RMC Sport

L'exploit historique de l'Irlande face aux Blacks passé au crible

-

- - -

L’Irlande a mis fin samedi soir à 111 ans d’insuccès face à la Nouvelle-Zélande, en lui infligeant une défaite mémorable (40-29) en test-match sur la pelouse du Soldier Field de Chicago. Un succès vraiment mérité ? Pas un poil chanceux ? Notre consultant rugby Denis Charvet a replongé dans la rencontre et nous livre son analyse.

IEst-ce que le succès irlandais est l’addition d’une réussite incroyable ou un résultat tout à fait mérité ?

Si le XV du Trèfle a écrit une page d’histoire, la sienne mais aussi celle du rugby international samedi soir à Chicago, il l’a fait de façon méritoire et appliquée. Le plan de jeu du sélectionneur irlandais, Joe Schmidt, était clair et ses joueurs s’y sont tenus : jouer, envoyer du jeu et aller bousculer les Néo-Zélandais en phase de conquête. Bref, appuyer là où ça fait mal, c’est-à-dire sur une deuxième ligne expérimentale (Tuipulotu-Kaino) en l’absence des titulaires et tauliers habituels Whitelock et Retallick. On a ainsi vu des Blacks mous et patauds sur les phases de rucks et se faire également contester sur leurs renvois, dominés sous les chandelles par les Verts. Des Verts enthousiastes, puisque ces derniers ont cherché à jouer autant qu’ils ont pu, à l’image de cette phase de jeu à la 8e minute, directement initiée de leurs 22. Et quand vous inscrivez cinq essais, avec une possession de balle parfois indécente (72 % à la 30e) aux Blacks, cela ne peut pas être un simple coup du hasard.

L’avis de Denis Charvet : « Il y a deux aspects. Soit on se dit que les Blacks sont passés à côté du sujet où on se dit que les Irlandais étaient extraordinaires, sans remettre en cause la qualité de leur jeu , qui était du même niveau que celui affiché lors du match contre l’équipe de France à la Coupe du Monde. C’est vrai que les All Blacks ont été pris à froid mais aussi à chaud. Au pays de Mickey, ils étaient là pour faire du tourisme. Je ne les ai pas reconnu. Côté Irlandais, il y avait aussi cet hommage rendu à Anthony Foley (les joueurs irlandais ont répondu au haka des Blacks en formant un 8, le numéro de l’ancien entraîneur du Leinster, décédé des suites d’un malaise cardiaque)»

A lire aussi : l'Irlande fait tomber les Blacks de leur piédestal

Est-ce que les Blacks avaient toutes les armes pour l’emporter ?

Non. Déjà parce les tribunes du Soldier Field Stadium n’étaient clairement pas à leur avantage. Avec 45 000 supporters irlandais estimés sur les 62 300 spectateurs, la Nouvelle-Zélande évoluait clairement à l’extérieur à Chicago. Evidemment, l’absence de la deuxième ligne titulaire Whitelock-Retallick a aussi fait très mal au jeu All Black. Les champions du monde ont manqué de sérénité dans leur jeu, de discipline aussi. Six pénalités contre une, côté irlandais, avaient déjà été sifflées contre eux à la demi-heure de jeu. Et Moody, auteur d’un plaquage cathédrale, a frôlé le rouge à deux reprises dans cette partie. Résultat, les Néo-Zélandais n’ont jamais trouvé les solutions défensives pour entraver l’enthousiasme adverse, porté par une équipe qui, elle, avait son noyau dur (Kearney, énorme à l’arrière, Zebo, Henshaw, Sexton, Heaslip). Et ont, pour la première fois depuis 2004 et une défaite à Johannesburg contre l’Afrique du Sud, encaissé 40 points dans une rencontre.

L’avis de Denis Charvet : « Je ne les ai jamais vu aussi peu engagés dans le combat. Dans les rucks, sur les touches, les mêlées, on ne les a pas reconnus. C’est vrai que l’absence de la deuxième ligne leur a fait défaut. Mais ces dernières années, quand on changeait un joueur chez les Blacks, rien ne changeait. Le style, le fonds de jeu étaient les mêmes. C’est la première fois que je vois des Blacks où le collectif n’était pas là. Ils ont toujours bâti leur succès sur l’agressivité, la défense, les turnovers. Là, même sur ça, ils n’y étaient pas, sans parler du déchet technique : les en-avants, les mauvaises passes… »

Cette victoire fait-elle de l’Irlande LE favori du prochain Tournoi des VI Nations ?

Oui, dans la mesure où l’Italie n’est pas une menace et un candidat crédible au titre, que l’on ne sait toujours pas où – ni comment – situer le XV de France sur la scène internationale aujourd’hui, que le Pays de Galles, à Cardiff, a pris une leçon face aux Australiens (32-8) et que l’Angleterre, certes forte de ses dix victoires consécutives depuis son échec il y a un an en Coupe du monde, va passer un test grandeur nature face à l’Afrique du Sud dans ce mois de novembre.

A lire aussi : les All Blacks décrochent un record historique

L’avis de Denis Charvet : « Incontestablement, l’Irlande s’est replacée dans le panel européen, dans les premières places, voire la première. Elle va sûrement contrarier l’Angleterre. On a vu de l’enthousiasme, de la cohésion, qui rendent les Irlandais difficiles à déplacer. Ils sont très forts dans la conservation du ballon. Derrière leur mêlée, ils ont l’un des meilleurs demis de mêlée au monde, Conrad Murray, qui a une intelligence stratégique au-dessus de la moyenne. C’est lui le cerveau de cette équipe. Il y a beaucoup de présences côté irlandais qui me fait dire qu’il faudra être très fort pour les battre et qu’ils peuvent prétendre à un Grand Chelem, pourquoi pas. »