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L'édito de l'After: Savin, le plein de décence

C'est le duel de la rentrée. D'un côté Vincent Labrune, président de la LFP. De l'autre Michel Savin, sénateur de l'Isère, qui enquête sur sa gestion. Deux hommes mais surtout deux visions du football français.

Les enfants sont enfin de retour à l’école. Devant les portails, c’est un sourire complice (et de soulagement) que s’échangent les héroïques parents. Après deux mois de Mille-Bornes (balancé au travers de la pièce à chaque défaite), Kapla (sous le canapé), cartes Pokémon (alerte caprice) et tablette (15 minutes par jour en théorie, 2 heures en pratique dès le 10 juillet), chaque jour d'été est un confinement qui recommence (la chaleur en plus). Pour les héros du quotidien, le retour au bureau c'est une bouée de sauvetage. Alors venez pas nous emmerder avec vos droits TV, vos sièges à 131 millions, vos pertes de revenus de 60%. Tel était le pari de Vincent Labrune et Arnaud Rouger (désormais c’est un couple présidentiel) quand ils ont convoqué les élections à la sortie de l’été. Entre la fin du mercato et la liste des fournitures, les présidents de club (et leurs adeptes) auraient autre chose à faire que d’imaginer un changement de chef. Bien vu. Résultat: malgré un bilan cataclysmique, Labrune a obtenu le double de voix en 2024 par rapport à 2020.

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"Je vous l’avais bien dit"

À quelques jours d’écart, deux conférences de presse donnaient pourtant deux visions opposées de ces résultats soviétiques. D’abord mardi soir dernier, le camarade Labrunovith convoquait la presse pour célébrer sa victoire par acclamation du politburo. Assis aux côtés d’Arnaud Rouger, perchés sur deux tabourets de bar, le lider minimo donnait libre cours aux habituelles contradictions. Il n’y était pour rien dans l’appel d’offres manqué (en octobre) mais pourtant tout était de sa faute. Il était "meurtri" et en même temps il était "très fier". Il fallait continuer et en même temps il fallait "se réinventer". Le football était un "produit premium" et en même temps devait rester "un produit abordable et accessible pour tous". Point commun avec les confs de Deschamps: au bout de 40 minutes on se sent plus idiot qu’au début. "Je vous l’avais bien dit", répète l’horloge cassée mais qui donne invariablement la bonne heure deux fois par jour.

Le vendredi suivant, autre ambiance. Drapeau français, drapeau européen, pupitre officiel, pas d’atmosphère de bistrots passé minuit, pas de confession publique, pas de mea culpa. Nous sommes dans la minuscule salle A 138 du Sénat. Les présidents et rapporteurs Laurent Laffon et Michel Savin de la commission sénatoriale d’enquête sur la financiarisation du football tiennent conférence. Dans un exercice de transparence démocratique, les deux hommes rendent compte d’une visite organisée le matin au nouveau — et "très beau" — siège à 131 millions d’euros du boulevard de Courcelles de la LFP. Plusieurs documents relatifs à la gestion interne de l’organisme sub-délégataire de service public (en particulier lié au mécanisme de rémunération de son président) ont été demandés et obtenus. Étonnés par la réélection du principal responsable du "naufrage" en cours, les deux hommes font parler le bon sens et rappellent la légitimité de leur travail "l’enjeu (de la loi votée en 2022) n’était pas d’enrichir la Ligue mais d’apporter des moyens supplémentaires aux clubs français pour être compétitifs à l’échelle européenne". La sentence tonne comme une gifle à distance. "L’essentiel de l’enrichissement s’est fait au profit de la ligue. Ce n’était pas l’objectif de la loi."

Le corbeau est le renard

Face à face, donc, deux visions du football. D’un côté la vision court-termiste imposée par des dirigeants pressés de vendre trop cher leur club (pour les plus malins) à de moins brillants qu’eux (suivez mon regard). Ceux-ci se retrouvent parfaitement dans le discours enfumé du président de la Ligue tâchant de ménager ses électeurs autant que son avenir professionnel dans le "sport business". Comme dirait Christophe Bouchet dans la Revue de l’After à paraître jeudi, "avoir un président manipulable est gage d’une meilleure gestion pour un club". Voilà pourquoi Labrune "n’a pas vendu une stratégie ou un règlement. Et pour cause: la stratégie, il faut s’y tenir, et le règlement, il peut perturber".

De l’autre, une idée qu’on entend pointer sous l’accent isérois du sobre sénateur Michel Savin, 65 ans: l’intérêt général. Oui, ce qui étonne (et réconforte), c’est la clarté du constat émis par les initiateurs de cette indispensable radiographie. Après une cinquantaine d’auditions (dont la majorité à huis clos comme s’il s’agissait de secrets d’Etat, autre anomalie de notre foot), la décence la plus élémentaire semble s’être enfin invitée dans le football français. Elle est résumée en un mot — l’éthique démocratique — et une énigme qui revient à chaque audition sans qu’on puisse jamais la percer de manière satisfaisante: comment se fait-il qu’on puisse prendre autant de mauvaises décisions en toute impunité? Réponse à la mi-octobre pour les conclusions du rapport et les premiers conseils de classe.

Thibaud Leplat