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Comment les compétitions de biathlon estival se font une place de choix dans un calendrier infernal

A l’image du Martin Fourcade Nordic Festival, organisé du 30 août au 1er septembre à Annecy, les compétitions estivales de biathlon sont de plus en plus prisées par les biathlètes, en pleine préparation pour la Coupe du monde qui débute fin novembre. Mais elle séduit également un public de passionnés de plus en plus nombreux.

Les rues du centre-ville d’Annecy semblent bien vides pour un samedi matin pré-rentrée scolaire. Pourtant, à quelques pâtés de maisons du centre historique, l’ambiance est à la fête sur le Pâquier, près du célèbre lac de la préfecture de la Haute-Savoie. Dans cet espace vert de plus de sept hectares, un immense village a été installé pour célébrer un rendez-vous devenu culte : le Martin Fourcade Nordic Festival. Pour la cinquième fois en six ans (l’édition 2020 a été annulée en raison du Covid-19), les meilleurs biathlètes et fondeurs participent à une course le samedi après-midi dans une ambiance festive tout au long d’un week-end. Pas de ski en raison de l’absence de neige, mais des skis à roulettes chaussés au pied. Le tout dans une fournaise souvent difficile à supporter pour les athlètes, peu habitués à concourir lorsque les températures s’affolent.

L’édition 2024 du MFNF ne déroge pas à la règle. Malgré un thermomètre qui dépasse les 30 degrés, les spectateurs affluent en nombre dans le parc, naviguant entre plusieurs stands pour rencontrer les athlètes, faire une démonstration de curling ou montrer son habileté face aux cibles, carabine en main entre deux sandwichs raclette. Car c’est aussi ça la force du festival pensé par Martin Fourcade. “La richesse de l'événement, c'est notre ADN, c'est la genèse de l'événement. On apprend beaucoup au fil des années. J'avais envie d'être sur un événement inclusif, généreux et populaire”, affirme le quintuple champion olympique de biathlon. “On voit année après année que le public revient, qu’il nous fait confiance, que ceux qui n’étaient pas l'année précédente ont envie de vibrer avec nous et c'est un immense plaisir de pouvoir offrir ça, de pouvoir vivre ça et de le partager de 7 à 77 ans.”

Une fête pour le public

Car si l’attraction principale reste les courses de ski de fond et de biathlon (payantes), l’accès au village est gratuit. Les spectateurs ont donc l’opportunité de croiser les champions lors de séances de dédicaces auprès de la Fédération Française de ski ou de leurs partenaires du vendredi au dimanche. Le week-end commence d’ailleurs sur les chapeaux de roues, avec un concert et la présentation des athlètes. Il se conclut par une journée consacrée au grand public (yoga, biathlon running, course pour les enfants). Et certains viennent même de loin pour ne rien rater. “Je suis venu de Lille en famille. On a quitté le boulot le plus tôt possible pour arriver ici vendredi soir. Et on rentre dimanche pour préparer la rentrée des quatre enfants”, raconte Fabrice, pratiquant de ski à roulettes. Pour ce féru de biathlon, qui n’hésite pas à attendre devant l’hôtel des athlètes “comme un gamin de 14 ans pour avoir une photo”, c’est une occasion unique d’échanger avec les meilleurs biathlètes de la planète.

“J’ai été au Grand-Bornand à trois reprises et c’est la troisième fois que je viens au Martin Fourcade Nordic Festival. L’avantage, c’est qu’on voit des courses différentes du biathlon d’hiver. Les athlètes sont aussi plus accessibles, même si c’est pour quelques secondes pour dire un petit bonjour ou faire une photo. Quand on aime le sport, c'est toujours un moment très agréable”, abonde David, également venu avec sa petite tribu profiter du spectacle.

"Le public français est le meilleur du monde"

Une proximité également appréciée par les biathlètes, tout sourire malgré une après-midi de souffrance sur la piste. “Il y a tellement de folie qu'à un moment donné on oublie aussi qu'on a mal aux jambes”, avoue Julia Simon, quadruple championne du monde l’hiver dernier et vainqueure de la mass start féminine samedi. “Il y a de la ferveur depuis vendredi soir. C'est difficile de faire le trajet entre l'hôtel jusqu’au pas de tir sans être arrêtée. Ce sont des journées fatigantes mais très plaisantes parce qu'on sent que le biathlon plaît aux gens et il prend une très belle ampleur.”

“Un bain de foule” qu’Eric Perrot redemande avec plaisir, et pas qu’au Grand Bornand pour l’étape de Coupe du monde fin décembre. “Le public français est le meilleur du monde. Les gens sont à fond, ils sont enthousiastes. J’adore participer à ce genre de show, surtout qu’il n’y en a pas tant que ça.” Même les étrangers ont pu avoir droit à leur salve d’encouragements. “Je courais avec Justine (Braisaz-Bouchet), Lou (Jeanmonnot) et Julia (Simon) mais je sentais que les spectateurs m’encourageaient aussi”, savoure la Norvégienne Ingrid Tandrevold. “C’était vraiment une très belle atmosphère. Il fait chaud, c’est une compétition très difficile mais c’est aussi sympa de pouvoir échanger avec les fans et la famille du biathlon. S’il n’y avait pas les spectateurs, ce ne serait pas une compétition pour nous. Le public est différent en France et en Norvège, même si en Norvège il y a aussi beaucoup de Français qui viennent encourager.”

