatrième Porte, La Chambre du fou, Le
Diable de Dartmoor, Le Géant de pierre… ; les romans de Hake Talbot ;
les récits de Clayton Rawson ; Jean Alessandrini (Le Labyrinthe des cauchemars constituant une variation débridée
— mais parfaitement unique — de résolution d’une chambre close à
laquelle jamais personne n’avait pensé auparavant) et, bien sûr, les anthologies
réservées au genre (avec des textes déjà sélectionnés pour leur haute valeur).
Mais si j’étais vraiment obligé de ne choisir qu’une seule œuvre, je prendrais Trois cercueils se refermeront pour son
ambiance unique, ses développements brillants… et sa célèbre “causerie” sur
notre sujet favori
Ph. F : Je n’ai pas de locked room préférée ; j’ai une
liste de titres qui pourrait servir de support à une conférence.
J. D. Carr : The Crooked Hinge, The Three Coffins, He Who Whispers.
Paul Halter : Le Roi du Désordre, Le Brouillard Rouge, La
Quatrième Porte.
Helen McCloy : Through a Glass Darkly.
Alexis
Gensoul : La mort vient de
nulle-part.
Jean-Paul
Török : L’Énigme du Monte-Vérita.
Ellery Queen : The Chinese Orange Mystery.
Luis F.
Verissimo : Borges et les
orangs-outangs éternels.
Jean
Alessandrini : La Malédiction de
Khéops.
R. L. : Faire
un choix parmi une vingtaine de titres fondamentaux me semble impossible.
Chacun a sa raison d’être dans mon florilège : me viennent à l’esprit les
œuvres d’Anthony Abbot, Clayton Rawson, Joel Townsley Rogers, Derek Smith, Hake
Talbot, Alan Thomas. Et ceux de Français encore inconnus aux États-Unis ou en
Angleterre comme Pierre Boileau, ou ces véritables phénomènes que furent le
grand Noël Vindry et Marcel Lanteaume ; et naturellement Paul Halter qui
commence à être traduit grâce au travail infatigable de John Pugmire.
Je dois préciser aussi que si, à l’époque de
l’âge d’or, les meilleures œuvres du
genre étaient anglo-saxonnes, les livres d’expression française sont en train
de prendre leur revanche ! Avec Paul, bien sûr ; mais aussi avec des
auteurs très singuliers comme nos amis Jean Alessandrini et Paul Gayot qui,
sous le pseudonyme de J. Barine, a écrit avec beaucoup d’invention et
énormément d’humour des dizaines de nouvelles, en empruntant des pistes encore
jamais explorées dans le domaine du crime impossible.
Mais je reste avant tout un inconditionnel de
John Dickson Carr qui a enchanté toute ma vie. Pour mesurer la passion qui me
lie à cet auteur, sachez que, lorsque je me suis rendu compte, à la fin des
années soixante, que plus de la moitié de ses romans n’étaient pas encore
traduit en français, je me suis mis à travailler mon anglais sérieusement afin
de lire tous ses ouvrages encore inédits ! Et si je lis l’anglais sans
trop de difficulté maintenant, c’est à mon amour pour John Dickson Carr que je
le dois. Et c’est cet enthousiasme qui m’a permis d’écrire le seul ouvrage paru
en France sur son œuvre, et d’avoir la responsabilité, pendant plus de dix ans,
de diriger la publication — rééditions et traductions nouvelles — de
son œuvre aux éditions du Masque. Le bilan est positif : à part The Murder of Sir Edmund Godfrey qui est
un livre à part et qui ne serait sans doute pas très apprécié en France, il ne
reste plus qu’un seul inédit (mais mineur), The
Ghosts’ High Noon. Et ma grande fierté est que la France est le seul pays
au monde à avoir publié, en quatre volumes, l’intégrale de ses 92 pièces
radiophoniques !
M. S. : Si je devais faire une
conférence scolaire sur la chambre close je choisirais Le Mystère de la chambre jaune car il baigne dans une atmosphère de
miracle « scientifique » — la dématérialisation de la
matière —, parce que les problèmes posés sont résolus par le raisonnement,
le premier étant né d’une mauvaise interprétation des faits, le second (la
galerie), à cause de la difficulté pour
le cerveau du lecteur d’imaginer la double identité de l’assassin, c’est-à-dire
de rompre avec l’idée conventionnelle que le policier en principe ne peut être
le criminel.
The Burning Court offre la possibilité
d‘une double lecture de l’affaire et ce dans un contexte surnaturel historique.
Un des Paul
Halter : La Quatrième Porte, Le Roi
du désordre, Le Diable de Dartmoor ou…
[1] Avant 1970, 36 romans sur 72 ! J’ai raconté en
détail l’histoire de la publication française de l’œuvre de Carr dans un
article paru dans Note for the Curious,
publié à Londres à l’automne 1995 par Tony Medawar.
[2]
Toutefois,
les lecteurs trouveront les analyses détaillées de 33 romans célèbres et non
(encore) traduits dans le seconde volume de notre ouvrage (Annexes : Le Crime impossible dans tous ses états) qui doit
paraître dans le courant du printemps 2014.
[3] Pour
vous donner une idée, au milieu des années quatre-vingt, des œuvres majeures comme
The Three Coffins, The Unicorn Murders,
The Arabian Nights Murder et Night at
the Mocking Widow étaient encore inédites en français !
[4] Le second volume de 1001
Chambres closes recense
— entre autres — les films, les séries télévisées et les bandes dessinées.