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samedi 22 mai 2021

Un nouvel article sur "Captures" (Poésie/Flammarion 2004) par Hugues Robert (Librairie Charybde)

 Un tout nouvel et bel article d'Hugues Robert sur un de mes livres paru en 2004 Captures (Poésie/Flammarion 2004).

NOTES DE LECTURE 2021

Note de lecture : « Captures » (Sandra Moussempès)


Fixer sur une pellicule poétique imaginaire 

quelques présences féminines diaphanes, 

en lutte et en remémoration, au fil de rapprochements 

violents ou feutrés. 

Et créer ainsi l’infiltration épique.

x

D’une vue d’ensemble on pourrait se douter que les personnages ne sont pas fictifs, 
ils parviennent à ressembler aux anges, je les range depuis des années dans 
des cases ornées de tissus cellulaires
je leur donne à manger des identités récentes
l’entité se vide tandis que l’identité, réelle ou usurpée
se trouve toujours remplie de saillies diverses
la voix commence dans un trou juste avant les premiers bruits
ensuite je laisse plus d’espace
hobbies : none

J’aime, lorsque cela est possible, m’offrir ce petit luxe consistant à découvrir le travail d’une autrice 
ou d’un auteur depuis son point d’origine, ou presque, puis de pouvoir le suivre dans son développement 
même, déroulés et hésitations, bifurcations et chemins de traverse, en ayant, à tort ou à raison
le sentiment au moins partiel de comprendre ce qui se joue là, année après année
œuvre après œuvre. L’archétype de ce processus pourrait être par exemple celui de ma lecture 
au long cours d’Antoine Volodine et de ses hétéronymes post-exotiques
entamée en 1985 avec le choc de « Biographie comparée de Jorian Murgrave ».
Et puis, presque à l’opposé dans ce spectre des pratiques de lecture, il y a le choc retentissant d’une 
découverte tardive, comme ce fut le cas récemment avec Patrick Beurard-Valdoye 
(« Gadjo-Migrandt », 2014, sixième volume du Cycle des Exils) ou 
avec Sandra Moussempès (« Colloque des télépathes », 2017, dixième publication de 
l’autrice).L’envie alors de découvrir, au fil des semaines et des mois, tout ce qui a conduit 
l’autrice (ou l’auteur) à en arriver là, à cette beauté et à cette intelligence
propose une sorte d’exercice d’archéologie textuelle : remonter le flot des publications, 
dans l’ordre ou le désordre, par pur plaisir promis et pour mieux saisir, peut-être, l’architecture 
intérieure d’un projet de cette ampleur. Rencontrée grâce à Éric Arlix 
et à la cinquième édition du beau festival nantais Bifurcations d’Yves Arcaix, fin
 2019, ainsi que grâce à Philippe Annocque, l’œuvre de Sandra Moussempès 
compte sans doute parmi les plus 
passionnantes de celles qui se déploient à travers la poésie contemporaine en France.

Peau #1
ta couleur me plaît méthadine, ode à l’engrenage des souillures, petit récipient de forme 
creuse, individuelle, abat-jour violet sans contre-jour, il faudra aussi changer les ruptures 
de place pour trouver l’unité, cela demande du temps et des cendriers 
vides

x

Après « Acrobaties dessinées » (2012), « Cinéma de l’affect » (2020), « Sunny girls » 

(2015) et « Cassandre à bout portant » (2021), en plus de « Colloque des télépathes » (2017) 

déjà mentionné, le moment était donc venu de se plonger avec délices 

dans un texte plus ancien, celui de « Captures », son troisième recueil à l’époque, 

publié dans la collection Poésie de 

Yves Di Manno, chez Flammarion, en 2004.

dans un pays chaud, chaleureux, salvateur, avec des livrets de jeunes filles bien nées, 
bien traitées, plus vives que nature…
et ces merveilleux instincts (la balnéothérapie des temps modernes)
miss Rosina plus fraîche qu’une icône, se glissera sous le lustre 
avec un screen name associé dans le ton cybernal : petites 
comptines appréciées de tous
ils ont trouvé leur emplacement sur le marché de l’emploi 
dans les cavernes et près de chez moi.
Entrez regardez-les panser plonger d’avoir mis la main au feu d’avoir crié sous tous les toits
leurs noms de code
Sur le crâne, perte de temps, peu de confort et toujours l’incertitude 
Remplir la caverne puis rebrancher à l’aide du fil de fer, 
c’est plus sûr L’homme du 19e repeint la sienne à grand renfort de sigles
PROGRAMME :
[Je veux une marmite propre]
L’homme se redresse amenant les ustensiles, prêt au combat

Sans céder trop directement à la tentation (presque fatale dans un exercice de lecture 
à rebours comme celui-ci) de lire le passé trop largement à la lumière du futur, 
« Captures » contient pourtant, en dehors de ses propres missiles, comme un
certain nombre de rampes de lancement pour des thématiques ou des concentrés 
de narration poétique qui apparaîtront en pleine lumière des années plus tard 
chez Sandra MoussempèsDes figures féminines discrètes, qu’une certaine société 
(micro- ou macro-) préférerait sans doute voir effacées, ou rendues parfaitement 
diaphanes, hantent les coins et les recoins 
de ces vers libres, circulant en douceur, mais avec une détermination indéniable 
parmi les diverses modalités de pièges à 
rêves qui les entourent – et ce sont, pas tout à fait paradoxalement, les titres 
des poèmes assemblés ici qui trahissent le plus 
souvent leur présence : MirandaPrincesse psychiqueDolorosaAnesthésia
Kyoto girlSylvia P.Miss V-96-, et quelques 
autres, nous adressent des signes puissants, même si destinés 
peut-être à ne produire leurs effets qu’en différé.