En ce moment c'est l'année de
Le pays du Kalevala (Immense épopée de plus de 20.000 vers, divisée en douze chants, composée à partir de chants populaires finlandais par Elias Lönnrot au milieu 19è) et de Sibelius (1865-1957), est aujourd'hui une nation musicale de premier plan.
C'est une pépinière incroyable de talents musicaux, qui irrigue le monde entier - son système scolaire force l'admiration des chercheurs paraît-il - et ceci dans tous les domaines.
A commencer par la direction d'orchestre, avec les pointures internationales que sont les Esa-Pekka Salonen, Jukka-pekka Saraste et autres Susanna Mälkki pour ne citer qu'eux. Les premières mondiales sont leur inclinaison naturelle. Ces gens là boivent la musique contemporaine comme du petit lait, et c'en est d'autant plus digeste pour le public.
En chant, c'est une foison qu'il serait long à détailler ici mais citons quand même les sopranos Karita Mattila (elle me fait fondre) et Soile Isokoski (son nom veut dire "lumière du nord", elle sera à Gaveau le 27 juin).
Dans le domaine de la création, le compositeur et pédagogue Paavo Heininen, né en
Il y en a bien d'autres -
Pour l'heure celui qui nous va intéresser est actuellement considéré comme le futur "grand", le bien-nommé Magnus Lindberg.
Il nous est bien connu en France, puisqu'il a séjourné chez nous pendant plus de dix ans, entre 1980 et 1993.
Son domaine de prédilection est incontestablement la musique instrumentale (son oeuvre pour orchestre la plus connue est Joy).
Il a depuis de longues années une coopération à Los Angeles avec son compatriote et chef d'orchestre Esa-Pekka Salonen, pour lequel il a déjà composé 3 pièces : Fresco (1997), Tribute (2004), et Sculpture (2005).
Dans le domaine instrumental également, il a composé 4 concertos : piano, violoncelle, clarinette et violon.
Ce dernier, donné en création mondiale à New York en 2006 vient d'être repris en France, à l'occasion de l'année de
C'était hier soir, salle Pleyel à Paris, et le concert était retransmis en direct en début de soirée sur France Musique.
Au pupitre du philharmonique de Radio France, le tout jeune chef Lionel Bringuier (22 ans), qui est chef assistant de l'Orchestre National de Bretagne, et aussi de Los Angeles justement, avec Esa-pekka Salonen. Oui, je sais, c'est très impressionnant.
Tenant l'archet, le fameux violoniste albanais Tedi Papavrami (né en 1971). Pour l'anecdote, ce violoniste naturalisé français et qui est l'un des rares à oser jouer en concert les 24 caprices de Paganini, est également le traducteur en français des oeuvres de son compatriote Ismaïl Kadaré, qui vient de sortir un livre, que je n'ai pas lu mais qui m'a l'air bien, L'Accident.
