28 novembre 2009
Interzone
11 novembre 2009
Lord, what fools these mortals be ! (2/2)
Enfin, il me faut aborder Achilles, qui représente pour moi un acmé dans l'art de Barry Purves. Le film se focalise sur l'histoire d'amour entre Achille et Patrocle, sur fond de Guerre de Troie : Achille, que sa mère Thétis a plongé dans le Styx à sa naissance afin de lui assurer l'immortalité, et Patrocle, son ami d'enfance et son mentor, sont engagés dans l'armée grecque pour reprendre Hélène aux troyens. Suite à une dispute avec Agamemnon, chef des armées, qui a désiré garder pour lui la jeune prisonnière troyenne Briséis sur laquelle c'est Achille qui avait le premier jeté son dévolu, ce dernier s'est retiré de la bataille avec Patrocle. Par son geste, Agamemnon a mis l'armée grecque en grand péril et Patrocle, ne peut laisser la situation se détériorer. Avant de repartir au combat, il revêt la cuirasse étincelante d'Achille, son épée d'airain, son casque magnifique et son solide bouclier. Mais lors de l'assaut contre les troyens, il succombe sous les coups d'Hector, frère aîné et défenseur de Pâris. A l'annonce de cette nouvelle, Achille est blessé dans sa chair. Reprenant les armes, il retourne à la bataille et tue Hector en combat singulier. Pâris, en retour, pour venger la mort de son frère, décoche une flèche empoisonnée sur Achille. Celui-ci est mortellement touché au talon, la seule partie vulnérable de son corps.
Pour raconter cette histoire, Barry Purves a choisi d'utiliser une simple table ronde, sur laquelle il a dessiné un plan du théâtre d'Epidaure, et y a installé les marionnettes conçues par Ian Mackinnon & Peter Saunders. C'est Derek Jacobi, grand lecteur de l'Iliade, qui raconte l'histoire. Achille et Patrocle, nus comme des statues antiques, muscles apparents et sexe à découvert, vivent leur passion en toute liberté. Voluptueusement enlacés, ils soupirent dans l'étreinte, et leurs gestes lascifs et leurs regards traversés de désir débordent de sensualité. Mais l'histoire qui nous est racontée ne saurait se résumer à une sublimation de l'amour, et c'est un hurlement déchirant que laisse échapper le héros, lorsque son amant tombe sous les coups d'Hector. Les combats, d'une bestialité crue, où la barbarie éclate à la manière d'une danse païenne, sont d'une intensité rare, et la rage affleure sur les visages transis par la soif du sang. Inexorablement, la destinée funeste s'accomplit, avec son lot de corps transpercés, sous les yeux de la ravissante Hélène.
Barry Purves signe avec Achilles un film absolument unique. D'une part c'est un film de marionnettes d'une réalisation plastique virtuose. Les couleurs, les gestes, les déplacements des personnages, tout semble participer d'une logique implacable et millimétrée, dans laquelle on ne pourrait rien toucher sans que l'équilibre d'ensemble ne s'effondre. Au point que l'on se demande par quel miracle Barry Purves arrive à trouver l'espace pour introduire une narration cinématographique aussi inventive. Des mouvements de caméras différenciés, des prises de vues changeantes, des plans rapprochés sur les personnages, voire sur les visages, donnent à saisir jusqu'à l'expression la plus secrète d'un personnage. Tout participe d'une dynamique sans cesse renouvelée du flux narratif, témoignant une clairvoyance sans égal. D'autre part il s'agit d'un film hautement érotique, où les figurines transcendent leur état de créatures inanimées pour prendre vie sous nos yeux, et dévoiler ce que l'humain a de plus intime : le sexe. L'innocence altérée de ces marionnettes leur confère une force poétique stupéfiante. Barry Purves parvient à leur insuffler une véritable épaisseur, une humanité consciente, une sensibilité à fleur de peau. A aucun moment ne vient la sensation du faux, la prise de distance avec un monde supposé inerte, bien au contraire : la seule pensée que des marionnettes puissent à ce point nous émouvoir suffit à nous subjuguer. Jamais un film d'animation n'aura atteint un tel degré d'introspection dans les passions intimes et les tourments de l'âme. Et jamais la mythologie grecque transposée à l'écran n'aura trouvé de meilleur serviteur que Barry Purves.
Tableau : Léon Benouville, La Colère d'Achille (1847)
10 novembre 2009
Lord, what fools these mortals be ! (1/2)
L'année dernière, Potemkine a sorti un DVD réunissant les films conçus, animés et réalisés par Barry Purves : Next (1989), Screen Play (1992), Rigoletto (1993), Achilles (1995), Gilbert & Sullivan (1998), et Hamilton Mattress (2001). Cinq pépites (j'exclue le dernier, qui ne présente aucun intérêt) qui propulsent le réalisateur au sommet du cinéma d'animation.
Next
Tout d'abord Next, sous titré "The infinite variety show", est une féérie shakespearienne qui tente le pari fou de condenser tout le théâtre du dramaturge anglais en l'espace de 5 minutes. Shakespeare lui-même, rejoue sur scène la totalité de ses pièces, du Conte d'Hiver aux Joyeuses Commères en passant par Macbeth, sous les yeux de Sir Peter Hall, l'un des plus grand metteurs en scènes britanniques. Un feu d'artifice éblouissant, les références s'enchaînant à train d'enfer jusqu'au bouquet final. La musique de Stuart Gordon (rescapé des Korgis) est une sorte de danse élisabéthaine dynamitée, extraordinairement mobile et entraînante, collant aux images à la perfection. Un pur instant de grâce.
Sir Peter Hall
Ensuite, Screen Play est un conte tragique inspiré du kabuki et du bunraku, et utilisant le langage des signes. L'emploi d'une scène tournante mobile et le jeu avec les panneaux coulissants japonais font que les séquences se succèdent de manière particulièrement efficace. La beauté des décors est époustouflante, tout comme les gestes très codifiés des personnages qui sont d'une infinie poésie. Le film, tourné en une seule prise fixe hypnotique, se termine en storyboard dans une rare violence.
Le bunraku, théâtre de marionnettes
Rigoletto
En mélomane averti, Barry Purves a réalisé deux films musicaux : Rigoletto, qui résume l'opéra de Giuseppe Verdi en 30 minutes, et Gilbert & Sullivan, qui replace les deux figures emblématiques de l'opérette anglaise dans les rôles qui jalonnent leurs oeuvres. Le premier est un exemple unique à ma connaissance d'opéra d'animation, aux décors fastueux et costumes flamboyants. La bande-son ne réunit ni un Placido Domingo en Duc de Mantoue ni une Ileana Cotrubas en Gilda, et a surtout le grave défaut d'être chantée en anglais, mais cela s'oublie vite devant la splendeur des images.
Wyn Davies, chef d'orchestre
Gilbert & Sullivan
Le second est un ovni tout droit sorti de l'esprit de Barry Purves, qui montre le compositeur Sullivan et son librettiste Gilbert se chamailler comme des gosses devant leur impresario Richard D'Oyly Carte. L'idée de génie du marionnettiste est que les trois protagonistes ne dialoguent qu'au travers des répliques extraites de leurs opéras, en un patchwork totalement farfelu qui fait sens à la fois textuellement et musicalement. Ainsi s'enchaînent et se superposent Patience, Les Gondoliers, Les Pirates de Penzance, Mikado etc., chantés avec délice par Sandra Dugdale et Stephen Pimlott, qui rendent toute la saveur de ces folles pages de l'époque victorienne. So British !