Fixer sur une pellicule poétique imaginaire
quelques présences féminines diaphanes,
en lutte et en remémoration, au fil de rapprochements
violents ou feutrés.
Et créer ainsi l’infiltration épique.
x
D’une vue d’ensemble on pourrait se douter que les personnages ne sont pas fictifs,
ils parviennent à ressembler aux anges, je les range depuis des années dans
des cases ornées de tissus cellulaires
je leur donne à manger des identités récentes
l’entité se vide tandis que l’identité, réelle ou usurpée
se trouve toujours remplie de saillies diverses
la voix commence dans un trou juste avant les premiers bruits
ensuite je laisse plus d’espace
hobbies : none
J’aime, lorsque cela est possible, m’offrir ce petit luxe consistant à découvrir le travail d’une autrice
ou d’un auteur depuis son point d’origine, ou presque, puis de pouvoir le suivre dans son développement
même, déroulés et hésitations, bifurcations et chemins de traverse, en ayant, à tort ou à raison
le sentiment au moins partiel de comprendre ce qui se joue là, année après année
œuvre après œuvre. L’archétype de ce processus pourrait être par exemple celui de ma lecture
au long cours d’Antoine Volodine et de ses hétéronymes post-exotiques, Et puis, presque à l’opposé dans ce spectre des pratiques de lecture, il y a le choc retentissant d’une
découverte tardive, comme ce fut le cas récemment avec Patrick Beurard-Valdoye
l’autrice).L’envie alors de découvrir, au fil des semaines et des mois, tout ce qui a conduit
l’autrice (ou l’auteur) à en arriver là, à cette beauté et à cette intelligence
propose une sorte d’exercice d’archéologie textuelle : remonter le flot des publications,
dans l’ordre ou le désordre, par pur plaisir promis et pour mieux saisir, peut-être, l’architecture
intérieure d’un projet de cette ampleur. Rencontrée grâce à Éric Arlix et à la cinquième édition du beau festival nantais Bifurcations d’Yves Arcaix, fin compte sans doute parmi les plus
passionnantes de celles qui se déploient à travers la poésie contemporaine en France.
Peau #1
ta couleur me plaît méthadine, ode à l’engrenage des souillures, petit récipient de forme
creuse, individuelle, abat-jour violet sans contre-jour, il faudra aussi changer les ruptures
de place pour trouver l’unité, cela demande du temps et des cendriers
vides
x
Après « Acrobaties dessinées » (2012), « Cinéma de l’affect » (2020), « Sunny girls »
(2015) et « Cassandre à bout portant » (2021), en plus de « Colloque des télépathes » (2017)
déjà mentionné, le moment était donc venu de se plonger avec délices
dans un texte plus ancien, celui de « Captures », son troisième recueil à l’époque,
publié dans la collection Poésie de
Yves Di Manno, chez Flammarion, en 2004.
dans un pays chaud, chaleureux, salvateur, avec des livrets de jeunes filles bien nées,
bien traitées, plus vives que nature…
et ces merveilleux instincts (la balnéothérapie des temps modernes)
miss Rosina plus fraîche qu’une icône, se glissera sous le lustre
avec un screen name associé dans le ton cybernal : petites
comptines appréciées de tous
ils ont trouvé leur emplacement sur le marché de l’emploi
dans les cavernes et près de chez moi.
Entrez regardez-les panser plonger d’avoir mis la main au feu d’avoir crié sous tous les toits
leurs noms de code
Sur le crâne, perte de temps, peu de confort et toujours l’incertitude
Remplir la caverne puis rebrancher à l’aide du fil de fer,
c’est plus sûr L’homme du 19e repeint la sienne à grand renfort de sigles
PROGRAMME :
[Je veux une marmite propre]
L’homme se redresse amenant les ustensiles, prêt au combat
Sans céder trop directement à la tentation (presque fatale dans un exercice de lecture
à rebours comme celui-ci) de lire le passé trop largement à la lumière du futur,
« Captures » contient pourtant, en dehors de ses propres missiles, comme un
certain nombre de rampes de lancement pour des thématiques ou des concentrés
de narration poétique qui apparaîtront en pleine lumière des années plus tard
chez Sandra Moussempès. Des figures féminines discrètes, qu’une certaine société
(micro- ou macro-) préférerait sans doute voir effacées, ou rendues parfaitement
diaphanes, hantent les coins et les recoins
de ces vers libres, circulant en douceur, mais avec une détermination indéniable
parmi les diverses modalités de pièges à
rêves qui les entourent – et ce sont, pas tout à fait paradoxalement, les titres
des poèmes assemblés ici qui trahissent le plus
souvent leur présence : Miranda, Princesse psychique, Dolorosa, Anesthésia,
Kyoto girl, Sylvia P., Miss V-96-, et quelques
autres, nous adressent des signes puissants, même si destinés
peut-être à ne produire leurs effets qu’en différé.