Une préparation optimale pour les athlètes

Le soutien du public est d’autant plus important pour les sportifs, qui sont au cœur d’une préparation exigeante en vue du prochain hiver. Si la Coupe du monde ne reprend que le 30 novembre à Kontiolahti (Finlande), les biathlètes n’ont eu qu’un mois de repos avant de reprendre le travail pour de longues semaines intensives, entre stages collectifs et préparation personnelle. Un labeur effectué majoritairement sur des skis à roulettes pendant l’été. Pour compenser la longue attente avant le retour à la compétition, plusieurs évènements estivaux sont mis en place depuis quelques années pour permettre aux athlètes de remettre un dossard et de garder un esprit de compétition. Le Martin Fourcade Nordic Festival est le petit dernier du circuit, qui comporte déjà des championnats du monde de biathlon d’été, ainsi que le Blink Festival en Norvège et le City Biathlon en Allemagne.

“Je trouve que c'est chouette en tant qu'athlète d'avoir cette opportunité de remettre un dossard et de faire une compétition, avec le stress que ça peut engendrer et les attentes qu'on peut avoir sur nous-mêmes. On reste des compétiteurs, on a envie de gagner cette course, même si elle ne compte pas dans les objectifs sportifs d'une carrière. C’est important qu'il y ait des manifestations comme ça pour promouvoir nos sports. J'ai envie de donner de l'élan à notre sport en France. Cet événement y participe grandement”, assure Justine Braisaz-Bouchet, championne du monde et olympique de la mass start, qui n’oublie pas que ces courses sont aussi le moyen parfait pour continuer à travailler les détails au niveau de la piste ou sur le pas de tir.

“Je crois qu'on a encore beaucoup à faire au niveau de la promotion de la discipline à une période de l'année où d'autres sports existent. On reste dans une compétition où on a besoin d'exister, où on a besoin de montrer nos athlètes et je crois que le biathlon d'été est le meilleur moyen de le faire sur cette période de l'année”, rappelle Martin Fourcade.

Le casting XXL proposé chaque année aide forcément à attirer l’œil des novices et des férus de la discipline. L’édition 2024 n’a pas dérogé à la règle. Pour le biathlon, les Françaises étaient en force après leur hiver fabuleux. Outre Julia Simon, Justine Braisaz-Bouchet, Lou Jeanmonnot et Sophie Chauveau, Océane Michelon, Jeanne Richard et Gilonne Guigonnat ont été alignées sur la course de ski de fond.

Les JO 2030 dans le viseur

“Il y a des athlètes qui sont en plein stage et qui ont fait le choix d’être là, quitte à manquer des championnats nationaux pour venir ici parce que l'ambiance est chouette”, assure Emilien Jacquelin, deuxième de la mass start hommes. “C'est agréable à vivre et le public est au rendez-vous, on l'a vu aussi aux JO de Paris. Quand on a envie, on est capable de vraiment aimer le sport et faire la fête à travers le sport et ça, c'est chouette à voir.”

L’engouement prenant forme, se pose une question : le biathlon d’été peut-il avoir son propre circuit, dans le sillage de la saison classique disputée entre novembre et mars, notamment en raison du changement climatique? “Je suis contente que ça se passe en hiver. J’espère qu’on aura encore l’occasion, comme les générations futures, de pratiquer le biathlon l’hiver. Si la Fédération internationale commençait à réfléchir à un circuit estival, on se retrouverait vite, en tant qu’athlète, dans les mêmes marques que l'hiver”, souligne Justine Braisaz-Bouchet.

Un discours partagé par Martin Fourcade. “On est encore sur une période et sur une dynamique où le biathlon d'été doit promouvoir le biathlon d'hiver. C'est ma conviction profonde, on est bien sûr dans un monde où le climat change, où le climat évolue, mais je crois que ce qui fait le sel du biathlon aujourd'hui c'est encore ce rapport particulier avec l'élément qui est la neige, qui nous rassemble tous et qui nous fait vibrer depuis qu'on est enfant. Je ne dis pas que ça ne sera pas amené à évoluer à l'avenir, aujourd'hui je vois encore le biathlon d'été avant tout comme un moyen de promouvoir l'hiver.” Une promotion nécessaire en vue de l’organisation des Jeux olympiques 2030, où le biathlon posera ses valises au Grand-Bornand.

Toujours dans l’optique de mettre en avant une discipline qui ne cesse de grandir, la fine équipe de l’organisation du MFNF (5-6 personnes mobilisées toute l’année dont trois salariés à temps plein, 200 bénévoles le week-end du festival) va dresser le bilan de l’édition 2024 pour apprendre des éventuelles erreurs pour les prochaines échéances. “C'est un investissement important à l'année. C'est une petite équipe qui met ses tripes sur la table pour faire vivre cet événement, pour le pérenniser, pour convaincre les partenaires, les acteurs publics et institutionnels de nous faire confiance. On est sur une belle dynamique avec les JO 2026 dans deux ans et la locomotive des JO 2030, qui va tirer toute la montagne française et qui, je l'espère, permettra aussi au festival de se réinventer, de continuer à progresser. Je suis très heureux qu’on ait déjà anticipé cette démarche il y a plus de cinq ans.”

Analie Simon, à Annecy