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"Ecœurés": chez Alpine à Viry-Châtillon, le projet de Renault d'arrêter la production de moteurs de F1 ne passe pas

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La direction de Renault a pour projet d'arrêter définitivement la production de moteurs de Formule 1 sur son site de Viry-Châtillon. Une décision qui affecterait 350 collaborateurs, aux savoir-faire de pointe et qui signerait la fin de la production F1 dans l'Hexagone. Un appel à la grève pour ce vendredi 30 août a été lancé.

Ça sent le roussi chez Alpine, la marque sportive premium de Renault, qui est aussi le nom de son écurie de Formule 1. Son site de Viry-Châtillon (Essonne) pourrait voir l'arrêt définitif du développement et de la production des moteurs F1. En protestation, les collaborateurs d'Alpine Racing (ex-Renault Sport) appellent à une grève ce vendredi, sous la bannière: "Sauvons 50 ans de Formule 1 française!".

La direction envisagerait en effet très sérieusement de stopper la production de moteurs de l'emblématique marque de sport française. Ces intentions dévoilées en juillet avaient uniquement été communiquées localement, ce qui a étonné les instances représentatives centrales: "Normalement, la direction passe d'abord un coup de fil aux organisations. Cette annonce, on ne l'a pas vu venir, elle est tombée dans les journaux, on l'a en travers de la gorge", relate pour BFM Busines, Thomas Ouvrard, délégué syndical groupe. L'arrêt de la production interviendrait fin 2025.

"Cette menace de ne plus être présent sur la saison 2026 est très mal vécue, d’autant plus que le nouveau moteur F1 pour la réglementation de 2026 passait aux bancs d’essais avec des résultats prometteurs", complètent les représentants de la Centrale CGT et la déléguée syndicale CGT de Viry-Chatillon Karine Dubreucq.

"Les collaborateurs sont écœurés"

L'arrêt de la production par Alpine de ses propres moteurs pose la question du devenir de l'usine. Selon le projet de transformation, elle aurait vocation à devenir un pôle de haute technologie, "potentiellement une reconversion vers l'hydrogène ou le moteur électrique à haute densité", relate Thomas Ouvrard. Le CSE du site évoque une migration vers d’autres projets conduits par Alpine Racing (Endurance, Formula E, compétition Clients, etc). À court-terme ce sont 350 collaborateurs du groupe qui voient leurs emplois menacés, dont des profils extrêmement qualifiés. S'il est assez certain que des reconversions leur seront proposées, le risque de désamour est grand.

Les locaux de Alpine F1 Team à Viry Chatillon
Les locaux de Alpine F1 Team à Viry Chatillon © DR
Les collaborateurs sont écœurés, ce sont des amoureux de la Formule 1, des passionnés, il y a de forts risques qu'ils quittent Renault, indique Thomas Ouvrard

Des transformations, les techniciens et ingénieurs en ont essuyé plusieurs, notamment le passage du thermique à l'hybride en 2014 en F1. Mais ces profils qui ont à cœur de s'investir pour l'écurie risqueraient de ne pas trouver leur compte dans une reconversion.

Et la perte de savoir-faire hautement qualifiés sur le territoire de Viry-Châtillon inquiète jusqu'au maire de la ville. "Ce qui est développé sur le site de Viry c'est du moteur de très haute technologie. On s'expose à une perte de compétences de très haute volée pour la ville, pour le département, mais aussi pour la France qui a su démontrer avec les Jeux à quel point elle peut être une terre d'excellence", déplore Jean-Marie Vilain, le maire, contacté par BFM Business. L'édile va se joindre au mouvement de contestation et assure avoir le soutien d'environ 250 élus et parlementaires.

Depuis l'annonce fin juillet, le dossier brûlant a peu évolué et est supendu à une nouvelle convocation du CSE fin septembre. Le cabinet SECAFI a été missionné et doit fournir un rapport sur les possibilités de reconversion des collaborateurs. Au-delà des collaborateurs directs, les sous-traitants et prestataires seraient aussi concernés par une telle décision.

