Et voilà hier c'était le dernier jour, le dernier jour où j'avais les clefs de mon premier appartement à Lille, jour ensoleillé qui plus est. Ca fait bizarre de voir cet appartement tant chargé de souvenirs, de bons moments, de mauvais parfois, mais en tout cas dans lequel je me sentais bien. Je me suis rendu ce midi à l'état des lieux en me disant qu'on ne serait que trois : le clerc de notaire, l'huissier et moi. Et finalement j'ai vu arriver une foule dans cette grande pièce qu'était mon salon et je me suis dit que c'était fini : ce n'était plus chez moi. Ils sont venus nombreux - huit - pour me mettre dehors, comme si j'allais résister.
J'ai rencontré pour la première fois mes propriétaires aujourd'hui qui s'étaient déplacé bien que je ne sache pas trop pourquoi. Ils ont certainement du sauter sur l'occasion de revoir leur bien avant qu'un autre locataire en prenne possession pour quelques temps. Ils m'ont à peine adressé la parole, comme si à la seconde où j'ai donné mon préavis je devenais un étranger. Ils ont jeté discrétement un oeil un peu partout pour vérifier que tout était à sa place et ont trouvé à redire que la moquette était en triste état... Certes mais leur moquette a au moins huit ans et ils parlaient déjà de la changer quand j'ai emménagé ! Je ne les imaginais pas comme ça mes propriétaires, j'avais lu sur le bail qu'elle était dentiste et lui médecin : je m'attendais à un stéréotype et je suis tombé sur quelqu'un qui avait plus un look de tenancière de resto routier que de profession libérale. Elle - surtout elle car lui on ne l'a pas entendu - m'a semblé plutôt désagréable, j'ai pourtant versé mon loyer en temps et en heure pendant un an et demi et avait entretenu de mon mieux l'appartement. Les propriétaires n'aiment pas que leurs locataires s'en aillent, trop souvent, ça fait des paperasses, ça fait des frais, c'est tellement plus simple quand on garde le même locataire durant dix années. Elle n'avait qu'à me le vendre !
L'huissier, lui, avait le look profession libérale : costume bien taillé, lunettes de marque, voiture propre, voix claire et imposante. La sortie de sa poche de son dictaphone acheva de construire mon opinion. Il devait enchainer les visites et n'avait pas de temps à perdre. Il nous le fit vite comprendre et commença son état des lieux sans moi, il était dans son monde à compter les trous et faire marcher les robinets, rien ne pouvait le distraire, si ce n'est une panne de piles peut-être. Il eut vite fini son inspection, me serra la main furtivement et repartit aussi vite qu'il était venu. Il ne m'a même pas dit quelle serait la suite des évènements pour moi, si je récupérerais ma caution. Je le saurais certainement par sa secrétaire. Il était accompagné par le clerc de notaire, celui qui m'avait fait mon bail quand je suis arrivé à Lille. Egal à lui-même c'est le seul à avoir discuté un peu, il ne me dira pourtant pas plus au sujet de ma caution, il devait être pressé d'aller déjeuner et n'avait guère de temps à perdre après avoir remis les clefs aux futurs occupants.
Reste encore trois personnes dans la pièce à la fin : l'un des futurs locataires et ses parents, des gens bien sous tous rapports et très cordiaux, originaires de la région de Reims. Je ne me rappelle pas avoir entendu la voix de leur fils, il avait l'air assez timide. Je n'étais pas timide comme lui mais je me revois un peu dans ses traits, épaulé par mes parents dans mes démarches et mon emménagement, m'effaçant derrière ma mère pour les formalités administratives et n'écoutant que d'une oreille la lecture du bail. Elle est désormais loin cette époque là, j'en ai signé des papiers depuis et je suis d'autant plus content d'être propriétaire.
Le temps de les informer sur tout ce qu'il est bon de savoir dans la résidence : Quelle clef ouvre quoi ? Où est la place de parking ? Où trouver le concierge ? Et de leur rappeler qu'il ne faut pas hésiter à demander le remplacement de la moquette et des radiateurs défectueux aux propriétaires (elle n'avait qu'à être aimable), il était temps de retourner au boulot et de quitter la résidence. Enormément de choses ont changé depuis mon arrivée à Lille, tant aussi bien dans ma vie professionnelle que personnelle, le changement d'appartement était certainement un des derniers "obstacles" à franchir, un peu comme un grand chanbardement matérialisant un changement - ou plutôt une évolution - d'état d'esprit. Reste à changer quelques meubles et cette époque où l'on commence à peine à travailler et où l'on garde un peu de son âme d'étudiant va s'achever pour laisser place à ce qui ressemble beaucoup à une vraie vie d'adulte : pleine de responsabilités, de tuiles qui semblent nous bouffer tout notre temps et se succèder à un rythme effrayant, mais aussi de liberté, de plaisirs et de projets car à cet âge là, on commence à avoir les moyens de ses ambitions mais il faut quelques mois pour en prendre conscience.