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L'été des années 80. La Lambada, le premier tube de l'été monté de toutes pièces

[Episode 5/5] Lors de l'été 1989, toute la France danse sur les sonorités de la "Lambada". Une danse entraînante, copiée sur un morceau brésilien et largement sponsorisée qui lancera la dynamique des tubes de l'été.

Été 1989. La France s'apprête à célébrer le bicentenaire de la Révolution française. François Mitterrand est président et la liste UDF-RPR de Valéry Giscard d'Estaing est en tête aux élections européennes. Dans quelques mois, le Mur de Berlin tombera et le dictateur Nicolae Ceausescu sera renversé.

La Lambada, la fabrication du premier tube de l'été
La Lambada, la fabrication du premier tube de l'été
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Mais revenons à cet été-là, où les Français consultent le Minitel (qui équipera au début des années 90 jusqu’à 6,5 millions de Français). Surtout, ils regardent massivement la télévision. À cette époque, TF1 est déjà la première chaîne, bien loin devant Antenne 2. "Les Feux de l’Amour" y connaîtront leur première diffusion fin août.

Mais l'été est surtout marqué par une déferlante aux sonorités brésiliennes sur les ondes et à la télévision. Le 21 juin 1989, la "Lambada" (également titrée "Chorando se foi") est présentée au public lors de la grande nuit des tubes de l'été. Le succès est fulgurant.

Un collectif éclectique

Classée n°1 pendant 12 semaines, la "Lambada", qui tient son nom d'une danse et d'un genre musical brésiliens, fait danser la France. Ce collé-serré charrie avec lui son lot de clichés de l'été: danse torride, sonorités entraînantes et une bonne dose de soleil.

"La 'Lambada' est le parfait triptyque de la chanson estivale avec une danse qui va avec et un exotisme en plastique, quelque chose de très carte postale, de très prêt à consommer", analyse Sophian Fanen, cofondateur du site Les Jours et spécialiste de l'industrie musicale.

Le groupe Kaoma, qui interprète le tube, regroupe pour l'occasion un collectif éclectique: des musiciens français (Chico, Jacky, Jean-Claude et Michel), dont certains venus des Antilles, une choriste sénégalaise (Fania Niang) et deux chanteuses brésiliennes (Loalwa Braz et Monica Nogueira).

Derrière le groupe, un duo de producteurs français, Jean Karakos et Olivier Lorsac, qui en parlant de la Lambada évoquent à l'époque, sur FR3, "plus qu'une danse, (...) un mouvement culturel, un fait de société".

Le duo explique avoir découvert la pépite lors d'un voyage à Bahia au Brésil, indiquant avec aplomb la tenir d'un "compositeur brésilien inconnu". En réalité, le compositeur non identifié n'est autre que l'un des membres du duo comme ce sera révélé par Le Monde deux mois plus tard, citant une source proche de la Sacem.

Un plagiat pur et simple

Et tout ceci tient davantage du plagiat que de la révélation musicale. La "Lambada" ressemble en effet à s'y méprendre au titre "Llorando se fue" du groupe folklorique bolivien Los Kjarkas. Si la version originale en espagnol est moins entraînante, la flûte de pan apportant un rythme plus mesuré, on retrouve une mélodie identique.

La "Lambada" n'a fait que "brésillianiser" la version originale, plagiant le titre en portugais ("Chorando se foi"), même si les producteurs avaient assuré avoir conclu des accords sous seing privé avec les auteurs, selon l’article du Monde.

La "Lambada" tournant en boucle sur les ondes -première au hit-parade en France, Belgique et dans ce que l'on appelle encore l'ex-RFA- le groupe bolivien va finir par reconnaître son morceau et réclamer sa part en 1990. L'affaire a été portée judiciairement par leur maison de disques EMI et s'est réglée par le paiement d'une amende de 6 millions de francs à Los Kjarkas.

Montage commercial et avènement des tubes de l'été marketés

Mais au-delà du plagiat, ce qui fait l'originalité de la "Lambada" c'est le lancement de coproductions bien marketées. "Ce qui rend la lambada spécifique, c'est qu’il y a une stratégie marketing d’un morceau furieusement musical avec un partenariat de diffusion par TF1 et un sponsoring par Orangina. Le tube a bénéficié de l'audience de la plus grosse chaîne de télévision qui est un diffuseur puissant", détaille Sophian Fanen.

La première chaîne garantissait au morceau 250 passages pendant l'été, de quoi l'ancrer durablement dans les mémoires. De son côté, la marque Orangina reprenait le titre dans ses spots publicitaires au point qu’il était difficile de distinguer le clip des publicités. Une vaste campagne marketing qui a permis à la chaîne de télévision de toucher des royalties sur les ventes de disque et de partager ensuite les recettes qu'elle aura contribué à générer. En tout, 1,5 million d'exemplaires du morceau ont été vendus en France en 1989 et jusqu'à 15 millions dans le monde au total. Le morceau devenu disque de diamant est un des plus gros succès de la maison de disques CBS.

Et la "Lambada" aura bien contribué à un phénomène de société: celui de rendre incontournable la production de tubes de l'été. Une spécialité annuelle et intergénérationnelle, souvent aux sonorités latinos ou zouk.

"Ces chansons comme la 'Macarena' ou 'Asereje', c’était vraiment impossible de passer à côté, se remémore Sophian Fanen. On les retrouvait au camping, aux mariages. Toutes les générations s’y retrouvaient."

À la "Lambada", qui est officiellement le premier du genre, succédera toute une palanquée de tubes de l’été, à l'inspiration souvent latine: "Maria", de Ricky Martin, "La Macarena" de Los del Rio et sa fameuse chorégraphie répétée jusqu'à l'overdose, "Mambo n°5" de Lou Bega, et plus récemment "Despacito" de Luis Fonsi et Daddy Yankee.

Un brin de nostalgie à l'heure où la production de tubes de l'été, cette ritournelle estivale qui sent bon le sable chaud s’est peu à peu effacée. La faute aux plateformes en ligne qui, en proposant des playlists personnalisées, ont repris à la télévision son pouvoir de prescription. "C’est une époque qui a un peu disparu, celle de la France des années 90. Désormais le mainstream est devenu niche, conclut Sophian Fanen. Aujourd’hui faire un tube qui parle à absolument tout le monde, c’est rarissime."

"L'été des années 80" vous replonge 40 ans en arrière à travers les 5 plus grand succès commerciaux de l'époque. Une série également à retrouver en podcast.

Marine Landau