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L'édito de l'After: Nasser entre parenthèses

Quand on se promène dans les PV du conseil d’administration de la Ligue, on découvre des choses fascinantes. Ou comment la LFP pense résoudre des problèmes éthiques par des ruses typographiques. L'édito de Thibaud Leplat, rédacteur en chef de la revue de l'After.

Il faut lire les compte-rendu de réunion du Conseil d’administration de la Ligue de football comme un opéra de Rossini. Le cadre est bourgeois, les termes sont juridiques, les personnages sont cités en lettres capitales. Tout a l’air parfaitement respectable dans la distribution. En plus, modernité oblige, l’œuvre peut désormais se jouer "à distance". Miracle de la technologie : on est au bord de la piscine, mais on est au bureau, on est à Saint-Rémy, mais on est à Paris, c’est dimanche, mais on bosse quand même. Après le sucre sans sucre ou la viande végétale, nouveau prodige de la post-modernité: le conseil d’administration à 30 personnes en visio.

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Quiconque a déjà tenté de mener une discussion à plus de 3 avec ce genre d’outil connaît le résultat : on n’y comprend rien. L’échange finit invariablement pas un "vous m’entendez? Allô, vous m’entendez?" Raison supplémentaire pour en abuser quand on en est l’organisateur: il y aura toujours un wifi de mauvaise qualité pour éviter d’avoir à répondre aux questions dérangeantes. Le 25 juillet dernier, par exemple, le dispositif de musellement était redoutable : 33 personnes étaient absentes/présentes en même temps. 10 (CVC + les salariés de la ligue) sur site (le nerf de la guerre) et le reste "en distantiel". Parenthèse: on se demande à quoi bon se payer un bureau à 127 millions si c’est pour tous finir en télétravail. Fin de la parenthèse.

Le barbier de la Ligue

Ce jour-là, la séance concerne la "commercialisation des droits audiovisuels de la Ligue 1". Silence dans le public. Le président de la LFP entame son célèbre couplet d’auto-glorification ("discussions très dures" le 25/07, "les contraintes financières" le 14/07, "l’énergie qu’il déploie dans ces négociations" le 05/07, "difficultés des discussions" le 05/06, "négociations longues" le 21/03 etc). Le valet connaît ses classiques : rappeler à son maître qu’on est indispensable (avant de le berner à nouveau). La salle se marre. Peu importe que l’appel d’offres ait échoué en octobre 2023, où que plus personne ne veuille négocier avec la LFP, c’est à cause du marché (toujours décevant) ou de Canal + (qui boude). Les connaisseurs apprécieront. Voilà un barbier di qualità.

Ce jour-là, au moment d’évoquer les négociations en cours avec BeIN sport, coup de théâtre. Après avoir livré une réponse technologique (une visio) à un problème institutionnel (l’ingouvernabilité du conseil d’administration) le Barbier de la Ligue a résolu un problème éthique (les conflits d’intérêts récurrents) par une ruse typographique (une ponctuation). Benjamin Morel, salarié de la LFP, présente l’état d’avancement de la négo. Tout à coup, dans le PV (signé), une curieuse incise "(le Conseil prend note de la sortie de Nasser AL-KHELAIFI de la réunion)". Pas vu pas pris, le président du Paris-Saint-Germain, également président de BeIN, également vice-président du Bureau, également président de l’ECA, également président de QSI, également ministre sans portefeuille du gouvernement qatarien, se retire d’une parenthèse et débranche son Teams pour éviter d’interférer dans la discussion sur les droits TV. Le conflit d’intérêt est résolu pendant cinq minutes. Très bon. La salle est pliée de rire.

PSG trop puissant

On rigole mais on ne devrait pas. Qui peut sincèrement croire qu’on puisse masquer des problèmes de souveraineté (l’emprise d’un gouvernement étranger sur la première compétition nationale) par une simple mise en scène? Depuis 2011 et son arrivée dans le football français, Nasser sort d’un côté du conseil d’administration (l’appel d’offre), pour réapparaître de l’autre (les droits internationaux). Labrune fait mine de s’affranchir de l’influence de QSI (projet de chaîne de la Ligue en partenariat avec l’américain Warner) pour se féliciter de le voir revenir dans le jeu quelques semaines plus tard (BeIN sport qui diffuse un match de L1 et toute la L2). Nasser fait semblant de bouder (aucune offre entre octobre et juillet) mais BeIN est accueilli en sauveur quelques semaines avant la reprise (moyennant 100 petits millions alors que le britannique DAZN en met 400 et n’a droit qu’à des insultes). Le Paris-Saint-Germain est devenu une institution mondiale (8e marque de football au monde) au prix de la vassalisation des clubs français (qui va s’intéresser à une telle farce?). Alerte Whatsapp. "Nasser a quitté la conversation". Et mince. On va encore finir sur Telegram.

Thibaud Leplat