LIVRE OBJET DE CRÉATION
une exposition sur le livre d’artiste et la reliure d’art au Québec
présentée au Musée des beaux-arts de Sherbrooke
du 25 février au 21 mars 2011
Exposition portant sur le
livre d’artiste et la reliure d’art au Québec, Livre objet de création a été présentée au Musée des beaux-arts de
Sherbrooke, du 25 février au 21 mars 2011, en lien avec le colloque ayant pour
titre L’artiste et le livre, tenu
à l’Université de Sherbrooke le 25 février 2011.
Les Actes du colloque ont été publiés ce printemps sous le titre de Le livre comme art, Matérialité et sens, sous la direction de Stéphanie Bernier, Sophie Drouin et Josée Vincent, Éditions Nota Bene.
Livre objet de création
se voulait une exposition sans prétention savante,
ni prétention historique ou scientifique, mais plutôt une exposition offrant
une occasion rare d’apprécier la production artistique québécoise en matière de
livre de création couvrant la période entre 1970 et 2010. Deux démarches
ayant cours dans l’univers du livre de création y étaient illustrées: le
livre d’artiste et la reliure d’art, deux démarches artistiques qui sont
malheureusement souvent présentées en opposition, mais qui pourtant se
rapprochent le plus souvent, soit dans l’invention, soit par l’intention.

On a pu voir de près le
travail d’artistes du livre qui s’intéressent tout spécialement à la matérialité
du livre et non plus seulement à son contenu, une attitude qui, foncièrement,
relie tous ces acteurs du milieu du livre de création : ceux qui
fabriquent ces livres de leurs mains, les artistes —graveurs ou autres—, les
typographes, les imprimeurs artisanaux, les relieurs, etc). Les oeuvres réunies
alternaient entre le livre d’artiste classique, composé en typographie manuelle
sur un papier pur chiffon, et d’autres livres contemporains explorant de
nouveaux matériaux et de nouveaux moyens techniques, comme l’impression laser,
ou encore des livres d’artistes adoptant des formes et des contenus insolites.
Le parcours de l’exposition :
un éventail des possibilités en matière de livre de création
Occupant une double position
—praticienne du livre de création depuis plus de quinze ans et commissaire—, j'ai effectué la sélection de pièces sous l’influence de mon expérience
artistique qui me confère une vision de l’intérieur de la pratique.
La composition de l’exposition
s’est élaborée à partir des collections du Musée des beaux-arts de Sherbrooke,
de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, et de celles de quelques
collectionneurs et relieurs ayant accepté de prêter certaines pièces.
Dans les faits, deux autres
personnes ont participé à la sélection. En début de processus, Sophie Drouin, l’une
des deux organisatrices du colloque, m’a accompagnée dans le parcours de la
collection du Musée des beaux-arts de Sherbrooke afin de constituer un premier
ensemble d’ouvrages pertinents.
Élise Lassonde, bibliothécaire,
spécialiste de collections (livres d’artistes, estampes et reliures d’art), a
accompli un travail essentiel à Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Les collections de l’institution sont considérables et leur répertoire —en
ligne— n’est pas encore pourvu de photographies, ce qui rend l’identification
et le choix des oeuvres extrêmement difficiles sans la collaboration d’un
partenaire à l’interne.
En ce qui concerne sa présentation
physique, le livre présente des contraintes à la mise en exposition, du fait qu’il
est impossible d’en montrer simultanément l’intérieur et l’extérieur. En ce
sens, un effort particulier a été fait pour présenter côte-à-côte, un livre d’artiste
en feuilles et le même livre, relié.
Par exemple, Les croix de chemin, dont un exemplaire en feuilles était présenté aux côtés
d’un second, relié par Lise Dubois de Montréal.
Ou Le
livre des origines, dont
trois reliures exposées dans une même vitrine, aux côtés de quelques feuillets
montraient bien la complexité et l’originalité de la mise en pages de cet
ouvrage.
Le livre d’artiste : une très grande diversité de formes
L’appellation livre d’artiste
fait référence à nombre d’objets de natures variées qui s’apparentent, de près
ou de loin, au livre tel qu’on le connaît au quotidien. Le vocable peut
englober des formes aussi différentes que ce qu’on a nommé à l’époque, livre de
peintre, tels L’Accumulation — relié par Jonathan Tremblay— , et De ma nuit naît
ton jour de Bernard Gast et Jacques Fournier, dont le texte
et l’image en transparence sont encadrés d’une structure en merisier qui permet
à l’objet de se tenir debout sans autre support.
On a pu voir aussi des éditions
limitées de livres imprimés récemment de manière artisanale sur des papiers de
grande qualité à l’aide de petites presses et qui comprennent des illustrations
ou des gravures originales; on a vu également des livres uniques, tel Au fil
de soi de Christine Chartrand, dont le texte est manuscrit
et l’imagerie, constituée de peintures originales.
