"Ecrits" de Claude Cahun, édition présentée et établie par François Leperlier (ed. Jean-Michel Place)
"L'important c'est d'être princesse" explique Claude Cahun dans un de ses mini contes de fées pas toujours fées, plutôt strangulées dans un effet de serre, de style mis à nu en débris lymphatiques.
De minuscules cadres, des ciseaux pour couper ce qui dépasse, recoudre à l'envers, tolérer les impasses. Claude Cahun aimait à se photographier (c'est que l'on connaissait d'elle) se peindre, se coller, mais d'un amour douloureux, une mise en déroute de son être tout entier. Son écriture est longtemps laissée sur le carreau, loin des miroirs, avec en éclaireur, son oncle Marcel Schwob auteur entre autre de la "Lampe de Psyché".
Elle se voit : "arriviste de l'âme" se retient d'être trop présente. L'écriture est acerbe pointue comme une aiguille. Le tout pour une duchesse surannée, au curieux crâne désaffecté (vues et visions de camps décimés). Lucy Renée Mathilde rebaptisée Claude comme d'autre George. Elle répond à la question biaisée : "Individualisme ? Narcissisme ? Certes. C'est ma meilleure tendance, la seule intentionnelle fidélité dont je sois capable."
Entre détours politiques et poèmes ciselés, quelques rares photos. Il faut fouiller pour trouver le fil conducteur, s'engouffrer dans l'énorme mémorisation : Sur l'homme : "mon prince charmant n'est autre que Dieu le père". Sur le surhomme : "éternellement désincarné [...]j'adore Dieu le Fils". Sur Dieu : " le mot Dieu est nécessaire puisqu'il est".
Elle décrit l'arrivée de prisonniers dans un camp nazi "les corps privés de vêtements, de cheveux" (comme dans ses futurs autoportraits). Dans le dernier texte, elle évoque : "Tout habitant du pays sans miroirs", une prose concise et complexe : "Vers je, vers tu, nous allons cahin-caha, mon pronom personnel haïssable". Et se découvre : "traduisant ma vie tragique par leur vie triviale".
Au delà de tout engagement politique ou esthétique, en tant que femme et artiste aux multiples talents, Claude Cahun interroge les voix fluides du néant.
Sandra Moussempès
Chronique publiée en 2003 dans les Cahiers Critiques de Poésie 5 (Cipm).