Le moteur Alpine F1 team produit à Viry Chatillon
Le moteur Alpine F1 team produit à Viry Chatillon © DR

Face à la menace d'arrêt des activités F1 du site, la résistance s'organise. En plus du mouvement de grève vendredi, et d'une mobilisation "sans message agressif" dans les tribunes du Grand Prix d'Italie, à Monza qui sedéroule ce weekend, une pétition a été lancée en ligne sur la plateforme Change. Lancée par un consultant spécialisé dans le financement de l'industrie Christophe Arnald, il témoigne pour BFM Business de sa passion pour l'industrie F1. Et de son engagement pour sauvegarder la production du moteur français, sans intérêt direct, puisqu'il n'a jamais travaillé pour Renault. Mais avoue-t-il ce "fleuron de l'industrie française" lui a donné envie plus jeune de devenir ingénieur. Alpine serait une source d'inspiration pour de nombreux jeunes comme lui, passionnés de F1 et de Grands Prix.

Arrêt de mort de l'industrie F1 française

En plus de la reconversion à marche forcée des collaborateurs d'Alpine Racing, qui pourraient être tentés par les sirènes des constructeurs étrangers, l'arrêt de la production moteur signifierait également la fin de toute production française pour les éléments d'une voiture concourant sous la bannière Alpine.

De production française, il ne reste plus que le site de Viry-Chatillon", constate avec dépit Christophe Arnald.

En effet, l'essentiel de la production de l'industrie F1 se joue désormais en Angleterre et en Italie. En abandonnant Viry-Châtillon, en activité depuis 1977, Renault privilégierait son site d'Enstone (Royaume-Uni) où sont fabriqués les châssis de ses véhicules et où est basée son écurie, ses pilotes et ses simulateurs.

Les bruits qui courent laissent à penser que l'écurie se tournerait vers un bloc client. En d'autres termes que les moteurs seraient achetés chez Mercedes. "C'est ahurissant que le plus grand motoriste, le deuxième le plus titré abandonne la production nationale pour se fournir auprès de la Mercedes", déplore Christophe Arnald. "Que resterait-il de français de la voiture sous la bannière Alpine? Un châssis fabriqué à l'usine d'Enstone dans lequel on greffe un moteur acheté auprès de Mercedes à Brixworth".

Une mesure d'économies

En F1, Alpine-Renault n'a accroché aucune victoire depuis 2021. Ce qui serait un sujet d'impatience du management, et notamment du directeur Luca De Meo. Ce dernier avait pourtant fermement écarté tout désengagement début janvier, réaffirmant ses ambitions pour Alpine. "La Formule 1 et Alpine sont des atouts stratégiques pour Renault Group." Selon les informations de Motorsport, le directeur général de Renault avait exclu la possibilité de céder tout ou partie de l'écurie.

En plus des changements de management successifs chez Alpine, dont certains ont été plus heureux que d'autres, des observateurs y voient à mots couverts la patte du sulfureux Flavio Briatore, l'ex-directeur Renault F1 Team, désormais conseiller exécutif auprès de l’écurie Alpine. Celui-ci dément avoir joué un quelconque rôle dans la décision d'arrêter la production du bloc moteur Renault. Dans une conférence de presse relayée par l'AFP, l'Italien déclare: "Moi je n'y suis pour rien, c'est une décision prise par le président (de Renault) avant que j'arrive. Je n'ai rien d'autre à dire. Je ne suis pas toujours le méchant".

Au-delà de l'absence de réussite sportive, il faut y voir un sujet financier. Acheter un moteur auprès d'un constructeur-motoriste coûte bien moins cher qu'investir en interne. Une économie de près de 103 millions, puisqu'il s'agirait de passer de 120 à 17 millions d'euros selon les informations communiquées par le CSE. Une source d'économies non négligeable pour Renault qui cherche à améliorer sa marge opérationnelle groupe en 2024. Contactée, la direction d'Alpine Racing et d'Alpine Cars n'a pas répondu à nos sollicitations.

Marine Landau