Tedi Papavrami
Personnellement, je n'attendais pas Papavrami dans une oeuvre contemporaine, mais le concerto composé par Lindberg s'inscrit dans la grande tradition du concerto virtuose, ce qui colle parfaitement. Lindberg signe une oeuvre qui cherche moins à défricher de nouveaux territoires qu'à s'imposer au répertoire des violonistes. Il faut certainement ranger ce concerto auprès de ceux de Brahms, Tchaïkovski, Sibelius, Berg et Shostakovitch. Dans l'intention, toutefois, plus que dans la musique. Lindberg place l'interprète et son instrument au centre du processus musical. Il explore toute la dramaturgie liée à cet instrument, ainsi que les modes de jeux les plus fouillés. Un souffle incandescent parcourt l'oeuvre, dont le violon se fait le réceptacle pour exalter et conquérir le public. Le pathos que l'on ressent à l'écoute d'une telle musique nous éloigne fortement des concertos récents comme celui de Ligeti par exemple. Une forte charge émotionnelle, alliée à un déchaînement d'énergie virtuose nous rappellent les plus grandes pages romantiques et post-romantiques. Une démarche classique, finalement. A commencer par la forme : trois mouvements vif-lent-vif, avec une cadence à la fin du second mouvement. C'est presque anachronique de voir une cadence dans un concerto au début du 21è siècle ! Mais c'est peut-être la notion de concerto qui est elle-même à redéfinir. Or il semble que là-dessus, Lindberg ait fait son choix. Il préfère s'ancrer dans les racines du genre, pour mieux en renouveler l'écriture. C'est une perspective qui peut s'avérer très fructueuse, si elle est suivie par un compositeur dont les moyens techniques sont à la hauteur, ce qui est le cas de Lindberg. L'instrument choisi, est éminemment classique lui-aussi, et porteur d'une longue histoire. Là encore, le Finlandais se glisse dans cet univers, ses conventions, en exploitant les divers modes de jeu (pizzicati, arco, doubles cordes, trilles, glissandis etc.), les différents registres (du grave à l'aigu), et s'amuse avec cela. Il met l'interprète à rude épreuve en élargissant considérablement la palette habituelle des difficultés, comme ont pu le faire avant lui des Paganini ou des Sarasate. L'écriture reprend aussi les clichés inhérents au répertoire violonistique le plus noble : élans lyriques, grands arpèges et ribambelles de notes, legato infini, en jouant sur l'intonation et l'attaque de la corde ; mais le rendu est toujours nouveau et surprenant. C'est parce que Lindberg appréhende son concerto comme un dialogue étroit entre le violon et l'orchestre. Or sa science de l'orchestre est foudroyante. Avec un orchestre de type mozartien (2 hb, 2 bs, 2 cr, 4 vl 1, 4 vl 2, 4 alt, 4 vlc, 2 cb) comme il y en avait à Mannheim, ce qu'il arrive à faire est proprement stupéfiant. Le travail est d'une rigueur extrême, un soin minutieux est apporté à chaque détail. Chaque interprète est mis à contribution, jusque dans la plus infime intervention. C'est à Strauss et à Mahler que l'on pense (peut-être à Bruckner ?), bien sûr, mais avec des moyens infiniment plus réduits ! Ainsi naît un dialogue inouï entre le soliste et la masse : tour à tour le violon se fond dans les harmoniques des cordes, puis au détour de traits vifs il plonge dans une bataille échevelée avec l'orchestre ; un déluge de notes à nu se poursuit par une longue plainte désespérée soutenue par des vents en apnée. Une grande énergie, une grande urgence se font sentir à certains moments. C'est vraiment un orchestre somptueux que nous livre Lindberg, un écrin dans lequel le violon s'installe dans une osmose rarement atteinte. Dans la cadence, cela va sans dire qu'il faut un interprète de premier choix pour réussir les tours de passe-passe polyphoniques qu'a prévu l'auteur. Et c'est très beau, à la fin, lorsque les contrebasses font entendre un grognement menaçant, annonçant une chute vertigineuse du violon de l'extrême grave à l'extrême aigu, avant le retour de l'orchestre et le début de la troisième partie, un mouvement très haletant où le soliste explose littéralement. Vers la fin du morceau, le climat s'apaise peu à peu, dans un passage d'une grande humanité. Le violon s'endort sur un doux tapis de cordes feutrées.
C’est l’épopée d’un héros, au sens plein du terme (devrais-je dire beethovenien ?), qui nous a été contée par Lindberg. Après tant de heurts et de tourments, d’exaltation et d’effervescence, le héros peut enfin se reposer. Mais loin d’être une simple œuvre programmatique au sens romantique du terme, ce concerto est chargé d’une forte dramaturgie qui emporte son auditeur aux tréfonds de l’âme pour l’en ramener finalement et le déposer là, échoué sur la rive.
En bref, un concerto pour violon de haute volée qui s’inscrit judicieusement dans son histoire, digne de devenir un des futurs piliers de nos programmes de concert.