Ça semblait trop simple. Trop simple qu’il y ait un bateau remontant le Napo quelques jours seulement après mon arrivée à Iquitos. Alors que tout le monde m’avaient prévenu qu’en cette saison de basses eaux il était extrêmement difficile, impossible même, de se rendre en Équateur par le fleuve. Arrivé au port, la pancarte du
Cabo Pantoja qui devait partir ce mardi affiche désormais
« mañana ». Renseignements pris, le départ n’est pas prévu pour demain mais vendredi. Puis en discutant plus longuement on me fait comprendre que ça pourrait être samedi, ou dimanche, ou la semaine prochaine... Il y a bien le
Jezawel à côté, un tout petit bateau dont le départ pour Pantoja est prévu le lendemain matin. Il est bien chargé, je ne sais pas où on va pouvoir accrocher les hamacs au milieu de la cargaison. J’hésite. Revenant au mototaxi, Sara me dit que le chauffeur lui a demandé si elle savait nager et lui a conseillé de plutôt dormir sur le toit, au cas où… On tente le coup à Pesquero, un autre port un peu plus loin, puis on rentre à Iquitos. Il sera toujours temps d’embarquer sur le
Jezawel le lendemain matin.
Le lendemain la cause est entendue. Je traîne une douleur à l’oreille depuis quelques jours. Ce matin-là la douleur est devenue insupportable. Je passe à l’hôpital. Une otite. J’imagine l’enfer qu’auraient été les jours, voire semaines, de bateau avec une otite non soignée. Je suis quand même déçu. Ce voyage en bateau c’était le dernier espoir d’un peu d’aventure avant le retour.
Quitte à être venu jusqu’à Iquitos je vais en profiter un peu. L’hostal a une
albergue dans la Reserva Nacional Pacaya-Samiria, les argentins qu’on avait rencontrés sur le bateau y sont déjà. On va les rejoindre pour quelques jours dans la jungle. On part pour Nauta avec Augusto, notre guide, où un bateau nous attends pour descendre le Marañon jusqu’à l’Amazone et remonter le fleuve Ucayali jusqu’à la réserve. On y accède par des méandres de plus en plus petits, jusqu’à remonter un tout petit bras de rivière boueux. On touche régulièrement le fond, des troncs d’arbre. Il y a vraiment très peu d’eau en cette saison. On arrive à l’
albergue, de jolies petites maisons sur pilotis en bord de rivière. Les argentins bullent dans leur hamac. Dans un coin de porte une tarentule endormie, et dans chaque chambre plein de nouveaux amis. Araignées, cafard, fourmis, lézards… Il faut faire un peu attention où on pose les mains et les pieds le matin en se levant.
On aurait pu rester là quelques jours à écouter le chant des oiseaux, à se prélasser sur la terrasse entre deux balades en forêt ou une sortie pêche aux piranhas Mais on avait demandé à Augusto de nous emmener camper. Il est allé chercher Nirve au village pour l’assister. C'est qu'il n’est plus tout jeune Augusto, soixante ans passés. On part en bateau remonter un bras de rivière pendant une heure ou deux. On accoste, Augusto et Nirve installent le camp, des hamacs avec moustiquaire. Après un tour en forêt, de retour au campement, le ciel se fait menaçant. Puis l’orage éclate, des seaux d’eau qui tombent du ciel. Nirve tend des bâches en plastique en un temps record au-dessus des hamacs pendant qu’Augusto cuisine comme si de rien n’était.
La pluie se calme un peu dans l'après-midi. Le ciel reste gris mais à la tombée de la nuit Augusto décide quand même de nous emmener pour une sortie nocturne à la recherche de caïmans. On descend la rivière de nuit, à la rame, en silence, lampes torches vers le rivage. Le bruit de la jungle, les insectes, les crapauds, quelques oiseaux de nuit. Au bout d’une heure de vadrouille on s’arrête. Augusto a vu quelque chose. Là-bas dans le sable, deux yeux oranges qui se reflètent dans le faisceau des lampes. Augusto et Nirve descendent, font le tour jusqu’à arriver derrière les deux yeux. Augusto s’agenouille et d’un coup tend le bras vers le sol et immédiatement se relève, un petit caïman dans la main. Un jeune d’une dizaine de mois qu’il nous amène, très fier de lui, jusqu’au bateau. On impose une séance photo à la pauvre bête avant de le libérer.