La pratique du livre d’artiste
intervient à plusieurs niveaux : il n’est pas rare que ces œuvres soient
investies d’un discours à caractère politique, ludique, social ou
environnemental, et qu’elles contestent même la forme familière du livre. On a
vu cependant que la popularité de cette pratique artistique n’empêche pas certains
irréductibles de réaliser des livres d’artiste plus classiques, des livres à
gravures, tel Totem : enterre-moi
Il est courant aujourd’hui
de regrouper sous l’expression livre d’artiste, des œuvres relevant de l’art
conceptuel, des œuvres dont la forme et le contenu peuvent être éloignés de l’objet
livre dans sa forme classique, comme on a pu le constater avec Sainte-Femme
On a pu voir des livres
objets dépourvus de texte, tel Série Livre-urbain, un livre sculpture de Louise Paillé qui a été réalisé
à partir d’objets trouvés, usés et détériorés et d’autres livres constitués de
matériaux insolites ayant un lien direct avec le contenu textuel.
C’est le cas
de Rouge, de
Nathalie Bandulet, dont le texte a été typographié à la machine à écrire. Il
comprend des pages tantôt en acétate, tantôt en papier sur lesquelles sont brodés
à la main ou cousues à la machine des pièces de tissus et divers motifs. En
fait, tout le contenu sert et illustre la couleur rouge.
Par ailleurs, le mobilier d’exposition
ne nous permettant pas d’exposer sous vitrine plusieurs ouvrages de grand
format, nous avons choisi d’exposer au mur, encadrées, des composantes de
certains livres de peintre, Les proverbes de Gérard Tremblay, Être
conscient de Jordi Bonet, Errances
de
Fernand Toupin, Plans sonores de Mario Merola, de même
que Courtepointes de James Guitet et Natalités de Monique Voyer, une
artiste estrienne de grande expérience. C’est ainsi qu’une quinzaine de sérigraphies
en couleurs et de gravures (eaux-fortes, pointe sèche, aquatinte) ont pu être
placées aux murs pour être examinées de près par les visiteurs.
La reliure d’art : un
art ancien actualisé
La reliure d’art est souvent
confondue avec le livre d’artiste. Elle se distingue par sa capacité de
singulariser, voire de sacraliser le livre car, de par sa démarche, la reliure
d’art se donne généralement pour mission d’exprimer, par le biais de la
sensibilité, la créativité de l’artiste relieur, les traits et caractéristiques
du livre, son contenu, de même que l’estime que lui accorde le relieur. Cet
acte de création se fait habituellement en conservant au livre sa forme familière,
celle du codex, en lui créant une
peau qui vient attester du lien tissé entre le contenu, l’auteur et le relieur,
un lien unique en son genre. En outre, il arrive que certaines reliures soient
réalisées en complète indépendance, sans liens aucuns avec le contenu du livre.
Les relieurs explorent également
de nouvelles structures qui commandent des coutures particulières : la
reliure dite à mors ouverts que l’on retrouve sur Les annales de l’Hôtel-Dieu
de Québec dont les plats sont fixés au dos par la couture sur
des rubans de cuir passés en carton de manière apparente; la button hole stich
sur dos concertina que l’on retrouve sur l’ouvrage Reprendre souffle, présente une façon inhabituelle de relier et d’assembler
les cahiers du livres et les plats laissant voir le concertina du dos, en cuir
de couleur contrastée.
Divers matériaux inspirent
aussi les relieurs. On remarque le plaquage de bois pour deux reliures de Lucie
Morin, Le Livre des origines, aux
plats de bois articulés garnis de perles, ainsi que Book of Longing dont le décor de bois de crayons taillés sont
rehaussés à l’aquarelle.
Le cuir marin (les peaux de poissons) est un matériau
très prisé par certains. Odette Drapeau le travaille souvent en épaisseur, c’est-à-dire
sans qu’il ait été préalablement aminci, ici, en mosaïque superposée d’anguilles
tannées en Gaspésie, comme on peut le voir sur Maria Chapdelaine en édition
de grand format.
Jonathan Tremblay,
quant à lui, se sert de peaux de poissons complètes auxquelles il ajoute
parfois une bordure dorée, comme l’illustre bien la reliure de L’Accumulation, où sont mises en valeur des peaux de plie. Une
reliure de Lisette Gaucher, La chasse-galerie and other Canadian
stories voit la peau de buffle noir rehaussée d’une
application de peaux de morue et de plie rouges. Relié par Louise Mauger, l’ouvrage
Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, donne
à voir la moitié inférieure des deux plats composée de mosaïques de peaux de
plie et de turbot de couleur naturelle, jouxtées à des peaux de julienne
multicolores, un cuir marin provenant de Bretagne.