Le ciel s’était fait de plus en plus menaçant au fil de la descente de la rivière. Les nuages étaient venus cacher la Lune, on voyait quelques éclairs au loin. Mais rien à faire, Augusto était décidé à nous trouver un caïman cette nuit-là. On remonte la rivière alors que les premières gouttes se font sentir, puis en quelques minutes c’est un mur d’eau qui fait face au bateau. Je prête ma lampe à Augusto qui crie
« No veo nada ! No veo nada ! » et je me recroqueville, tête baissée sous mon poncho. Jusqu’à ce qu’on heurte violemment un tronc d’arbre, là j’ai cru qu’on passait tous par-dessus bord. Je me décide à faire quelque chose. Entre mes deux bottes en caoutchouc je vois passer la petite coupelle plastique qui sert à écoper. C’est ce que je vais faire, écoper jusqu’à l’arrivée. Pour vider un peu de l’eau qui remplit peu à peu notre petite barque autant que pour m’occuper l’esprit.
On arrive finalement au campement, trempé. Quelques minutes sans rien dire sous la bâche en plastique, puis je vais voir Augusto :
« Que hacemos ?
- Dormir…
- No comemos ?
- Ha ?! Quieres comer ? »
La question qu’il ne faut jamais me poser. Bien sûr que je veux manger. En quelques minutes Augusto et Nirve sont en action, à coup de machettes ils arrivent à couper du bois sec et allument un feu. On sèche nos affaires comme on peu, on fait chauffer de l’eau pour un café, on mange un morceau. Finalement tout le monde est content d’aller dormir le ventre plein dans des habits à peu près secs. Le lendemain on rentre à l’
albergue. Et le surlendemain Augusto nous ramène à Nauta.
Nauta c’est le point de départ d’un long et fatiguant voyage qui va m’emmener jusqu’en Équateur. Tôt le matin on monte sur le bateau rentrant à Yurimaguas. Le Gilmer IV cette fois-ci, un peu mieux que l’Eduardo II. On y retrouve Lucas et Lesly, les deux rescapés du groupe d’argentin, qui ont embarqué à Iquitos la veille. Eux aussi vont en Équateur. Bien qu’à contre-courant le retour à Yurimagua est plutôt rapide, deux jours et deux nuits de bateau. Deux jours de pluie, la saison humide arrive.
De Yurimaguas on part directement pour Tarapoto, la même route sinueuse à travers les montagnes. A Tarapoto on décide d’attendre le bus de 16h pour Jaén. En théorie ce bus-là devait nous permettre d’arriver au petit matin à Jaén et nous éviter d’y débarquer au milieu de la nuit. C’est pourtant ce qui va se passer, on arrive très en avance à Jaén, il est 1h30 du matin. Tout le monde est déjà descendu qu’on somnole encore sur nos sièges, on entend alors quelqu’un crier dehors
« Que bajan los gringos ! Que bajan los gringos ! » Ça agace un peu Lucas et Lesly qu’on les traite de gringos.
« Somos argentinos ! » On descend du bus, pour se retrouver enfermés dans le terminal. Ça m’était déjà arrivé Chiclayo. Au Pérou quand un bus arrive en pleine nuit on ne te laisse que rarement sortir, trop dangereux. Il faut attendre le lever du jour ou un moyen de transport passant directement par le terminal. On attend finalement assez peu de temps. Un bus s’arrête devant la porte, quelqu’un crie
« San Ignacio ! San Ignacio ! » en tapant sur la grille. On nous laisse sortir et on embarque pour San Ignacio. On y arrive au lever du jour. Un mototaxi nous amène jusqu’aux taxis collectifs qui partent la Balsa, la frontière. Deux heures de trajet sur une route boueuse où la conduite s’apparente à de la navigation fluviale, les roues avant faisant office de gouvernail, et on arrive à la Balsa.
On y est ! La frontière équatorienne. Maintenant il faut attendre. Les camions pour Zumba ne partent qu’à midi. Le temps de somnoler devant un café, de passer tranquillement à l’immigration péruvienne puis équatorienne, changer nos derniers Soles. On embarque dans un camion. Un peu plus évolué que leur version bolivienne, il y a des bancs pour s’asseoir sur la plateforme arrière. A Zumba, on n’en a toujours pas terminé. Le bus pour Loja part dans l’après-midi. Il nous dépose à Vilcabamba vers 22h30. La fin de deux jours de bus non-stop, quatre jours de voyage si on compte les deux jours de bateau qui ont précédé.
Aujourd’hui je suis à Cuenca, seul. Lesly et Lucas sont allés directement à Loja, et j’ai abandonné Sara à Vilcabamba. Je poursuis la route vers le nord, pour une dernière petite boucle avant de replonger vers Guayaquil. Dans moins de deux semaines je serai de retour. En France, 21 mois après.
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Reserva Nacional Pacaya-Samiria |