Reliée par Aline Mauger, Chaconne se présente
avec des plats en cuir doré —
matière à l’aspect inhabituel — au motif estampé de triangles. Le métal est aussi
parfois utilisé dans l’élaboration des décors : Lise Dubois a incrusté une pièce
d’étain sur le plat avant de Paris de ma fenêtre, Isabelle Poitras a créé une reliure à charnières
de métal, cousue de fil métallique pour Noirs, bleus, sables, tandis que Pascale Bastide insérait, sur Fleurs de glace, des abeilles en laiton sur une reliure en coton, rehaussée d’une impression photographique par transfert xérographique et brodée à la machine.

Quant à Ghislaine
Bureau, elle s’est servi de polycarbonate pour les plats de Lettres de
Californie, des plats décorés à l’aérographe
avec de la peinture pour automobile. L’acrylique, medium plus courant dans les
arts visuels, est aussi utilisé en reliure; c’est le cas pour Sève,
chante-fable, l'une reliure de mes reliures où des gouttes de sang en relief sont peintes à la main de neuf couches
d’acrylique rouge.
Conclusion
Le parcours de l’exposition Livre
objet de création a permis aux
visiteurs d’observer et de se familiariser avec une diversité d’approches explorées
par les artistes québécois œuvrant dans le milieu du livre de création. Différentes
manières d’aborder, de concevoir et de construire le livre ont pu y êttre appréciées.
L’exposition a mis en valeur l’objet livre au moment où celui-ci acquiert le titre
d’objet d’art, dans le contexte général où un grand nombre de questions se
posent un peu partout dans le monde, quant à la survie du livre papier. Un événement
de ce type contribue cependant à accroître la valeur symbolique de cet objet,
qu’il soit de facture classique ou qu’il fasse éclater les conventions. Le
livre élaboré par l’artiste explore un processus unique où la réflexion et le
questionnement se côtoient constamment, où le temps et la fabrication de l’objet
livre sont habités par le sens, autant que par la forme concrète du livre.
En plus de Livre objet de
création, se tenaient en même temps
sur le territoire québécois deux autres expositions de livres de création. On
pouvait voir à la Bibliothèque municipale de Sillery, Dires érotiques et, au Musée Colby-Curtis de Stanstead, une
exposition mettant en relation des reliures contemporaines aux côtés de
reliures anciennes de la collection du musée.
Au Québec, habituellement,
les expositions de livres d’artistes ou de reliure d’art sont rares et plutôt étalées
dans le temps. Ce type d’exposition n’est pas courant dans les institutions muséales
québécoises, soit parce que les collections sont déficientes en la matière, que
difficultés inhérentes à la mise en exposition des livres agissent comme frein
ou encore, peut-être, parce des conservateurs manquent d’intérêt et / ou de
connaissances à l’égard du sujet.

Christine Chartrand, Au fil de soi
2, textes tirés d’Albert Jacquard, Idées
vécues, Flammarion, Paris, 1992.
Textes manuscrits à l’encre noire. Étui recouvert de papier noir, portant le
titre et le décor d’une applique de buffle blanc. Exemplaire unique. Collection
BAnQ.
Livre d’artiste de François Vincent et Thomas Mainguy
(quatorze poèmes), Totem : enterre-moi, Éditions du Braquet, Montréal, 2009. Édition sur
papier vélin BFK Rives, limitée à 20
exemplaires signés par l’artiste et le poète, plus 10 exemplaires hors
commerce. Exemplaire 8 / 20. Collection BAnQ.
Gérard Tremblay, Les proverbes, [Montréal], [s.n.],
1970. Livre d’artiste comprenant 10
sérigraphies en couleurs. Édition limitée à 20 exemplaires, marqués de A à T.
Exemplaire H. Collection Musée des beaux-arts de Sherbrooke.
Jordi Bonet, Être conscient, Montréal, Édition
Bourguignon, 1975. Imprimé à Montréal par Guy Ruel, à l’atelier B+. Livre
d’artiste comprenant sept sérigraphies signées. Édition limitée à 110
exemplaires. Collection Musée des beaux-arts de
Sherbrooke.
Fernand Ouellette, Errances, Édition Bourguignon,
Montréal, 1975. Livre d’artiste comprenant sept sérigraphies et sept textes.
Exemplaire 54 / 93. Collection Musée des beaux-arts
de Sherbrooke.
Mario Merola, Plans
sonores, Éditions à l’Orée, Montréal, 1983. Livre d’artiste comprenant cinq
gravures. Édition limitée à 36 exemplaires dont 11 exemplaires hors commerce. Exemplaire 2 / 25. Collection
Musée des beaux-arts de Sherbrooke.
Honoré Beaugrand, La Chasse galerie and other
Canadian stories, Traduction anglaise
de La Chasse-galerie : légendes canadiennes. Montréal, [s.n.], 1900. Traduction anglaise de La
Chasse-galerie : légendes canadiennes. Collection BAnQ.